J.M. Martinez, éditions Louise Bottu: « Le vrai sujet c’est la manière »

Maison d’édition créée en 2013, Louise Bottu est située entre Dax et Orthez. Elle privilégie des textes courts, entre aphorisme, poésie et objet littéraire à contrainte. Sur son site on peut lire à la page des nouveautés : « La page des ‘nouveautés’ n’en compte aucune. Nos livres iront directement à la page ‘catalogue’ sans passer par la page ‘nouveautés' ». 

Une ligne éditoriale affirmée, qui se fonde sur la qualité stylistique avec une prédilection pour l’humour, voire, l’ironie. Maison inclassable, nous avons interrogé Jean-Michel Martinez, gérant des Éditions Louise Bottu, pour en savoir plus.

« Il y a des chefs-d’oeuvre et de mauvais livres, ne comptez pas sur moi pour donner des noms ».

Inventoire : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette maison d’édition ?

Jean-Michel Martinez : Le goût des mots et une expérience antérieure dans l’édition, sous la forme associative.

Inventoire : Pourquoi avoir choisi le nom d’une héroïne de Pinget ?

Jean-Michel Martinez : Une forme d’hommage à Robert Pinget, un grand auteur dont on parle assez peu. Louise Bottu fait de brèves apparitions dans son œuvre, en particulier dans Monsieur Songe. Elle y est décrite en poétesse « toute déjetée, boiteuse et tremblotante » qui, en parlant de son prochain livre, oublie son âge. Pinget dit qu’elle « ressuscite ».

J’aime cette aptitude à la reviviscence. Je la sens enthousiaste et naïve. Or, j’ai toujours trouvé, y compris, ou peut-être surtout, chez les auteurs les plus savants dans leur réflexion et dans la composition de leurs œuvres, j’ai toujours trouvé chez les auteurs réputés lucides un fond de naïveté qui à la fois me surprend et me réjouit.

Inventoire : Comment choisissez-vous les manuscrits que vous publiez ? J’ai lu quelque part que vous alliez beaucoup sur le web où vous aimiez faire des découvertes d’écriture ?

Jean-Michel Martinez : Les premiers auteurs ont été contactés via internet. Depuis, les manuscrits arrivent en nombre.

Inventoire : Dans un entretien accordé à La Cause Littéraire, vous dites que d’une certaine manière, Louise Bottu est « transgenre »

Jean-Michel Martinez : « Transgenre » en réponse à une question sur la diversité de nos publications, pour dire que nous publions aussi bien fragments que romans, poésie, aphorismes, extraits de blogs, essais…

Par ailleurs, Louise Bottu ne se demande jamais si elle est une éditrice homme ou un éditeur femme.

Inventoire : Etes-vous seul maître à bord, ou combien de personnes regroupe Louise Bottu ?

Jean-Michel Martinez : Ni Dieu ni maître à bord. Au gré du courant.

Inventoire : Qu’est-ce qui vous décide à publier tel texte plutôt qu’un autre ?

Si nous le savions…

Inventoire : Est-ce que le style est plus important que l’histoire ?

Jean-Michel Martinez : Les deux sont inséparables, bien sûr. Mais ce qui est bien dit n’est jamais quelconque. Je dirais volontiers que l’histoire est un prétexte au style. Le vrai sujet c’est la manière, oui. Exprimer de manière singulière sa banalité.

Inventoire : Êtes-vous adepte de cette phrase de Baltasar Gracián “Vite et bien, deux fois bien”?

Jean-Michel Martinez : « Ce qui se dit bien se dit en peu », je cite le mot de Gracian dans l’entretien auquel vous faites allusion. Je ne connaissais pas votre version. Finalement elles disent la même chose, « en peu » pouvant signifier « en peu de lignes » ou/et  «en peu de temps». Pour ma part je ne pensais pas au temps. J’ai vu récemment que Philippe Sollers reprend dans Fugues la même formulation que vous pour dire que la lenteur est ennemie de la concision.

Les auteurs que j’aime évoluent vers la sobriété dans leur écriture. Mais « bien », « lenteur » et « vitesse » sont des notions subjectives. Sans doute cela dépend du type de texte et il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle « écriture », quelle partie du travail global on isole pour l’appeler « écriture ».

Je ne pense pas qu’un auteur ait besoin de penser longtemps à ce qu’il écrit. Ce qu’il écrit lui vient rapidement. Un peu comme apparaît le champignon. Mais sous le champignon il y a le mycélium, ses filaments, ses ramifications. Si le geste d’écrire est vif, il est l’expression d’une longue maturation en amont. Le temps est là, pas dans l’immédiateté de l’écriture, mais qui la précède. Et lui succède : il me paraît inévitable pour l’auteur de consacrer du temps à l’élagage, à la mise en forme. Un auteur est rarement concis d’emblée. Supprimer, éclaircir, réduire, cela ne se fait pas en un clin d’œil. Donc du temps, mais avant et après l’écriture — avant et après l’écriture proprement dite.

Je dirais pour finir que l’auteur ne pense pas. Il est pensé. Il ne travaille pas, il est travaillé. Par le temps, et à travers le temps par tellement d’influences souterraines, pour la plupart insoupçonnées. Le bon auteur n’est pas celui qui maîtrise le mouvement, mais celui qui s’y abandonne, celui qui s’oublie dans le geste d’écrire pour accompagner le mouvement, un mouvement qui lui échappe.

Je note que cette réponse sur la brièveté est la plus longue de toutes : je n’ai pas su le dire en peu donc je n’ai pas su le dire bien.

Inventoire : Combien de livres publiez-vous par an?

Jean-Michel Martinez : Environ six par an. Soit peu. Ou trop, c’est selon. Les écrivains sont là pour écrire, qui leur en tiendrait rigueur. Par contre ils ont tendance à vouloir publier. La peur qu’on les oublie, l’angoisse de la mort, ils sont tentés de tout publier. De confondre les gammes et le concert.

Pour en revenir à la question précédente : écrire vite, certes, mais se hâter lentement.

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.

Polissez-le sans cesse et le repolissez. »

Boileau, Art poétique

Louise Bottu, qui est une toute petite chose, n’en revient toujours pas de recevoir autant de manuscrits. Au point qu’elle envisage parfois de ne publier qu’un livre ou deux par an – publier peu pour publier bien ?

Inventoire : Comment voyez-vous votre maison d’édition dans 5 ans ?

Jean-Michel Martinez : Les plans quinquennaux ont historiquement prouvé leur déconnexion de la réalité.

Inventoire : Quelle est votre “bibliothèque idéale”?

Jean-Michel Martinez : Je ne saurais pas vous dire. Dans le mot idéal, dans l’adjectif idéale, il y a le fantôme de l’absolu, du parfait. Il y a se faire des idées. J’ai une bibliothèque. Elle est petite. Elle n’est pas idéale mais réelle. Il y a des chefs-d’œuvre et de mauvais livres, ne comptez pas sur moi pour donner des noms. De grands et de petits livres. Des livres que je n’ai jamais lus, que j’ai à peine parcourus, ou sur lesquels je n’arrête pas de revenir. Des livres que j’ai aimés et que j’aime moins. Peu de romans, quelques essais, poésie et théâtre un soupçon, guides en tout genre, quelques livres d’art et des dictionnaires, pas mal de dictionnaires.

Inventoire : Votre livre préféré ?

Jean-Michel Martinez : Le dictionnaire.

Inventoire : Seriez-vous prêt à écrire le livre qui vous manque?

Jean-Michel Martinez : À l’éditer, sans doute. Tout en sachant que le livre qui manque toujours manquera. Et c’est bien ainsi.

Propos recueillis par Danièle Pétrès, décembre 2016. Troisième publication janvier 2022

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