Écrire à partir de « Il me faut te dire » d’Arlette Farge

Cette semaine, Solange de Fréminville vous propose d’écrire à partir de l’ouvrage d’Arlette Farge, Il me faut te dire (Éditions du Sonneur, « Ce que la vie signifie pour moi », 2017). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 6 juillet à l’adresse : atelierouvert@inventoire.com.

Extrait

« Un de mes plaisirs est de reconnaître à son écriture une personne aimée, ses pleins et déliés, ses courbes, ses ratés, les majuscules oubliées, le dessin des mots, le paysage d’un moment passé à tenir une plume pour dire quelque chose à quelqu’un. L’enveloppe est une promesse ; dans cet étui, il, ou elle, est là (…) Ne plus localiser l’autre, ne plus pouvoir rêver de tel ou tel quartier de Paris, des rives de la Garonne si elle habite Bordeaux, de la place Stanislas s’il demeure à Nancy. C’est un lien de moins, une sorte d’anonymat, de frustration (…) Réfléchissant à ce manque qu’est pour moi la non-réception de missives écrites à la main, je me suis aperçue que l’immersion dans la houle des archives manuscrites du XVIIIe siècle avait façonné ma manière d’aimer l’écriture (…) les quelques écritures, rares, je l’avoue, de lettres adressées au roi ou à la police par des hommes et des femmes. Les lettres d’embastillés à leurs parents, les suppliques tracées de façon quasi phonétique où voyelles, consonnes, syllabes s’enchaînent étrangement, émeuvent par leur tremblé, leur impossible assurance. Le chagrin se lit sous les plumes comme il s’entend dans les voix. Plus saisissante encore la signature de ceux qui ne savent pas écrire, une simple croix qui tremblote comme si elle avait très froid. »

Suggestion

Vous allez choisir à qui vous voudriez écrire, mû par la nécessité d’un « Il me faut te dire » destiné à une personne de votre entourage, ou bien à un personnage public, ou encore à un personnage imaginaire comme le fait Arlette Farge. Une personne, donc, à qui vous ressentez la nécessité de « dire quelque chose » qui vous importe. Bien sûr, il vous appartient d’imaginer dans quel registre va être écrite la lettre, et sur quel ton. Volonté de partager ce qui vous tient à cœur, quelque chose que seule l’écriture d’une lettre vous permettra de dire à cette personne-là. Comme toujours en littérature, l’auteur de la lettre, le « Je » qui écrit, ne se confond pas forcément avec vous- même. Vous pouvez également vous mettre dans la peau d’un auteur imaginaire. Une fois votre choix effectué, vous allez écrire une lettre «pour de  vrai » – qui ne devra toutefois pas dépasser un feuillet standard d’un maximum de 1500 signes. 

Lecture

J’ai découvert Arlette Farge en lisant La Révolte de Mme Montjean, (Albin Michel 2016), en même temps que le 14 juillet d’Eric Vuillard. Les deux auteurs partagent la même passion pour les personnages minuscules qui font l’histoire : les « sans voix », dont les historiens parlent moins que les romanciers, sauf s’ils aiment aller fouiller dans les archives des tribunaux ou de la police, comme le fait Arlette Farge. La Révolte de Mme Montjean, c’est le journal d’un artisan en confection d’articles de mode, écrit à Paris en 1774-1775. Dans les Archives nationales, il est intitulé « Journal d’un mari trompé ». Écrit à la première personne par Monsieur Montjean, il fait le récit d’un homme dépassé par les frasques de sa femme, qui aspire à une autre vie, bien éloignée de celle d’une épouse d’artisan qui doit travailler avec son mari. Puis, par hasard, j’ai découvert ll me faut te dire. Ce tout petit livre sensible et impliqué, également signé Arlette Farge, m’a touchée. Il est donc écrit sous la forme de lettres adressées à des personnes réelles ou fictives : à un enfant de onze ans qui lui demande « C’est quoi la vie sans Dieu ? ». Ou bien à un historien pour lui dire sa colère : « Quand saurons-nous vraiment que ce n’est pas nous, historiens, qui faisons l’histoire, mais bien les individus, petits et grands ! » À un ami pour lui dire son émerveillement de se réveiller dans un monde de couleurs au moment de se réveiller d’un cauchemar en noir et blanc. Ou à Barnabé, rencontré dans des archives de police du XVIIIe siècle : «Ce jour-là, votre prénom, Barnabé, m’a attiré. C’est joli, Barnabé. Vous étiez interrogé par un commissaire de police un certain 14 décembre 1763 pour avoir frappé dans un cabaret un officier recruteur de soldats.»  Ou encore à un ami rencontré par hasard après des années, façon de prolonger une conversation au cours de laquelle ils n’avaient parlé que de leurs chats. Au réalisateur Nanni Moretti, afin de lui dire à quel point son film Mia Madre l’a éblouie. En creux se dégage le portrait d’une femme, avec ses émotions, ses colères, ses convictions, tout ce qui la nourrit. Ses lettres, écrites sous le coup d’une nécessité, s’adressent en vérité à chacun de nous.

S. d-F.

Solange de Fréminville conduit des ateliers d’écriture à Paris pour Aleph-Écriture, notamment des ateliers ouverts en librairie et l’atelier « Écrire avec les auteurs contemporains ».

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