Disparaître et réapparaître au Moulin d’Andé : « Écrire ses vies rêvées et les vraies »

Dans le cadre de son programme « J’écris les histoires de ma vie », en partenariat avec Le Pélerin et La Croix, Aleph-Écriture organise deux résidences d’écriture au Moulin d’Andé (Normandie) : « Les événements et les lieux de ma vie » du 10 au 14 juillet « Les mots et les objets de ma vie« , et du 28 août au 1er septembre 2023. Pour en savoir plus cliquer ce lien

Le Moulin d’Andé a été construit au 12ème siècle. Entouré d’un parc de plusieurs hectares, il abrite près d’un bras de Seine des dépendances transformées en chambres sobres, s’ouvrant en extérieur sur une table et des chaises. Près de la bâtisse principale aujourd’hui transformée en salle de spectacle, semble posée sur l’herbe une salle à manger grand ouverte sur le jardin.

Très paisible, c’est un endroit tout à fait rare qui possède une certaine qualité d’énergie et de silence. On pourrait dire que ce lieu a une âme, peut-être parce que dès sa transformation en résidence d’artistes dans les années 70, par la regrettée Suzanne Lipinska, ce lieu a accueilli beaucoup de cinéastes, d’écrivains, et de musiciens.

Proche de Paris, il était facile à Truffaut de s’y isoler pour écrire des scénarios, d’y faire répéter sa troupe des 400 coups, et plus tard, d’y filmer plusieurs séquences de Jules et Jim. Alain Cavalier y a tourné son premier film Combat dans l’île avec Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant (on peut toujours aller sur cette île en barque). Ionesco y a écrit des pièces, Clara Malraux l’intégralité de ses livres ; quant à Maurice Pons, venu pour le week-end il y est resté toute sa vie. C’est peu dire que ce lieu est habité et inspirant.

La chambre de Perec « Les Pages »

C’est aussi ici que Georges Perec, fuyant Paris après son prix Renaudot en 1965 (pour Les Choses), a écrit durant 3 ans « La Disparition », un livre où il a éliminé le « e » de son roman ; où la voyelle « e » brille par son absence; ces « e » pour « eux », ses parents disparus. Son père mort à la guerre en 1940 et sa mère déportée à Auschwitz en 1943. Venu au calme pour écrire ce livre, il restera dans cette chambre « Les Pages », au 1er étage du Moulin.

Extrait : 

« Plus tard, voulant toujours y voir plus clair, il tint son journal. Il prit un album. Il inscrivit au haut du folio initial :

LA DISPARITION

Puis, plus bas :

Il a disparu. Qui a disparu ? Quoi ?

Il y a (il y avait, il y aurait, il pourrait y avoir) un motif tapi dans mon tapis, mais, plus qu’un motif : un savoir, un pouvoir ».

Aujourd’hui encore, ce lieu accueille des scénaristes toute l’année (via son association le CECI  – Centre des écritures cinématographiques-), des écrivains venus terminer leur livre, et des masterclass instrumentales dirigées par de grands interprètes. Les élèves, au calme pour apprendre, répéter partout dans le domaine, peuvent jouer le soir dans la salle de concert.

Ce qui frappe quand on séjourne au Moulin d’Andé est l’assemblée de résidents heureux et concentrés, de personnages en quête de leur livre, d’élèves sur leurs violoncelles ou de petits groupes en relecture de leur scénario, disséminés dans le vaste parc. Il y a toujours une cachette pour écrire, et au son de la cloche de midi et de dix-neuf heures, un bon repas à prendre ensemble, cuisiné par un chef inspiré qui veille au confort des convives et aux repas équilibrés des artistes.

Fasciné par les lieux, qu’on retrouve dans son œuvre : Espaces d’espaces, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, La Vie mode d’emploi, rien d’étonnant que Georges Perec y ait trouvé cet endroit pour disparaître trois ans, avant d’y réapparaître une fois ce livre si important pour lui, terminé.

Escale, havre de paix, expérience du bonheur simple de marcher dans les bois et de découvrir les secrets de l’île, j’ai eu la chance d’y séjourner deux fois. Deux séjours hors du temps.

Il ne faut pas manquer l’occasion d’y passer quelques jours, c’est peut-être le meilleur endroit pour se surprendre, ou pour se (re)trouver. Ou pour écrire, tout simplement.

Danièle Pétrès

La disparition, Georges Perec (Éditions Denoël 1969, republié par Gallimard Imaginaire/poche en 2019).