Coline Farah
Masculinité fragile
Avec Louise, je veux mais j’hésite, je crains et me retiens. Je me questionne. J’apprends. Je ne comprends pas. Je demande à d’autres. Mais j’ai appris une chose, assurément ; quand elle dort, je n’ai pas le droit de la toucher, de la caresser, ni d’amorcer un quelconque préliminaire.
Louise somnole à côté de moi, un peu plus loin que d’habitude. La canicule de juin sépare nos corps habituellement connectés. L’oreiller humide sous ma nuque, je bande. Je tourne la tête à droite pour la regarder : recroquevillée sur le côté, dos à moi, parée d’une culotte en coton imprimé. Dans mon bassin c’est l’Atlantique de mon enfance. La force des vagues, les courants, l’impétuosité, la marée. Mon pubis, mon sexe, tout mon bas-ventre ; c’est l’océan. Mes bras ont les idées pleines de châteaux de sable, de constructions fantasques où elle crie son plaisir. Mes doigts agiles, mes lèvres débordantes, mes yeux fermés, ma nuque trempée, mes idées, rien ne bouge. Louise la sauvage. Bien plus jeune que moi. La peau élastique et blanche. Les taches de rousseur. Les hanches larges. Les seins pendants. La première fois que je les ai vus, place de la République, ils étaient exposés à la vue de tous, maquillés du mot FEMEN. J’ai cherché sur internet, me suis abonné à la newsletter. Aujourd’hui, j’ai salué ses parents pour la première fois, ils attendaient devant le portail de leur ferme normande réhabilitée en demeure de maître. Puis le vin du midi a réclamé sa sieste dans la chambre d’amis qui sera la nôtre pour le week-end.
Le long de mes cuisses, mes doigts pianotent sur le matelas. Je me tourne et me retourne, faisant flotter le drap, soufflant sur son corps par procuration. Son cul magistral m’obsède. Je crève d’envie de faire claquer l’élastique de sa culotte, mais pas trop fort, juste pour la taquiner, puis fermer les yeux. Ce n’est pas moi, me défendrai-je. Pouffer de rire, l’embrasser, la chatouiller, lui faire l’amour. Pourtant l’amour ne garantit rien. L’humour non plus. Son souffle se raccourcit. Elle se place sur le dos, son bras gauche sur les yeux, dévoilant son aisselle poilue. De ma pleine langue, lui lécher le duvet brun, goûter le sel de sa sueur, descendre le long de ses côtes, remonter sur la courbe de son sein et mordiller son téton encore mou, attendre son gémissement. Impossible. Absolument impossible. Je chuchote : Louise, Louuiiiise.
Un pied ne peut pas être suspect. J’approche mon droit de son gauche. Orteil contre orteil. Puis le dessus, contre le dessous. Elle ronronne. Alors, je lui caresse l’intérieur de la cuisse du bout des doigts. Elle grogne. J’arrête. Je me revois sur le canot pneumatique de mon père dérivant au large de Mimizan canne en main. Vouloir baiser Louise, c’est long et incertain comme pêcher à la ligne. Je n’attrapais jamais rien. Je croyais que cela avait changé. Les souvenirs de notre dernière nuit durcissent ma retenue. Ma queue dans sa bouche, mes hanches contre sa croupe, ses lubies, ses accessoires, ses jeux que je découvre un à un, ses règles ! Baise-moi Louise, je t’en conjure ! Elle respire lentement. Plus un seul geste. Ma queue c’est la corde séchée tendue, rigide. Ce sont les volets qui grincent au petit matin, le sable au fond des chaussures, le sel qui tire sur ma peau brune, le dégât des eaux au retour de vacances, le pneu éclaté sur l’autoroute. Je me réfugie dans les toilettes, me concentre et pisse. À mon retour : Louiiiiiiiiseee, tu dors ? Je m’assois lourdement sur le rebord du lit. Mes narines fleurent la moiteur de son entrejambe. Le souvenir de son goût m’émeut ; ivresse âcre de mon nez dans ses plis, de ma langue sur ses muqueuses. Musc, foin, calcaire, gibier, banane, souffre, bois humide, pamplemousse, vinaigre. Je souffle fort. Elle grogne encore. Fesser, taper, pénétrer, bondir, manger, posséder, harnacher, baiser, vibrer, chanter, danser, insérer, envelopper, vivre, tambouriner, doigter, fister, lécher, embrasser ! Fais-moi vivre Louise !
Le cycle se répète, je lui pincerai ses petits tétons rosés, la garce. Cogner les murs, verser le pouilly-fumé du midi sur le lit et tout cramer : Louise, ses parents, la baraque. Boire de la javel, lui montrer à quel point je suis fou. Quand elle s’approchera, quand elle désirera mes doigts fins sur sa peau lisse, je me refuserai. Je me mordrai l’intérieur de la joue et tiendrai bon. Elle saisira ma queue dure, mais je dirai : non ! Cette fois, j’y arriverai ! Elle comprendra comme c’est douloureux. Elle ouvre ses grands yeux de chatte mal lunée, ne sourit pas. J’attends, assis. Elle attrape le drap à ses pieds, le remonte jusqu’à son cou, referme les paupières, se détourne.
Elle ne m’aime plus, j’en suis sûr ! Cela devait arriver. C’est fini. Pour toujours fini. Adieu fougue et jeunesse, désir impétueux, vacarmes nocturnes. Louise ne me quitte pas, je t’en conjure. Je ferai tout ! Je revisiterai mes classiques, je me laisserai pénétrer. Je lui caresse les cheveux pour lui dire au revoir, puisque c’est ainsi. Elle est si douce, irrégulière, farouche. Je ne touche aucun centimètre de sa peau blanche, c’est la règle. Son crin châtain sera l’exception, elle n’a jamais rien dit à propos de cela. J’aurais aimé la connaître une dizaine d’années plus tôt, lorsque je n’avais pas le torse fripé ni de toison blanche autour des oreilles. Toujours elle aurait réclamé que je la prenne, vite et fort. C’est moi ! Je sais que c’est moi le problème.
Sans me regarder elle se lève, sort de la pièce. J’entends la mélodie de l’urine dans les toilettes, puis la chasse. Je vénère le dernier signe d’intimité qu’elle me livre. De retour dans la chambre, elle se retourne, ferme la porte à clé.
C’est sûr, je rêve.
Elle s’approche de moi.
Je n’y crois pas.
Les yeux mi-clos, elle m’embrasse.
Je dois me reprendre.
Elle saisit ma nuque.
Je succombe.
Le pouvoir je lui laisse, je l’aime.
C.F.