Ces textes ont été écrits sur une proposition d’écriture de Alain André à partir de Qui sait, de Pauline Delabroy-Allard. Ils figurent parmi les douze textes sélectionnés.
Marie-Claire Utz
C’était hier…
On n’est pas riches. On le sait et ça se voit. On fait souvent crédit à l’épicerie. On n’a jamais eu de voiture. On n’est partis qu’une seule et unique fois en vacances, en train, en Bretagne, pour y rencontrer la grand-mère du côté paternel, un voyage mémorable ! C’était la première fois qu’on voyait la mer. À Dinard. On dort deux par deux et on se refile nos vêtements souvent rafistolés, et ça, c’est dur. On ne reçoit jamais personne sauf la Louise, une force de la nature qui boit du rhum chaud à pleins bols et un vague cousin meusien au drôle d’accent et à la main baladeuse. On n’a jamais eu de grands-pères. On rit et on parle fort quand le père n’est pas là. On en profite. On a peur de ses sautes d’humeur quand il rentre de l’usine éméché et qu’il trouve la soupe trop salée. On va aux bains-douches un samedi sur deux, on s’y retrouve entre gosses du quartier et on aime ça. Les autres fois on se lave à l’évier de la cuisine. On ne fête pas grand-chose. On ne reçoit pas de cadeau. On ne mange jamais de poisson car le père a ça en horreur. On n’a pas de livres à la maison alors on se jette sur ceux qu’on emprunte à l’école. On aime bien l’école. On n’a pas d’autre choix que d’être de bonnes élèves. Quand on a enfin la télévision, on aime bien regarder Au théâtre ce soir, et Cinq colonnes à la Une. On ne s’embrasse pas, on ne se cajole pas. On se déteste parfois. Je porte le prénom de la mère de ma mère dont elle n’a jamais eu que des souvenirs vagues et confus. La Louise était sa mère adoptive. Je ne sais pas précisément d’où je sors. Je suis une plante sans racines et au fond de moi git une foule de questions qui resteront sans réponses.
Dominique Guernic
Dominique,
C’est pratique ! ça va aussi bien pour un garçon ou une fille ! enfin, peu importe, pourvu que l’enfant soit en bonne santé. J’arrive après deux garçons et deux filles. Que ce soit un garçon ou une fille, c’est pas important. Alors, Dominique, c’est pratique. On ne se pose pas tant de questions. On a tous la même coupe (au bol), ça aussi, c’est pratique. On les élève comme on peut, tous ensemble, tous pareil. C’est pas qu’on ne les aime pas les enfants mais on ne le dit pas. Ils sont là, alors on les aime. Pour ça, on a toujours eu à manger. On ne dit pas à un enfant qu’il est beau, des fois qu’il y croit. On ne fait pas beaucoup de compliments non plus. Et puis, dans ma famille, on est catho, on va à la messe tous les dimanches, même si on n’en a pas toujours l’envie. Le soir, on prie ou on fait semblant de prier devant le poêle,. Parfois, on éclate de rire et là, on reçoit une réprimande du Père. On va tous au catéchisme. On ne nous demande pas notre avis. On ne s’intéresse pas au discours de Simone Veil à la maison. On occulte ce qui dérange.
Le sport ? on fait de la gymnastique car au village, il n’y a que de la gym. Alors, c’est gym pour tout le monde. Le soir, on mange la soupe. Le samedi soir, on va chez les voisins regarder « la piste aux étoiles » et c’est important ! et puis, mes parents ont acheté la télévision et on n’est plus allés chez les voisins. C’était pourtant bien ces soirées. Ça distrayait un peu les parents et nous, on se sentait un peu plus libres.
On fêtait Noël avec les cousins et les cousines. On dormait dans les lits : deux à la tête et deux aux pieds, les garçons dans une chambre et les filles dans une autre chambre. Mon oncle chantait très fort à la messe de minuit et on rigolait. On se moquait.
Avec le recul, Maman, j’aurai bien aimé, un jour que tu me dises des mots tendres.
D.G.