André Cantor « Papy » et Julien Dutoit « Allez savoir »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « L’Inventeur » de Miguel Bonnefoy. Parmi les 8 textes sélectionnés voici celui de André Cantor et Julien Dutoit.
André Cantor

Papy

Devant moi s’étalent quelques cartes officielles avec photo, carte d’identité, émeraude, d’électeur, d’accès, de combattant. Ces quelques cartons jaunis, écornés, marqués d’une signature fidèle, résument-ils une vie entière ? Les photos, juxtaposées sur le bureau, témoignent de l’empreinte du temps sur un visage qui, s’il tente de s’affirmer sérieux, n’en perd aucunement son caractère de profonde bonté.

Mon grand-père, Emile Ambroise pour ces certificats, Papy chéri pour moi, était né en août 1894. À vingt ans, canonnier sur le Charlemagne, il voit ses copains torpillés dans l’enfer des Dardanelles. La grande guerre terminée, il étudie sans relâche jusqu’à devenir ingénieur des travaux maritimes. Sa carte du combattant, octroyée en 1930, le signale résidant à Brest. Il supervise alors l’implantation de batteries défensives sur les îles bretonnes. Moins de dix ans plus tard, alors qu’Emile est affecté à Cherbourg, ces installations seront intégrées par les allemands au mur de l’Atlantique. Allemands dont Emile doit supporter le joug pour diriger les français qui doivent travailler à l’arsenal.

La carte d’officier de réserve confirme qu’il travaille ensuite à Paris au Ministère de la Marine, dont une autre carte lui donne droit à un accès permanent en 1959. Puis ce fut la retraite et l’accueil de ses petits enfants dans l’appartement parisien de la rue Taine. La dernière carte, en parfait état, date de 1981 : il avait renouvelé sa pièce d’identité peu de temps avant son décès.

Julien Dutoit

Allez savoir

Il est né dans une étable en une année qui reste à déterminer. Sa mère s’appelait Marie et son père était charpentier. Certains pensèrent que c’était un roi et vinrent, guidés par l’étoile, se prosterner devant lui.

Gamin, il fabriquait des oiseaux en boue d’argile et, frappant dans ses mains, les faisait s’envoler pour amuser ses camarades de jeu. Un jour, d’un simple souffle et d’un claquement de doigts, il guérit son frère qui avait été mordu par une vipère. Il avait des dons étranges. Il donnait du fil à retordre à ses parents.

À douze ans, il entrait au temple, écoutait les prêtres et leur expliquait des choses qu’ils ne savaient pas/ Il était si intelligent que personne ne pouvait lui donner de leçons.

Alors, son père le prit avec lui, il lui apprit son métier. Ils fabriquèrent ensemble des jougs, des ages (attelages) et des charrues. Il s’était calmé et songeait même à se marier. Cependant, à cette époque, on parlait beaucoup de son cousin, qui baptisait à tour de bras. Il le rencontra. Ce fut sa perte. Car il se mit à parcourir le pays. De nombreux hommes quittèrent leur foyer pour aller avec lui. De plus, il faisait des prodiges, rendant la vue aux aveugles, ses jambes au paralytique, la joie au déprimé.

Cela déplut fortement aux autorités qui l’arrêtèrent. Il fut jeté en prison, jugé et condamné.

Il a été crucifié entre deux larrons, il a été enseveli, mis au tombeau.

Il était bel et bien mort, parole des docteurs.

Pourtant, certains proclament qu’il est toujours vivant.