Jean-Pierre Milliet : « Une étoile dans l’eau » et Pascale Peyron « Julien de J. »    

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « L’Inventeur » de Miguel Bonnefoy. Parmi les 8 textes sélectionnés voici celui de Jean-Pierre Milliet et Pascale Peyron Royer.
Jean-Pierre Milliet

Une étoile dans l’eau

Mon cher André,

J’ai pu prendre le temps de faire les recherches dont vous m’aviez chargé.

Ainsi, Amélie Lang est née le 6 juin 1881 à Paris de père inconnu. Et, bien vite hélas, sa vie s’avère difficile. Elle est confiée à une tante dont elle a peur et à un oncle qui tente d’abuser d’elle. Elle donne le jour à un garçon alors qu’elle n’a que 17 ans. Le père, un peu plus âgé qu’elle, se montre violent. Elle s’enfuit alors qu’elle a 19 ans.

Elle devient modèle pour gagner sa vie auprès des artistes du bateau-lavoir. Elle prend le nom de Fernande Olivier. C’est alors qu’elle fait la connaissance de Pablo Picasso dont elle devient la muse et la maîtresse.

On retrouve ce portrait d’elle que le maître réalise au début de sa période cubiste. Il s’en inspirera pour un des personnages des Demoiselles d’Avignon, tableau que vous-même avez conseillé d’acheter à votre ami Jacques Doucet et que vous avez qualifié de « symbole pur ».

Cette femme, d’un courage rare, le quittera car elle pensait qu’il « l’aimait moins » alors qu’elle lui demandait de la conseiller pour ses premiers pas dans la peinture.

Sans doute l’avez-vous croisée un jour ou l’autre et elle aurait pu alors vous inspirer ces mots de vous que j’adore : « Qu’est-ce que la femme ? Une étoile dans l’eau. »

Hélas, cher ami, elle est décédée tout récemment, le 26 janvier de cette année.

Bien à vous.

Victor Brauner

Victor Brauner est mort le 12 mars 1966 et André Breton est mort le 28 septembre de la même année.

 

Pascale Peyron Royer 

Julien de J.       

Le plus jeune d’une fratrie de huit, Julien, bénéficia des percées effectuées par ses aînés. Sa mère, épuisée par les premiers de cordée, le laissa croître par imitation.  

Sa famille catholique pratiquante, connue dans le canton, vivait depuis cinq générations dans un castel qui, s’il avait connu le lustre antérieurement, s’était passablement délabré. Le manque de moyens ne permettait plus de l’entretenir.  

Un hiver, il devait avoir treize ans, la vieille chaudière à bois tomba en panne. Julien, qui était étonnamment bricoleur, se mit en tête de la réparer après qu’un professionnel eut diagnostiqué qu’il fallait désembourber l’ensemble de l’installation sans pouvoir intervenir. C’est ainsi que Julien devint plombier chauffagiste. 

À vingt ans, il s’installa à son compte. Sa mère, enfin vacante, s’occupa de la comptabilité. Il faut dire qu’ils vivaient tous deux dans la grande demeure une fois le père rappelé aux cieux et la fratrie éparpillée. L’entreprise eut du mal à progresser, Julien ne  réclamait pas le règlement des impayés. Sa mère – qui avait été bachelière en 38 – lui fit lire toute les classiques du dix-neuvième glorifiant les ascensions sociales fulgurantes et les grandes fortunes pour l’aguerrir. À trente ans, il avait cinq employés, à quarante une PME.  

Seul dorénavant au château, célibataire et cinquantenaire, il lui prit de remettre la main à la pâte pour réparer la chaudière en panne. Elle explosa. L’édifice, qu’il avait patiemment restauré, fut rendu à la forêt. 

 

Photo : extrait du tableau représentant Fernande Olivier/Musée de Montmartre