Christophe Duchatelet : « Identifier ce qui caractérise cette langue à l’œuvre dans l’écriture »

Christophe Duchatelet est écrivain et scénariste, il animera du 24 Septembre 2022 au 19 Mars 2023 à Aleph-Écriture un nouveau stage (qui fait suite à « Ouvrir son roman 1ère année »  :  « Avancer dans son roman« . 

L’Inventoire : Ce stage s’adresse à un public déjà engagé dans un projet romanesque et souhaitant le mener à terme. Faut-il avoir pour le suivre un embryon de roman, et sous quelle forme ?

Christophe Duchatelet : Ce stage s’adresse en effet aux personnes engagées dans un roman, proches d’achever leur premier jet. Quatre de mes participants du cycle « Ouvrir son roman 1ère année » s’y sont déjà inscrits et c’est un grand bonheur de les retrouver pour cette seconde année d’écriture et les accompagner vers l’accomplissement de leur récit. Celles et ceux qui souhaitent rejoindre ce cercle constitué lors de la précédente saison devront eux aussi être lancés dans un processus d’écriture romanesque au long cours, disposant au moins d’une soixantaine de pages et d’une structure narrative déjà bien ébauchée (et ayant une pratique régulière de l’écriture).

De quelle manière peut-on enrichir son roman ? S’agit-il de redéfinir un arc narratif ou plutôt de développer certains personnages ?

Il s’agit d’un approfondissement de tous les points de la structure narrative : langue, personnages, arc dramatique. En ce sens, cette carte peut être modifiée ou enrichie. Dans ce nouveau cycle, on s’attachera surtout à travailler la continuité de la progression narrative et l’unité de l’univers, de creuser le mystère des personnages… Autre étape de ce stage, cruciale celle-ci : choisir la concision, couper, resserrer l’intrigue. Bien souvent nous hésitons à choisir entre plusieurs idées concurrentes, qui parfois ralentissent l’écriture ou nuisent à la clarté du propos. Nous apprendrons à repérer ces effets de répétition ou de parasitage et à recadrer les éléments de l’intrigue, parfois en faisant le deuil de certaines fausses pistes.

Comment retravailler son style en atelier ?

Je préfère parler de la langue, terme plus approprié à l’écriture romanesque que cette notion de style un peu datée :  la langue, c’est une manière de raconter et de décrire le monde. La nature de la langue provient de la forme empruntée par le récit, elle diffère selon les genres littéraires. Dans ce stage, on s’efforce d’identifier ce qui caractérise justement cette langue à l’œuvre dans l’écriture, puis de la développer en la pratiquant dans la durée à travers divers exercices.

Vous allez mettre l’accent dans votre stage notamment sur les rituels d’écriture. Peut-on vous demander quels sont les vôtres ?

Comme j’en ai parlé dans un précédent entretien, j’écris la plupart du temps en me glissant dans la peau et la voix de mon ou de ma narratrice. Dès lors j’entre dans une phase d’envoûtement où je me laisse envahir par les pensées de ce personnage, je m’efface en lui jusqu’à entendre ses mots, voir le monde depuis ses yeux. Pour cela, je m’enferme dans le noir, je me déconnecte de mes liens cognitifs habituels, (ceux du cerveau mode par défaut), je vise un état de conscience modifié, et je donne vie ainsi à mon personnage de fiction, qui devient alors un compagnon de voyage, avec lequel je dois me battre et converser. Un autre rituel que je conseille : racontez l’histoire personnelle de vos personnages à votre journal intime : ce qu’ils ont fait aujourd’hui, ce qu’ils ont pensé de tel ou tel événement de l’actualité, ce qu’ils ont mangé…

Quel est votre livre de chevet actuellement (ou le livre de votre été) et pourquoi ?

En ce moment, je lis principalement des essais, dans lesquels je puise une grande source d’inspiration pour mon écriture romanesque. Saisir une idée générale comme on en trouve dans les essais, puis la traduire en termes fictionnels ouvre de grandes perspectives d’écriture. Comme par exemple, Au commencement était… de David Graeber et David Wengrow (Ed. Les liens qui libèrent, paru en novembre 2021) : un ouvrage qui propose une relecture passionnante et inédite de l’histoire humaine sur la base des nouvelles découvertes ethnologiques.

Les groupes humains antécédents ont été bien plus inventifs en matière d’organisation sociale et de relation aux vivants qu’on le pensait jusqu’à maintenant. Nous percevons nos prédécesseurs de façon stéréotypée : chasseurs-cueilleurs, puis sédentarisation et agriculture, puis enfin création des villes, des Etats et du pouvoir vertical. Or, cette linéarité est fausse. Des formes de vie bien plus savantes et sophistiquées ont existé avant d’être abandonnées et concurrencées par l’instinct de prédation. Comme l’expliquent David Graeber et David Wengrow dans leur volumineux ouvrage : cette histoire réévaluée et dynamique a de quoi nous inspirer pour trouver des réponses à la crise que nous traversons et nourrir nos fictions contemporaines.

DP

Christophe Duchatelet est l’auteur de trois romans : Le Stage agricole, Flammarion, 1997. Pelles & Râteaux, Calmann-Lévy, 2008. Par-dessus ton épaule, Grasset, 2017.

Il travaille dans l’édition comme ghostwriteret conseiller littéraire. Cofondateur de La Revue Perpendiculaire (Flammarion, 1995-1998), il a également été scénariste pour la TV et le cinéma. Il enseigne le storytelling éthique à l’Iscom. Titulaire d’un master de Création littéraire à l’Université de Paris 8, ses recherches littéraires explorent la question des voix (humaines et non humaines) à travers des récits aux accents fantastiques (écologie, nouvelle alliance avec le vivant).