Maly Lagarde-Larrieu « Sapiac » et Isabelle Huault « La petite Morinière »

Il y a un mois, Arlette Mondon-Neycensas vous a proposé d’écrire à partir de « Quand tu écouteras cette chanson » de Lola Lafon, dans l’atelier ouvert de L’Inventoire. Parmi les 9 textes sélectionnés, voici celui de Maly Lagarde-Larrieu « Sapiac » et celui d’Isabelle Huault « La petite Morinière ».
Maly Lagarde-Larrieu

Sapiac

Par quel concours de circonstances je me retrouvais dans cette maison donnant sur le Tarn escortée par un diagnostiqueur pointilleux ? Je ne me souviens pas du ‘pourquoi’ mais très bien du douloureux sentiment de l’absence qui m’avait accompagné pendant cette visite.

Vide. Lieu définitivement déserté par tous ceux qui l’avaient fait vivre : mes grands-parents paternels, mon père et ses quatre frères et sœur, puis moi enfant et adolescente ici avec eux. Toussaint, Noël, Pâques.

Il m’avait fallu pousser la lourde porte cochère, traverser la cour pavée de petits cailloux mouchetés de gris et franchir le seuil au-delà duquel personne depuis longtemps ne m’attendait plus.

Exit la senteur de la soupe mijotant sur la braise. Exit les meubles de bois sombre qui émergeaient de la pénombre. Exit les grandes tablées où les fins de repas s’achevaient immanquablement par des blagues en occitan. — Non. En patois pécaïre ! grommelait lo papet. Exit les courses poursuites avec mes cousines le long du couloir qui mène jusqu’à la terrasse.

Ne demeure que le Tarn qui coule à ses pieds. Ne demeure que la trace laissée par le fleuve sur l’antique tapisserie à fleurs. Une cicatrice noirâtre. À vingt centimètres du plafond. Montée des eaux de l’inondation de mars 1930.

Récemment, j’ai pris rendez-vous avec l’ostéopathe qui a racheté la maison. Odeur de peinture fraîche. Tout est clair, rutilant. Allongée sur la table de soin je contemple les murs blancs.

— Vous pleurez ?

— Non. C’est la lumière…

 

Isabelle Huault

La petite Morinière

Je suis au milieu de la cour, hébétée entre le long corps de ferme et la petite maison. Plus de bêtes, de hangars, de fourbi, juste l’herbe et la terre cramoisies.

Franchir le seuil de la maison, à quoi bon ?

Je reste au bord de la chambre, l’unique. On y dormait à huit. Tiens ! Le petit poêle de fonte a été laissé là, pour qui, pourquoi ? Le pauvre, il ne chauffait que le vent. Les grands et petits corps comme emplumés sous les lourds couvre-pieds.

La chambre n’est plus qu’une pièce de vent. Son intimité a déménagé avec les lits et les armoires. Et sa mémoire ? Je pousse la porte de la cuisine. Le jaune des murs a bruni par endroit, çà ne se voyait pas avec les meubles. A cause de la cuisinière à bois, elle chauffait dur sous le faitout de soupe de chocolat.

En quelle année déjà la peinture jaune ? Il n’y a pas si longtemps, un été oui, on avait fêté çà, le jaune modernité  et le canapé lit livré peu de temps après. Ah ! La danse du jaune dans la cour,  foldingue.

Ce soir de juillet 1978, je note dans mon cahier : «La petite Morinière. Ton nom est le lieu où demeurera ce qui m’a été familier.»

Plus de dix ans après, j’apprends que la maison a été restaurée, que la ferme s’est tue à jamais avec le départ des derniers fermiers, les parents. Un haut portail rouge a remplacé la vieille barrière de bois. La ville n’est plus qu’à quelques champs d’ici.

Le soir, au creux de l’oreille, un blues d’humeurs et de saisons, celui de la petite Morinière qui demande à s’écrire.