« La place » et « Nuit suspendue »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de «Paris-Briançon » de Philippe Besson. Merci à tous de votre participation ! Parmi les 10 textes sélectionnés, voici celui de Manon Drique et de Vivianne Clément.
Vivianne Clément

La place

C’est bientôt le soir. La nuit va enfin apporter un peu de fraîcheur.  Le mélèze droit comme un i s’élève jusqu’au toit de l’église et sa plus haute branche chatouille le clocher. Les vieux murs sont encore tièdes. Il faudrait pénétrer dans l’église pour respirer un peu d’air frais venu des voûtes sombres et des chapelles aux vitraux tamisés. Mais la lourde porte est fermée et la grosse clé conservée par on ne sait plus qui. 

C’est une place dont le sol est en pente et descend joyeusement vers la grand’rue. Une vaste esplanade fait le tour de l’église. Seul le parvis est plat, prolongé par un petit jardin envahi de roses trémières où pousse un bel olivier au feuillage dru et touffu. Les portes des maisons donnent directement sur la place. Les jardinets laissent voir des géraniums dans leur vieille marmite, un chapeau oublié sur une chaise longue, un chat immobile sur le bord de la fenêtre. 

Peu à peu la place s’anime. C’est d’abord deux ou trois vieux ou vieilles qui sortent leurs chaises et cherchent un courant d’air avant de s’installer pour bavarder un peu. Quelques joueurs de boules se tiennent sur le parvis là où le sol est plat. Des jeunes se retrouvent dans l’un des renfoncements de l’église à l’abri des regards. Ils chassent en rigolant quelques petits galopins qui filent à toute allure et pourtant reviendront. 

 Des passants se promènent, échangent quelques mots et s’éloignent aussitôt, silhouettes ébauchées dans le soir finissant. 

C’est la fin de l’été. Bientôt les enfants reprendront le chemin de l’école, les touristes fermeront leur maison. Les plus âgés du village trouveront qu’il fait frais dès que viendra le soir. Le calme reviendra sur la place apaisée. Seul le chant des oiseaux troublera son sommeil. Et l’ombre du mélèze accrochera l’espace.  

V.C.

Manon Drique

Nuit suspendue

C’est une nuit d’automne, la nuit noire des contrées sauvages les soirs sans lune.

Ici, le repère dans le ciel est la croix du Sud. Un ensemble d’étoiles qui ressemblent à un cerf-volant dont on tiendrait la ficelle à la surface de la terre.

On entend le bruit de l’océan, au loin, on en devine le fracas sur les rochers.

La musique de la soirée achevée s’est tue. Sur le balcon d’une maison, dans l’obscurité de la nuit et de la végétation, une petite lumière subsiste. Elle éclaire à peine deux silhouettes emmitouflées. Elles tiennent leurs mains serrées autour de tasses brulantes dont les nuages de vapeur se dissipent dans la fraicheur de l’air.

Il est quatre heures du matin et pourtant leur soirée n’est pas terminée ; ils semblent avoir encore tant à raconter.

Le garçon rit, souvent. C’est comme une cascade en écho aux bruits des flots que l’on entend un peu plus loin.

D’autres fois, ils se taisent et se tiennent là, immobiles entre leurs mots. Le murmure des vagues habille leurs silences. Ils sont côte à côte, leurs yeux tournés vers l’horizon brillent dans l’obscurité. Sous la toile tendue du ciel remplie d’étoiles, ils restent là, à regarder filer la nuit.

Dans l’épaisseur du noir, leurs corps semblent parfois imperceptiblement se rapprocher.

L’aube vient les cueillir, un peu étourdis de fatigue.

Aux toutes premières lueurs, elle se lève, glisse derrière ses oreilles quelques mèches de cheveux échappées. Elle ne semble pas exactement savoir quoi dire avant d’aller dormir, ses joues rougissent, légèrement. Il la regarde rentrer et s’attarde encore quelques instants.

Il observe l’horizon, le soleil craquer ses premières allumettes sur la robe sombre de la nuit.

Dans un frisson, il soupire. L’aurore le regarde sourire.

M.D.