« Le choix » d’André Fornier: il y a une spécificité de l’écriture pour le théâtre

À l’occasion de l’atelier d’écriture autour du spectacle le choix, d’André Fornier, le Mercredi 22 janvier, Sylvie Neron-Bancel l’a rencontré dans les locaux d’Aleph Lyon. Auteur et metteur en scène de la pièce Le choix, sa pièce se jouera au théâtre L’Uchronie.

L’Inventoire : André Fornier, vous avez été metteur en scène, directeur artistique de compagnies dont l’Opéra-Théâtre pendant de nombreuses années, comment passe-t-on de la direction d’acteurs ou de chanteurs à l’écriture de pièces de théâtre ?

André Fornier : Dans mon cas, j’écrivais déjà des textes pour le théâtre ; j’ai aussi écrit plusieurs livrets d’opéra. Lorsque j’ai cessé mes activités, j’ai ressenti un besoin irrépressible de faire de l’écriture dramatique mon activité principale. Sans doute le fait d’avoir beaucoup fréquenté les auteurs durant ma carrière m’a poussé à l’écriture… Et le besoin de m’exprimer autrement que par la mise en scène des textes des autres.

Combien de temps avez-vous mis à écrire la pièce Le choix ?

Je ne suis pas un « rapide » j’aime laisser reposer le texte puis y revenir encore et encore et ce n’est pas fini ! je peux réécrire des scènes jusqu’à la générale (au grand dam des comédiens !) En tout, cela représente plus d’un an de travail. Nous sommes en 2033, la France est aux mains d’un pouvoir totalitaire, qui fait la chasse aux artistes et à la culture. Anna, comédienne, mère de Thomas décide de jouer éperdument la parole des auteurs, son fils Thomas décide de s’engager dans un autre combat.   

Qu’est-ce qui a inspiré l’écriture de ce texte? Cette thématique du choix? 

Je suis préoccupé depuis quelques années par la disparition dans le silence de ce qu’on appelle « la culture » au sens politique du terme. J’appartiens à une génération pour qui la Culture et principalement le spectacle vivant était très présent et incontournable dans notre société parce qu’entre autres, les élus y attachaient de l’importance ; ce n’est plus le cas et cela m’inquiète.

Bien sûr, nous ne sommes pas dans la situation de la pièce, mais les « populistes » étant de plus en plus présents dans le monde, j’ai voulu créer une sorte de catharsis, en imaginant le pire. Une fois posé cette thématique, je me suis demandé comment réagiraient les comédiens. Anna lutte en jouant les textes pour préserver leur mémoire ; ce serait une manière de combattre. Le reste est venu au fil de l’inspiration. Quant à Thomas, le fils d’Anna, il a décidé de s’engager militairement. De ces deux choix, lequel est primordial ? La question mérite d’être posée.

Vous avez écrit une première version de ce texte publié en mars 2019 (Éditions Atramenta) puis avez senti le besoin de remanier le texte, à la suite du travail de répétition avec les acteurs de La Rebelle compagnie. Pouvez-vous nous expliquer votre façon de travailler en tant qu’auteur? 

À l’instar des grands dramaturges (Weijdi Mouawad et Joël Pommerat entre autres) je suis convaincu que l’écriture dramatique est issue du plateau et que les comédiens et les autres corps de métier (lumière musique et scénographie) doivent s’emparer du texte.

J’aime l’avertissement de Ariane Mnouchkine aux auteurs dramatiques : « Le théâtre n’est pas de la littérature en costumes ! ». Il y a une spécificité de l’écriture pour le théâtre, et l’expérimentation de « l’écriture du bord du plateau » me passionne. D’ailleurs, je crois savoir qu’Aleph propose d’aborder cette technique…

Un de vos personnages, Anna, dit cette réplique empruntée à Beckett dans l’Innommable:   » Il faut continuer, c’est tout ce que je sais. Je vais donc continuer. Il faut dire les mots, tant qu’il y en a* « . Dans cette pièce, vous vous référez à de nombreux auteurs classiques. C’est important d’avoir une culture littéraire lorsqu’on écrit du théâtre ?

En l’occurrence dans ce texte, Anna a du mal à dire avec ses mots. Elle convoque les auteurs pour se dire, entre autres Beckett, mais aussi Euripide, Artaud, Tchékhov et surtout Brecht. J’ai rencontré des comédiens qui pour se faire comprendre sollicitent les textes. Le plus emblématique est bien sûr Fabrice Luchini. Ce n’est ni prétention ni une pose, mais une nécessité. J’aime ça…

Vous êtes aussi metteur en scène, parlez-nous de la scénographie que vous avez imaginée pour ce spectacle?

De fait quand La Rebelle Compagnie a décidé de monter mon texte ; j’aurais aimé n’être que l’auteur. Les circonstances en ont décidé autrement et maintenant je suis très heureux d’en être le metteur en scène. Je participe aux interrogations que soulève le texte en metteur en scène, en tentant d’oublier que c’est moi qui l’ai écrit. Cette schizophrénie a nourri notre travail. La scénographie a elle aussi « déclenché » bien des idées de mise en scène.

Noémie Schrevelle, notre scénographe, a imaginé de placer les personnages dans un bunker parmi un très grand nombre de livres qui remplissent l’espace.

Les comédiens auront littéralement l’obligation de « patauger » dans toute cette littérature ! 

Vous êtes responsable du cours de technique dramaturgique au centre Factory, école de cinéma au Pôle PIXEL à Villeurbanne,  quelle est la phrase que vous dites tout le temps à vos étudiants  ?

J’aime leur rappeler qu’il faut qu’ils pensent théâtre, jeu et mise en scène constamment quand ils écrivent. J’attache une grande importance aussi à ce qu’ils connaissent l’histoire de la dramaturgie et les transformations que l’écriture dramatique a subi de Aristote jusqu’aux auteurs d’aujourd’hui. Comme on dit « pour savoir où aller, il faut savoir d’où l’on vient… »

Vous pensez que le théâtre peut continuer d’être militant comme vos personnages et d’affirmer ce choix ?

Là aussi tout est affaire de génération, la dialectique qui s’opère entre Anna et Carl, c’est-à-dire lutter en jouant ou utiliser des moyens politiques est proche des interrogations de Bartold Brecht et d’Hélène Weigel. Déjà ! La fin de la pièce à cet égard est optimiste ; les deux jeunes comédiens ont le désir de se battre pour leurs idées pour construire un monde plus humain, et plus « sensible ». Le jeune Carl déclare à la fin de la pièce:

« Qu’on me laisse à mes nuages éteints, à mon immortelle impuissance, à mes déraisonnables espoirs. Mais sachez que je n’abdiquerai aucun de nos combats ! »

Sylvie Neron-Bancel

Calendrier de l’atelier autour de la pièce
Mercredi 22 janvier, atelier d’écriture autour du spectacle le choix, d’André Fornier, animé par Sylvie Neron-Bancel.
Horaires : 19h-22h, dans les locaux d’Aleph Lyon, 8 place des terreaux, Lyon 1er.

Jeudi 23 janvier 20h : spectacle, suivi d’une rencontre avec l’auteur et les acteurs de la Rebelle Compagnie, Théâtre l’Uchronie, 19 rue de Marseille, Lyon, 7ème. 

Les prochaines formations de Sylvie Neron-Bancel, responsable du site Aleph à Lyon  : « Module 5 – Écrire sur le registre autobiographique (présentiel), Module 6 – Reprendre et finaliser un texte (présentiel).

L’association Mac Guffin crée en 2014 le Théâtre de l’Uchronie.
Un théâtre de quartier, un lieu de création de proximité, de partage et de transmission, en plein cœur de la Guillotière à Lyon. Le Théâtre de L’Uchronie est à la fois un espace de travail et de représentation, un lieu dédié au théâtre, à la danse, à la musique et aussi au cinéma. Ce lieu existe pour être partagé, avec les compagnies lyonnaises et le public. Un théâtre « écrin » proposant aux professionnels et au public accueillis les meilleures conditions techniques et humaines pour créer, voyager et apprendre.

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