Olivier Ginestet, fondateur des Éditions Amok : « Des textes courts qui en disent long »

Créée en 2016 par Olivier Ginestet, Amok est une maison d’édition indépendante, spécialisée dans la publication de textes courts. Avec déjà 12 titres à son actif, la maison d’édition rochelaise sait découvrir de courts romans qui se lisent d’une traite avec passion. Rencontre.

« Le terme « amok » caractérise une certaine folie. J’espère ne pas être trop atteint »…

Olivier Ginestet

Inventoire : Pourquoi avoir créé une maison d’édition en 2016 ?

Olivier Ginestet : Il y avait longtemps que j’y pensais. Mais je n’étais pas attiré par les côtés administratif et commercial du métier d’éditeur. Avec l’expérience, avec l’âge aussi, on gagne en confiance et on ose prendre des risques. Mais des risques mesurés puisque j’étais auteur avant d’être éditeur, et j’ai pu bénéficier d’un réseau utile pour créer une maison d’édition. J’avais des liens avec d’autres auteurs, avec des libraires, des bibliothécaires…

Inventoire : Aviez-vous dans l’idée de combler un vide éditorial en matière de textes courts ?

Plusieurs maisons d’édition proposent des textes courts. Les grands éditeurs publient parfois des livres d’une centaine de pages, mais il est vrai que ce n’est pas leur particularité. J’ai souhaité en faire un signe distinctif pour Amok, parce qu’il fallait se distinguer dans la jungle éditoriale, trouver un signe particulier. Il me semble aussi qu’un livre de 100 à 130 pages est un format adapté à notre époque. Il n’est pas très cher et il faut relativement peu de temps pour le lire.

Inventoire : Comment êtes-vous passé du métier de bibliothécaire, d’auteur, à celui d’éditeur ? Avez-vous fait une formation spécifique ? Bénéficié de subventions ?

En tant que bibliothécaire, j’évoluais dans le monde du livre. Et comme j’étais également auteur, je bénéficiais des réseaux nécessaires pour franchir le cap. En revanche, je me suis appuyé sur mon expérience et je n’ai reçu ni formation spécifique ni subventions pour le moment.

Vous avez appelé votre maison d’édition Amok, en hommage aux récits courts de Zweig. Est-ce un acte militant à l’heure de la publication sur Internet et des plateformes d’édition numérique ?  (autrement dit êtes-vous complètement amok [1]?)

Le terme « amok » caractérise en effet une certaine folie. J’espère ne pas être trop atteint…

J’ai appelé la maison d’édition Amok car j’aimais l’idée de faire référence à l’œuvre de Zweig. Il y avait aussi une cohérence puisque ses romans ne sont pas très longs, sans pour autant appartenir à la nouvelle. De plus, je trouvais que le mot « Amok » sonnait bien et pouvait se retenir facilement.

En ce qui concerne internet, j’ai fait le choix de publier des livres au format papier. Amok ne propose pas encore de téléchargement en ligne. Je ne suis pas opposé à internet et j’utilise les réseaux sociaux pour la communication. Mais je suis attaché à l’objet « livre » et au-delà à toute la chaine qui en découle : auteur-éditeur-imprimeur-diffuseur-distributeur-libraire-lecteur…

Est-il difficile de faire vivre une maison d’édition indépendante dans une ville moyenne, comme La Rochelle ?

Michel Crépeau disait : « Il faut garder les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. » Le monde des livres nous permet d’avoir la tête dans les étoiles et, pour enraciner Amok, nous avons besoin de garder les pieds sur terre. En l’occurrence, à La Rochelle où nous voulons être un acteur culturel local. Nous participons à des manifestations, proposons des ouvrages liés à la ville sans pour autant être régionalistes. Certes, Amok veut être un « éditeur de proximité », mais nous ne sommes pas distribués uniquement à La Rochelle. Les livres d’Amok sont disponibles dans toutes les librairies de France et de Navarre grâce aux systèmes de référencement bibliographique utilisés par les professionnels du livre.

Pourquoi avoir choisi la forme du roman court (où Stephen Zweig excellait), vous n’aimez pas les gros romans ?

Il est vrai que j’écris moi-même des romans et des documentaires assez courts. Mais je n’ai rien contre les gros romans. En tout cas, je pense qu’il est difficile d’en écrire, de rester cohérent dans l’histoire et intéressant dans la narration. C’est mon point de vue de lecteur mais aussi d’éditeur.

Comment vous êtes-vous fait connaître des auteurs que vous publiez ?

Il y a tellement de personnes qui souhaitent trouver un éditeur que même si nous nous cachons on finit toujours par nous trouver. Je plaisante mais nous recevons beaucoup de propositions via notre site internet et les réseaux sociaux. Nous avons aussi la chance de connaître des auteurs dont nous apprécions la plume et qui ont accepté de travailler avec nous.

Qu’est-ce que vous aimez en premier lieu dans un texte que vous lisez ?

Avant de juger de la qualité du texte, je suis sensible à l’atmosphère que je vais découvrir. C’est très subjectif mais c’est normal.

Il faut que les premières lignes me fassent une bonne impression. Ensuite, il faut que l’histoire me semble intéressante, que le développement soit cohérent. Il est difficile de dissocier le fond et la forme.

Je peux aussi reconnaître les qualités d’un texte et refuser de le publier, soit parce qu’il ne correspond pas à la ligne éditoriale, soit par ce qu’il me semble trop éloigné de l’esprit d’Amok.

Combien de livres par an publiez-vous ?

Notre programme éditorial est de 3 titres par an. Mais nous ajoutons un titre supplémentaire lorsque nos résultats nous le permettent. Après trois ans d’existence, nous avons 12 titres au catalogue, soit une moyenne de 4 titres par an.

Avez-vous facilement trouvé un diffuseur pour vos collections ?

Nous avons la chance d’avoir un diffuseur-distributeur qui nous fait confiance. Il est très efficace dans l’ouest de la France. Mais ce n’est pas évident de s’imposer et de trouver un bon partenaire lorsqu’on démarre avec très peu de moyens. C’est normal car il faut prouver sa crédibilité.

Aleph propose, à Paris et à La Rochelle notamment, des cycles d’écriture qui accompagnent sur deux ans les jeunes auteurs de romans « courts » : pensez-vous qu’on puisse apprendre à écrire des romans ?

Bien sûr. Je pense même que l’on apprend encore quand on a atteint un certain niveau.

Des conseils peuvent être très utiles. Avec l’expérience, on peut aussi alléger son style, être plus à l’aise avec l’humour, éviter les passages qui n’intéressent que l’auteur… En tout cas, je pense que même les gens qui ont du talent ont besoin d’apprendre.

Vous avez récemment formé un partenariat avec Gallimard (Folio) après la publication d’un inédit de Joseph Kessel. Parlez-nous de cette aventure éditoriale. Comment avez-vous déniché ce texte ?

Comme je le disais, Amok est un éditeur de proximité et il se trouve que l’un des ayants droits de Joseph Kessel, Pascal Génot, travaille à l’université de La Rochelle. Pascal Génot conserve de nombreux manuscrits du grand écrivain. En étroite collaboration, nous avons décidé de publier des textes inédits concernant la Première Guerre mondiale. Ce sont des récits remarquables écrits par un jeune Kessel âgé de 16 ans. Je remercie Pascal Génot d’avoir accordé sa confiance à Amok. Nous avons ensuite proposé à Gallimard de publier le recueil au format poche. Le grand éditeur a immédiatement accepté, ce qui nous a permis de gagner en crédibilité après deux années d’existence.

Parlez-nous du prix Amok que vous organisez.

Nous avons organisé un concours à l’issue duquel le lauréat a été publié par Amok. Il s’agissait d’une opération de communication dans le cadre de la création de la maison d’édition. Nous n’avons pas renouvelé l’expérience mais nous le ferons peut-être dans les années à venir.

Vous-même avez publié plusieurs romans. Est-il simple de faire cohabiter deux identités, celle d’écrivain et celle d’éditeur ?

Je peux choisir de publier un texte que j’ai écrit, si celui-ci correspond à la ligne éditoriale d’Amok que j’ai moi-même fixée. En revanche, lorsque j’écris des contes pour enfants ou des chansons pour un groupe de musique, je ne les publie pas chez Amok.

Quelle est l’identité que vous préférez ?

J’aime bien être dans l’ombre et l’éditeur est souvent moins exposé à la lumière que l’auteur. Cependant, je préfère me retrouver à la place de l’auteur et créer mon propre monde, un univers qui m’appartient… même si je suis prêt à le partager avec des lecteurs…

Pour en savoir plus:

Éditions Amok Olivier Ginestet – Des textes courts qui en disent long
3 rue de Montréal 17000 La Rochelle

Page Facebook Amok /Instagram Amok


[1] Introduit dans la langue française vers 1830, le terme « amok » provient du mot malais amuk qui signifie « rage incontrôlable » pouvant désigner aussi bien la personne atteinte que l’accès lui-même.