Sandrine Clarac : « Je veille à être le passeur humble des mots d’un autre »

Biographe certifiée, Sandrine Clarac utilise sa posture de comédienne pour se mettre à l’écoute des autres pour raconter, avec eux, leur histoire. Auteure de plusieurs biographies, nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de sa pratique.

L’Inventoire : À quel moment de votre parcours vous êtes-vous dit que vous pourriez devenir biographe ? Quel a été le déclic ?

Sandrine Clarac : J’avais envie de professionnaliser ma pratique d’écriture. J’ai toujours été attirée par les histoires -petites ou grandes- que me racontaient des gens proches ou inconnus. Combien de fois me suis-je dit « Quel récit ! Quelqu’un devrait l’écrire pour que l’on entende ce parcours. » L’été 2020, en écoutant le récit de vie d’un cousin, j’ai visualisé très précisément les lieux et les personnes qu’il mentionnait. Je me suis surprise à noter mentalement ses tics de langage, les émotions qui le traversaient. Il m’est venu à l’esprit que je pourrais écrire sa biographie.

En quoi ce choix s’articule-t-il avec votre parcours antérieur (comédienne, art-thérapeute, auteure – théâtre-poésie-nouvelle) ?

Être biographe est un prolongement assez logique de mon parcours professionnel. C’est un métier créatif, exigeant, technique et qui place la parole de l’autre au cœur du processus. Tout comme l’interprétation de textes pour une comédienne et l’accompagnement des personnes en création en atelier d’art-thérapie.

Le fait d’être comédienne vous aide-t-il à « faire entendre la voix de l’autre » pour en raconter l’histoire ?

Absolument ! Les techniques d’observation et l’empathie me permettent de rechercher la justesse de la représentation de l’autre, l’authenticité dans le récit biographique comme dans le jeu de comédienne. Je veille à être le passeur humble des mots d’un autre.

 Que vous apporte l’activité de biographe par rapport au métier de comédienne ?

La proximité et l’échange avec les personnes. Quand on travaille un personnage, il ne vous donne aucun retour, il ne vous fait pas de réflexion sur votre travail d’interprétation. Le biographe peut lire dans les yeux de son client si la voix qu’il transmet est juste, c’est-à-dire s’il se reconnait dans le récit. Je suis également heureuse d’approcher la richesse, la diversité des parcours. C’est passionnant. La vie dépasse bien souvent la fiction.

Le biographe écoute son client et se positionne en porte-plume. Le biographe n’est pas un thérapeute.

Que vous a apporté la formation au métier de biographe d’Aleph-Écriture ?

La formation « Devenir biographe » m’a permis d’acquérir des techniques : d’écriture, de conduite d’entretien, de positionnement de cadre. Les formatrices m’ont sensibilisée aux valeurs de ce métier et j’ai ainsi pu établir ma charte de déontologie.

Comment définiriez-vous la limite, dans votre approche des biographiés, entre art-thérapie et retranscription des récits qui vous sont confiés ? Quelle est la différence et votre déontologie à ce sujet ?

Pour moi, ces activités présentent un point commun, c’est l’accompagnement des personnes. Le biographe accompagne sur un chemin des souvenirs. L’art-thérapie accompagne des personnes en difficulté vers un mieux-être par l’entremise d’un processus de création. Mais cela s’arrête ici. Les objectifs sont différents. Le biographe écoute son client et se positionne en porte-plume. Ce n’est pas une démarche thérapeutique et le biographe n’est pas un thérapeute.

Je l’ai clairement inscrit dans ma charte de déontologie. Ma posture en tant que biographe n’est pas de conseiller, ni de montrer des voies, ni même d’apaiser. Je me place à côté de mon client, dans une écoute attentive et respectueuse. Dans un seul objectif, élaborer un récit de qualité.

 Parlez-nous d’une des dernières biographies que vous avez écrites.

C’est une dame de 89 ans qui souhaitait partager avec ses enfants et petits-enfants sa vie de femme dans les années 60, 70, de mère de famille avec un engagement professionnel très fort. Quand on raconte sa vie à cet âge-là, le parcours semble tellement riche ! J’aime quand elle cherche dans sa mémoire des noms. Elle ferme ses yeux et sa peau se tire vers le nez, c’est une grimace toute drôle qui plisse son beau visage. Elle est malicieuse, vive et intelligente et c’est toutes ces qualités qui doivent rythmer mon récit.

 Un beau souvenir de travail au fil des rencontres ?

Une jeune femme qui, après avoir entendu le texte que je lui ai écrit, me remercie, les yeux embués par l’émotion et le sourire éclatant.  Après nos échanges, elle déclare avoir envie d’écrire elle-même la biographie posthume de sa grand-mère.

 Tout d’abord, je demande à préciser les destinataires. C’est essentiel pour déterminer l’angle de la biographie.

Comment trouve-t-on « le fil rouge » qui va dérouler la biographie de la personne que vous rencontrez ?

Tout d’abord, je demande à préciser les destinataires. C’est essentiel pour déterminer l’angle de la biographie. Il faut attendre deux ou trois entretiens pour trouver le fil rouge. C’est ce qui reviendra ponctuer les souvenirs, comme si tout le récit se tendait vers un évènement ou un pan précis de la vie du client.

Dans ce métier, où on est en face à face avec la personne qui désire que vous écriviez sa biographie, il est parfois utile de vous appuyer sur un réseau de pairs pour vous assurer que vous êtes sur le bon chemin quant au récit. Comment s’organise ce réseau professionnel ?

Nous avons la chance d’avoir eu un groupe de formation exceptionnel. Nous étions neuf femmes différentes et nous avons débuté en distanciel, mais le procédé mis en place par Delphine Tranier-Brard et Michèle Cléach a permis de se connaître en profondeur et de développer l’entraide dans la confiance et le respect.

Depuis, nous nous rencontrons régulièrement, comme ce dernier week-end à Dunkerque. Outre les moments de partage festifs, nous avons consacré une journée entière aux échanges de pratiques. Le groupe, comme un miroir, permet une certaine vigilance dans les relations que nous engageons avec nos clients, comme un garant de notre déontologie. Nous avons échangé des conseils, des tuyaux, des logiciels. J’en suis revenue revigorée ! C’est très précieux d’être entourée. En dehors de ces rencontres, nous avons créé sur une application de messages un groupe ressource pour nous entraider à résoudre des questions ou des difficultés qui se posent dans la pratique du métier.

Quels sont vos prochains projets personnels et que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

 J’attends les réponses à deux projets. Écrire ou offrir une biographie est un acte réfléchi et il se passe parfois beaucoup de temps entre le premier contact et sa réalisation.

Et l’on peut me souhaiter … de continuer d’écrire tous ces chemins, toutes ces diversités fascinantes !

DP

Pour en savoir plus, découvrez le site internet de Sandrine Clarac ici.