« Être le journalier de sa propre vie » : Catherine Berthelard

Catherine Berthelard vous propose du 2 mai au 20 juin 2023, d’explorer la lisière ténue entre journal intime et pratiques vagabondes du carnet à l’occasion de son stage à distance « Carnets ». Elle animera également du 21 au 25 août « Carnets du bord de mer au Ciel de Royan »
L’Inventoire : Quest-ce que « faire lexpérience du carnet » ?

Catherine Berthelard : Le carnet, outil de poche, amène celui qui sy prête, à faire lexpérience dun nouveau regard sur le monde. Il lui permet d’éclaircir sa vision, de regarder ce, et ceux qui lentourent de façon plus attentive; ce que Perec appelle cet infra-ordinaire dont nous sommes privés. Être le journalier et le journaliste de sa propre vie qui se déroule à chaque seconde dans le quotidien. 

Écrire donne alors de la valeur à ce que je vois et à ma représentation du monde.

Le carnet ramène à lici et maintenant résonnant dans la mémoire et vient ainsi s’écrire au présent. Il aime linstantané et les perceptions sensorielles. Dans le carnet, on croque, on note, on ébauche. Le carnet devient également le compagnon de l’écrivain quand celui-ci lève la tête de son oeuvre, réfléchit à son écriture, initie les traces de ses projets.

On voyage avec un carnet dans ses bagages, il peut accueillir une mise en forme des mots dans l’espace de la page.

Est-ce que le toucher et l’écriture manuelle apporte quelque chose de plus dans une démarche d’écriture ?

Écrire un carnet, cest être au plus près de lobjet. Le carnet peut tenir dans le creux de la main, devenir papier plié dans le sac ou se poser sur les genoux. Peu de place pour écrire alors les mots se font précis et rares. Plus despace, alors l’écriture se déplie vers la note ou le fragment. On voyage avec un carnet dans ses bagages et, contrairement aux autres champs d’écriture, il peut accueillir le graphisme, les couleurs, une mise en forme des mots dans l’espace de la page.

Proposez-vous des pistes d’écriture pour expérimenter le carnet ?

Bien sûr. Cest ce qui fait entre autre, lintérêt de suivre ce stage. Je propose d’investir les espaces du quotidien, de chez soi jusqu’à la rue, de la rue au quartier, de prendre le temps de sarrêter pour regarder nos voisins, nos collègues, nos amis; de passer des espaces les plus petits jusqu’aux espaces les plus vastes.

Quest-ce que raconte le square derrière chez moi ? De quoi parlent les commerçants de mon quartier ? Que disent les affiches de ma rue ? Je propose de jouer avec les différentes formes du bref, en passant par la poésie, les réflexions sur notre façon d’habiter le monde, ou par les descriptions du réel.

On se prête à des expériences de thèmes et de formes variées. On samuse, on s’étonne, on se découvre différent, on prend plaisir à partager nos regards, nos émotions, nos pensées. Alors quelque chose du dehors et du dedans s’entrecroise et se révèle dans l’écriture.

Comment travailler sur un carnet avec un groupe en distanciel ?

En distanciel , c’est un peu différent, chacun explore aussi lextérieur mais il s’agit de celui où il réside et il dessine ainsi sa géographie personnelle. On voyage dans dautres contrées, celle que chacun habite. Par teams, les éléments graphiques prennent une grande place et chacun à sa table trace, croque, photographie…

Carnet Atelier Palazzo Torlonia/ Fabienne Verdier

L’été, avec le stage Carnets de bord de mer en présentiel, les pastels, les peintures, l’architecture de la ville de Royan et les ballades nourrissent également ces carnets de bord de mer.

Quels carnets aimez-vous feuilleter, ceux dont vous vous êtes inspirée pour construire de stage ?

Depuis longtemps jai la passion de lire de nombreux carnets d’écrivains, de photographes, de peintres mais aussi de danseurs, car leurs carnets voyagent entre lintime et lextime, au plus près de lexpérience. Souvent ils sont des observateurs inspirés de la Nature, des humains, des lieux, de leurs enthousiasmes ; ils cherchent à dire la beauté complexe du monde.  Mes préférés pour cette raison sont ceux de Claude Roy qui écrit les saisons et lamour avec grande délicatesse. Ses fragments deviennent  des bulles dair légères et inspirantes.

Jai également une grande tendresse pour les carnets de Paul Valéry, de Georges Perec, de Georges Perros mais aussi pour ceux plus contemporains de Thierry Metz, d’Arnaud Catherine, ceux de Fabienne Verdier proches de la peinture.

L’écriture du carnet maide à minscrire dans le temps, à récolter les instants légers ou essentiels.

Quelle est votre propre pratique du carnet ?

Je tiens des carnets depuis très longtemps. Jai essayé de nombreux formats. Jai parfois privilégié l’écriture et dautres fois le graphisme, le collage ou la photographie. Jai exploré des mises en page, des mise en scène du texte dans lespace de la page. Jai un grand respect pour l’écriture du carnet. Elle maide à minscrire de façon plus vivante dans le temps, à récolter les instants légers ou essentiels de mon passage et à faire le récit  du monde. Elle me permet, miroir de mon travail d’écriture, de comprendre des étapes importantes de mes créations et les facettes de ma vie. Jexplore aujourdhui des carnets à plusieurs mains et jen éprouve un immense bonheur. Jexplore également cette recherche dans des carnets sonores autour du quotidien. Le stage Carnets de bord de mer à Royan, cet été sera loccasion dexplorer davantage encore cette approche du regard, du mot et du son dans la pratique d’un carnet vagabond.

 DP

Illustration de la vignette : Carnets de Jocelyne le Mer / stage Carnets 2020

Lire aussi l’article : Carnets du corps

Quelques repères :

Claude Roy, La fleur du Temps

Georges Perec, Espèces d’Espaces

Thierry Metz, L’homme qui penche

Georges Perros, Papiers collés

Fabienne Verdier, Echo : Carnets 2017-2022