Cette semaine Alain André vous propose d’écrire à partir du livre Christine Montalbetti: Love Hotel (P.O.L. 2013).

Vous pouvez nous envoyer vos textes jusqu’au 25 avril à contact@inventoire.com. Une sélection sera publiée deux semaines plus tard.

1. L’extrait

« Ce qu’on y trouve, je dirais poivre, noisette, et aussi poudre de riz, le parfum mat et léger des fleurs de tournesol. Ce sont là des effluves en même temps délicats et corsés pourtant, mais de telle sorte que l’intensité des piments, au lieu d’emporter tout, n’occulte pas les senteurs plus discrètes, leur laisse une place, joue avec elles un tendre jeu de cache-cache, si bien qu’on décèle, derrière la muscade, cette fragrance de vanille infusée, ou cette douceur d’entremets lacté que ne gomment pas les épices lointaines qui se déplient en arrière-plan. Et voici que s’épanouissent les notes boisées : ce sont chênes discrets, lichens et mousses après la pluie. Et ceci, une touche de fleurs blanches, un peu d’acacia, et puis des arômes miellés, qui s’y joignent en un bouquet complexe, où se mêle aussi comme une pointe d’agrume, de baies encore vertes et de zan. »

2. Ma suggestion

Exercice de « nez », assurément, mais avant la dégustation proprement dite, et qui donne une idée de la manière en quelque sorte vaporeuse, mais précisément stratifiée, qui est celle de Christine Montalbetti dans son dernier ouvrage, Love Hotel (sans accent circonflexe sur le « o » pourtant minuscule de cet hôtel, c’est qu’on est au Japon, plus précisément à Kyoto), paru en 2013 chez P.O.L. Ce sont des nappes aquarellées : paysages de fleuve bordé de cerisiers « où cloquent à peine quelques bourgeons minuscules, concentrés, en lesquels il faut avoir beaucoup de foi pour croire en l’éclosion prochaine » ; sensations vagues comme d’un deuil incertain de son objet ; chambres à thème du « Love hotel » entre lesquelles on peine à choisir ; phrases ambigues de Natsumi l’amante adultère du narrateur ; passages de vélo en contrebas, que même l’appareil photo numérique peine à saisir autrement qu’à la façon d’une forme floue, étirée, « qui s’évanouit dans le mouvement pour ne laisser sur l’image qu’une trace vague, mal interprétable, un nuage de couleurs, fragile et cotonneux comme le passage d’un esprit dans les photographies spirites d’autrefois. »

Ici, il s’agit d’approcher un objet complexe. On se souvient d’autres exercices, dans lesquels il s’agit de définir une odeur –  chocolat, pomme avariée, confiture de pêches, tomate, etc. – en recourant à quelques stratagèmes : la comparer (à un paysage, à une personne, à un animal), la transposer dans les catégories d’un autre sens (si c’était une lumière, un bruit, un goût, un contact), évoquer les associations d’idées comme les souvenirs auxquels elle se prête, suivre le trajet qu’elle effectue à l’interieur de notre corps (avant de nommer la source de l’odeur elle-même). Christine Montalbetti, plus délicate, précise cette source avant d’en déplier les valeurs, en recourant aux lexiques tant de la gastronomie que du paysage et de l’horticulture : « J’approche mon visage du sexe de Natsumi, je le respire, et je le reconnais ».

Et si vous vous livriez à une expérience analogue (pas nécessairement à caractère aussi directement sexuel), quelle odeur choisiriez-vous d’analyser ? Pouvez-vous nous en rendre compte, en un petit feuillet au maximum, en précisant d’emblée sa nature – de sorte que c’est l’analyse qui sera lue, non la devinette ?

3. Lecture

Love hotel est le onzième ouvrage de Christine Montalbetti, publié comme les précédents chez P.O.L. J’en dois le plaisir au dossier que consacra à cet auteur Le matricule des anges (avril 2013), merci merci (que ferait-on sans Le matricule des anges, je vous le demande, le plus sérieusement du monde). Autant le dire tout de suite, et le livre et le dossier m’ont donné une vive envie de poursuivre, mais par quel ouvrage ? Western roman (2005), les Nouvelles sur le sentiment amoureux ou celles qui sont intitulées Petits déjeuners avec quelques écrivains célèbres (2008), Journée américaine (2009), L’Évaporation de l’oncle (2011) ? À moins que je ne tienne à commencer par le commencement, et à commander, donc, Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine (2001). Pour l’auteur, ma foi, j’ai appris qu’elle avait lu bien des fois le premier paragraphe de l’Après-midi d’un écrivain, de Peter Handke (moi aussi, je le crains, quel plaisir de pouvoir écrire « moi aussi »), qu’elle se sent bien chez P.O.L. « parce qu’il y a une très grande délicatesse chez tous ceux qui y travaillent » et qu’elle enseigne à la fac, où elle consacre le plus clair de son temps à conduire des ateliers d’écriture. Tout cela m’a donné l’envie d’afficher chez moi une photo de la Kamogawa traversant Kyoto, ça me changera un peu de la Charente.

Alain ANDRÉ

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