Du bonheur dans les ateliers d’écriture

Professeur agrégée de lettres classiques, accompagnatrice en écriture des pratiques professionnelles, et à l’origine dans le groupe de fondation d’Aleph-écriture avec Alain André, Jacqueline Dupret nous livrait sa vision heureuse des ateliers d’écriture lors de la création de l’Inventoire en 2013. Nous rééditons cet article où elle nous parle de son amour de l’enseignement de l’écriture, conjugué à celui de la création d’Aleph-Écriture.
Par Jacqueline Dupret
Plonger

D’abord il m’arriva ceci, que j’entrai dans un atelier d’écriture. Professeure de Lettres dans le troisième arrondissement de Paris, je n’y serais jamais allée de moi-même. Il me fallut l’exemple et l’insistance d’un ami, Alain André, qui s’était fait lui-même parisien pour suivre l’un des ateliers d’Élisabeth Bing.

Dans les années 80 donc, je m’assis dans un cercle de personnes qui écrivaient ensemble depuis déjà plusieurs semaines. J’écoutai la consigne: « Retrouvez les sensations que vous donnait un vêtement de votre enfance, et puis, de votre place d’aujourd’hui, adressez une parole à ce petit que vous étiez ». Je commençai. Cette injonction – évoquer un souvenir – me rappelait mes rédactions d’école, et en même temps me dépaysait : à l’école, m’avait-on demandé d’écrire le toucher d’un tissu? Les mots venaient. Je me revis à neuf ans, dans une robe fluide, qui laissait les bras nus…

Vint le moment de lire les textes. Je fus stupéfiée. L’animatrice applaudissait des productions qui n’étaient même pas dans le sujet. Elle relevait une expression forte, ou touchante, et ne parlait que de cela.

Je gardai ma perplexité pour moi. Le bonheur de produire et d’être entendue me rendit assidue à cet atelier hebdomadaire. J’écrivais, je lisais mon texte devant d’autres, et je n’en mourais pas !

Dans le tour des lectures, il y en avait toujours de très belles : des pages dont leurs auteurs eux-mêmes ne se seraient pas crus capables.

 

Analyser

Plus tard j’ai pu m’expliquer ce « miracle », en me penchant sur l’analyse du processus d’écriture : écrire est un acte complexe, fait de plusieurs étapes, dont la première est l’advenue d’un premier jet. Un texte « abouti » est toujours d’abord dans un état de premier jet, qui peut ensuite être travaillé, comme une pâte d’argile. Mais il faut d’abord que le premier jet existe, si indigent soit-il, si éloigné encore de l’idée que l’auteur peut se faire du texte final.

C’est pourquoi dans l’atelier l’accueil des premiers jets est inconditionnel.

Et cette règle d’accueil l’emporte même sur la proposition d’écriture du jour : le « hors sujet  » n’existe pas, puisque l’atelier est fait pour que chacun découvre ce qu’il a à écrire. Les propositions d’écriture ont surtout le rôle de court-circuiter l’hésitation des participants devant leur feuille, et de permettre des coups de sonde dans leur gisement intérieur. En même temps, souvent, elles s’appuient sur des auteurs publiés aujourd’hui, elles permettent de se situer parmi des textes de la littérature actuelle – même si les auteurs anciens y sont aussi très bien représentés.

Cela, c’est l’animateur qui l’apporte : tenir le cadre de l’accueil, où joue la temporalité, et inventer des parcours d’écriture.

Le groupe est fondamental lui aussi. A un moment de l’atelier, c’est un groupe de lecteurs. Ainsi l’animateur n’est pas le seul destinataire des textes : d’autres sont présents en chair et en os, actifs en tout cas, récepteurs sensibles, dont les voix sont capables quelquefois de changer le jugement qu’un participant porte sur son propre texte.

Oui, elle avait raison ma première animatrice de manifester du bonheur pour ce qu’elle entendait autour de la table, et d’en montrer le pourquoi.

Co-fonder Aleph

Mais ces premiers jets produits en atelier, il ne s’agit pas de les laisser dormir ou se ré-enliser. Introduire une technique de distanciation dans des ateliers d’adultes où l’accueil inconditionnel des premiers jets préserve l’énergie d’écrire, fut le principe de l’Association « Aleph », cofondée en 1985, par Alain André, Danièle Nony, et moi-même.

Depuis, je suis partie prenante de la spécificité d’Aleph, qui se donne encore et toujours l’objectif d’outiller ses participants pour leur permettre d’achever des objets littéraires. Forte est donc l’exigence du côté technique (apport ou élaboration en commun d’outils littéraires), et du côté éthique (diminution progressive de la dépendance des écrivants par rapport à l’animateur).

Depuis deux ans existe même à Aleph un stage de  » Formation professionnelle des auteurs ».

Pour ma part, je conduisis plusieurs ateliers au long cours de deux ans, ainsi que des stages d’écriture de théâtre, des stages d’autobiographie ; et je participai à la formation de formateurs pour l’écriture littéraire, et pour l’écriture professionnelle.

Faire écrire dans l’éducation nationale

Parallèlement, étant restée professeure de lettres, je trouvais lamentable d’épingler par une note les rédactions ou les dissertations. N’était-ce pas les fixer en l’état, avec pour destination la poubelle, alors que c’étaient des premiers jets… N’était-ce pas risquer d’initier chez les élèves une haine, ou du moins une méfiance envers le français ?  Le souci qu’ils aiment la langue m’a infiniment travaillée, jusqu’à ce que j’installe dans mes horaires de collège et de lycée des moments d’atelier d’écriture, ce qui me permettait d’organiser les cours de français comme des réponses aux questions que posaient les chantiers personnels des élèves.

Ce fut l’occasion de très grandes joies professionnelles. Ce fut aussi l’occasion de croiser des travaux de chercheurs, comme Vigotsky, Piaget, Kaddouri, Guibert, et de sociologues. Car il me fallait acquérir un étai, un langage scientifique, pour convaincre mon institution.

 

Écrire la pratique

Et comme c’était l’époque où le Ministère cherchait à collecter et à diffuser les innovations du « terrain », j’ai eu le grand plaisir que mon travail soit reconnu, avec celui de cinq collègues de l’Académie de Paris qui menaient aussi des ateliers d’écriture. Nous choisîmes Alain André pour nous aider à rédiger le texte demandé.

Cette année-là (1996-97) et les suivantes, dans toutes les disciplines, les professeurs qui désiraient faire connaître leurs trouvailles pédagogiques devaient écrire ensemble un document de présentation et d’analyse de leur action, et le Ministère avait bien compris qu’il fallait aider cette écriture par un regard extérieur, pour qu’elle soit démocratique (que chaque collègue ait sa voix), et qu’elle aboutisse à un texte agréable et non à la sécheresse des rapports ordinaires. J’ai été recrutée pour être cette personne extérieure dans deux établissements, deux années successives. Le coup de force par lequel j’ai transformé en atelier d’écriture ma première réunion a marqué ma mémoire. Les professeurs ne s’y attendaient pas, leur bonheur fut intense, de pouvoir être eux-mêmes les uns devant les autres, et de s’acquitter du même coup du texte à produire. J’ai décrit ces moments dans le cadre d’une recherche INRP (« A pratique innovante cadre d’écriture innovant » in Françoise Cros, Ecrire sur sa pratique pour développer des compétences professionnelles, l’Harmattan 2006, p. 77-101).

Cette fonction d’aide à la formalisation des pratiques innovantes était à créer dans toutes les Académies de France. Mais l’Académie de Paris pouvait s’adosser à l’Aleph. J’ai eu ainsi la responsabilité de faire formaliser collectivement cette fonction nouvelle par ceux qui l’inventaient en l’exerçant, formateurs, inspecteurs, chercheurs, professeurs qui avaient accepté d’être recrutés pour ce travail. Une fois de plus, j’ai fait écrire les intéressés… Le résultat fut la revue Innovatio 3. Elle est consultable encore en ligne. http://fr.calameo.com/read/0000873700927142c8f65 ou http://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_368092/accompagner-les-equipes-pedagogiques-innovatio-3-a-relire

Elle met en lumière la « posture accompagnante » : c’est être au service des objectifs d’autrui, lui offrir ses compétences et ses incompétences seulement s’il les demande. Cela s’oppose à la posture frontale du formateur classique, qui a ses vertus bien sûr, au bon moment.

Quand j’ai travaillé à l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) de Paris en formation continuée, faire écrire les stagiaires m’a toujours beaucoup aidée à les accompagner.

Et dans l’Aleph, chargée des réunions d’analyse de pratique, j’ai fait écrire les animateurs, avec pour eux profit et bonheur bien sûr. L’Inventoire verra la publication de certains de ces textes.

 

L’écriture est une

Écriture d’art, écriture sur l’art, écriture sur l’art d’enseigner l’art sont autant d’activations du langage qui nous fait humains, où chacun cherche sa vibration pour atteindre l’autre. Et l’atelier d’écriture, pour le démarrage particulièrement, est un dispositif très puissant, très gratifiant.

Jacqueline Dupret

Mai 2013

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