Maurice Olender: « Toute signature implique l’être dans sa totalité »

Maurice Olender, historien et éditeur, vient de publier au Seuil (La librairie du XXIème siècle, 2017) Un fantôme dans la bibliothèque. Entre écrit autobiographique et essai, il y parle de l’écriture, de l’archive et de ce qui a constitué son difficile chemin vers la lecture.

Longtemps, Maurice Olender n’a pas voulu lire, parce que les mots étaient devenus des armes de destruction, qu’on ne pouvait se fier à leur récupération par les autorités qui avaient gouverné l’Europe pendant la deuxième guerre mondiale.

Maurice Olender nait en 1946 à Anvers dans une famille « sans archives matérielles » à une période où « l’écrit porte en soi une impossibilité de lecture » dans un « monde d’oralité où l’on dissertait sans arrêt sur ce qui n’existait plus : villes, rues , maisons, cimetières, paysages, humains vivant de tous âges évaporés dans un no man’s land qui n’était même pas celui des morts ».

Jusqu’à ses 20 ans où il commencera à exercer le métier de tailleur de pierres, se pose à lui cette question lancinante : « comment peut-on apprendre à lire, à écrire, comment l’écriture peuvent conduire à légitimer la mort de millions de jeunes hommes valides, ni soldats, ni combattants, d’enfants, de femmes, de vieillards ? Comment peut-on apprendre à lire les alphabets de langues dans lesquelles ont été pensées et consignées, en tout légalité, des lois (en France, en Italie, en Allemagne) qui triaient les humains, séparant ceux qui étaient destinés à la vie de ceux qui devaient disparaître pour « raison de naissance »… Dans un tel univers, où la vie se fait exercice de survie, les représentations mentales se chargent d’archives impalpables. »

La question de « ce goût pour le fondement », de la « capacité à interroger les traces du passé pour formuler un nouveau récit, trouve peut-être ici quelques éclaircissements ». De fait, Maurice Olender commencera à collecter des traces d’écrit pour constituer un corpus d’archive sans savoir où celui-ci le mènera, dès ses premières lectures.

Ce n’est qu’à 20 ans, qu’il achète ses premiers volumes en grec et en latin. Il ne peut pas les déchiffrer alors, peut-être est-ce d’ailleurs pour cela qu’il les achète, pour posséder une langue idéale, qui n’a pas été au cœur du génocide. Ces deux langues lui serviront de sauf-conduit vers la lecture, la conservation, l’écriture « peut-être pour rendre palpable un rêve, lisible de l’illisible, audible de l’inouï. Afin d’arriver un jour à donner corps à ce dont je ne savais rien : la mémoire d’un Occident enfoui sous les cendres de mon enfance ».

Mon père, homme sans lecture, sans écriture, tenait un discours fondateur de lecture, d’écriture – comme s’il savait tout de ce qu’il ignorait. Il insistait : toute signature (d’un chèque, d’un accord, d’un contrat – finalement tout écrit) implique l’être dans sa totalité. Mon rapport à l’édition, à la lecture, à l’écriture et à la collecte paradoxale d’archives est sans doute né d’une nécessité de construire et d’ajuster le monde à chaque instant pour le faire advenir ».

Plus tard, Maurice Olender écrira des livres, plus tard encore, il éditera ceux des autres. Lui qui dit dans Libération ne pas avoir de bureau au Seuil car un « bureau est un instrument de pouvoir », va à la rencontre des auteurs qu’il publie dans des cafés. Ne se reconnaissant aucune étiquette, éditeur, écrivain, historien, chercheur, archéologue, il préfère parler de lui à travers sa bibliothèque, dont ce livre dessine les contours.

Au final l’existence de cette bibliothèque attesterait de la réalité de celui qui l’a constituée, l’archive d’une pensée déployée à travers des ouvrages dont le fantôme errerait toujours, à la recherche d’un livre impossible à écrire : celui d’une réconciliation avec le réel.

Dans la vision de la bibliothèque de Max Olender, il s’agit plus  d’accumuler des preuves d’une langue parlée par des écrivains et des chercheurs, étayées par l’existence d’archives que de constituer un corpus idéal, car celui-ci restera introuvable, en raison de la folie humaine qui a mené à la Shoah et à une tentative de destruction de la mémoire écrite du monde.

Reste l’oralité et la fuite d’un homme, entre Belgique et France, qui préfère lire dans le train, dans ce territoire chargé d’une mémoire qu’il a reconstruit sur les cendres de son enfance.

Danièle Pétrès

Pour aller plus loin : http://www.imec-archives.com/fonds/olender-maurice/

Pour écouter Marince Olender : https://www.franceculture.fr/emissions/a-voix-nue/a-voix-nue-mardi-7-novembre-2017

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