Vos textes à partir du roman « Les étoiles s’éteignent à l’aube » 2/2

Hélène Massip vous a proposé d’écrire à partir de Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese (2015, Zoé 2016 et « 10/18 », 2017, pour la traduction française). Parmi les textes que nous avons reçu, nous en avons sélectionné 11, que nous publions cette semaine en 2 parties. Merci à tous de votre belle participation !

 

Patrick Gilormini

La maison des conversations

 

Formée d’une suite de hautes dunes, l’île située entre les estuaires de l’Ems et de la Weser était constamment modifiée par le jeu des vents et des courants côtiers. Elle avait une forme crochue à l’ouest et très effilée à l’est. Un important endiguement l’avait depuis plusieurs siècles préservé d’une érosion rapide.

Je m’y étais rendu pour observer les oiseaux migrants depuis l’Afrique jusqu’aux régions arctiques. La mer des Wadden, constituée d’un réseau de chenaux de marée, de barres sableuses, de vasières offrait aux courlis, aux oies, aux bécasseaux et aux tadornes un garde-manger apprécié. Des phoques vivaient également dans les eaux côtières. Le vent soufflant en longues rafales rendait visible la blanche rotation des éoliennes off-shore. Le printemps étant déjà bien avancé, les oiseaux se faisaient rares et les phoques discrets.

Revenant vers le port je traversais la cité réputée de ceux souffrant d’insuffisance respiratoire. Après la poste de style wilhelmien, se trouvait une vaste pelouse dont l’horizon était barré par le blanc alignement des colonnes de la « maison des conversations ». On s’y réfugiait pour lire la presse ou jouer aux échecs. Le calme régnant, trois lapins de garenne s’ébattaient dans l’espace vert cru. Deux autres léporidés rejoignirent bientôt les débats. Alors un vieux couple se  mis à l’abri du vent dans une de ces tentes de couleurs vives en forme de capote de carrioles qui fleurissaient en bordure de promenade.

P.G.

 

Michèle Berthelot

Le coq

 

On dit que je suis petite pour mon âge. Six ans déjà ! Et ce besoin de grandir vite, cet instinct de défense depuis mes trois ans, quand le voisin, dont je me méfie beaucoup m’avait demandé mon âge justement. Trois ans, j’avais dit. « Hé! qu’ tu serais déjà bonne à marier ! » Horrifiée, j’étais.

Six ans, et si petite. Le soir je rentre seule de l’école par un chemin de traverse, avec une tranquille insouciance, cueille quelques fleurs sauvages. Cela fera plaisir à maman.

Je sens pourtant lorsque j’approche de la ferme du voisin, l’inquiétude tomber sur moi, mon coeur se serrer. J’imagine qu’une proie s’agrippe à mon dos, jette son bec dans ma bouche…

Va t-il m’attendre? fondre sur moi toutes ailes battantes, arrêter net sa course devant moi? Je l’attends à ma droite.

Pas là! vite filons… Au moment où je pense la voie libre, je n’ai pas vu d’où il était arrivé, il est là, posté à ma gauche. Je me fige sur place. Il ébroue ses plumes grises pour se donner plus d’importance, d’ampleur, les ailes grandes ouvertes, tient fièrement la tête haute, l’oeil noir, la crête conquérante, et le bec, se grandit sur la pointe des ergots prêt à décoller, gratte le sol de rage contenue, j’ose donc me trouver là, moi, petite chose. Il va bondir.

Le coq! mon regard noir, moi aussi, de toute la méchanceté du monde, je ne me laisserai attaquer…

M.B.

 

Hélène Kiremidjian 

La nature aux aguets

 

Me voilà enfin arrivée sur la plage, déserte, comme je l’espérais. Assise au creux d’un fourré, juste là où le sable se mélange encore à la terre ferme, aux herbes folles et brindilles dorées. Déjà la lumière s’estompe et le ciel flambe de ses couleurs rosées. Je suis là, seule, devant cette belle mer. Ce bleu originel et ces dégradés inconstants.

Il y a juste un point noir là-bas, qui vient de se rapprocher. Un marin à l’âge mur et la carrure épaisse s’arrête là, muni d’un seau, empoigne férocement son large couteau et dépèce quelques poissons miséreux. Gestes mécaniques, vifs et surs. En un instant, une dizaine de créatures gisent dans le seau, éventrés, boyaux vidés flottant çà et là.

Un ou deux oiseaux, là-bas, ont aussi vu la scène. Le marin, têtu, continue son massacre. Les oiseaux planent et le regardent de haut. Le malheureux jette alors une pierre sur eux. Une fois. Deux fois. Rien n’y fait, les doux oiseaux continuent de flâner.

La besogne accomplie, le vieux se retire vers la ville. Mais voilà qu’un bruit me terrasse. Repliés autour de leurs becs pointus, les oiseaux piquent du nez vers la mer, l’un après l’autre, et dévorent les restes de poissons encore chauds. Ce n’est plus un ou deux oiseaux qui tournoient mais un essaim assoiffé d’une demi-douzaine. L’horreur me saisit. Je sens la vie qui foisonne dessous, à côté et autour de moi. Il est temps de rentrer. Mais que se passerait-t-il si je restais encore là, tapie au creux de mon fourré ?

H.K.

Isabelle Vilain

Blue Moon

 

C’est une splendeur. Une éblouissante créature à la robe bleu électrique semée de paillettes d’or, aux immenses nageoires délicatement plissées. Comme les jupes soleil à la mode dans les années soixante qui tournoyaient autour des jambes nerveuses des filles quand elles dansaient le twist ou le rock, elles ondoient et se déploient dans l’espace réduit de l’aquarium pour le plus grand bonheur des yeux.

Dans ce bocal en plastique transparent, pas plus grand qu’un demi-ballon de football, accroché au mur du salon au milieu des photos de famille et des dessins d’enfants, ce flamboyant poisson miniature a pour seuls compagnons des graviers et des perles roses, des galets plats et lisses empilés en une tour beige et grise, des bambous au feuillage panaché vert tendre et blanc rosé. Il fait des bulles pour tromper son ennui. Il mange des boulettes de viande alors qu’il raffole de daphnies, d’artémias ou de vers de bananier. Il s’attarde à la surface, tourne en rond à la recherche d’un congénère ou d’une femelle à conquérir. Mais il n’a personne devant qui parader.

Il est seul.

Qu’ont-ils fait de toi, petit Combattant, toi qui étais né pour vivre dans les eaux douces et chaudes des lointaines rizières du Siam ? Tu as été capturé, manipulé, emprisonné par des hommes sans scrupules. On t’apprend des tours, on te caresse la tête, on t’exhibe dans des concours tel un trophée.

Mais ton âme est éternelle.

Ta beauté le proclame.

I.V.

Nouchka

Amélie Sudrot-Duval

 

Ma tante a toujours préféré la présence des bêtes à celle des hommes. Dans sa maison, j’ai vu vivre des dizaines de chiens, chats et volatiles en tout genre. Mais je me souviens d’une chienne en particulier : Nouchka, croisée rottweiler et berger allemand. Je passais mes étés à jouer avec. Et puis une année, en sautant de la voiture pour la retrouver, elle a remué son trognon de queue comme par politesse et a filé se coincer entre le canapé et le buffet. J’eus beau tout tenter pour l’amuser, elle resta allongée là, ne sortant que pour faire ses besoins, ne recherchant pas l’affection. Et cela ne s’arrangea plus. Chaque été, je m’asseyais près d’elle pour lui parler, et caresser sa tête, qu’elle gardait immuablement reposée au sol. Et plus je la découvrais apathique, plus je repensais à la question soulevée autrefois par le professeur de philosophie au lycée : l’animal a-t-il une conscience ? Cette chienne pensait, j’en étais persuadée, sinon cette tristesse soudaine ne se serait pas abattue sur elle, comme un souvenir remonté à la surface dont elle ne pourrait plus se détacher et qui lui aurait fait perdre goût au monde. En l’observant, je comprenais mieux le désir de mort qui submergeait parfois les gens, cette inégalité face à la tristesse, ou la mélancolie, je ne sais pas bien, et touchant certains plus que d’autres. Nouchka mourut à quinze ans sans que je ne découvre ce qui avait bien pu se passer dans sa tête, mais cela, sans doute, n’aurait rien changé.

A.S.

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