Nuit de la lecture 2018 en librairie

Pour la deuxième édition de la « Nuit de la lecture », Aleph-Écriture et la librairie Le Rideau Rouge, à Paris dans le 18ème, ont organisé une nouvelle fois un atelier d’écriture en soirée qui a réuni personnes du quartier et d’ailleurs. Le thème choisi était « Retiens la nuit ». L’animatrice, Solange de Fréminville, a lu de courts extraits de textes de Maupassant, Giono, Georges Jean, Grand Corps Malade, autour de la nuit en ville avant de lancer sa proposition d’écriture. Après avoir été lus et commentés dans l’atelier, les textes ont été mis en voix (avec chant jazzy improvisé) par deux autres animatrices et comédiennes d’Aleph, Laurence Faure et Aline Barbier.
Découvrez à présent à travers les textes que nous ont envoyé les participantes, quelques-uns de ces instants lus, arrachés à la nuit urbaine.

 

RETIENS LA NUIT

Amélie Sudrot-Duval

L’Arbre

Je n’avais pas eu envie de rentrer tout de suite. Entourée des voitures inertes aux mêmes reflets jaunes et des grandes étoiles rectangulaires des immeubles, la ville de nuit m’avait rassurée, et donné le tournis aussi, comme de regarder l’horizon depuis un pont, en pensant à la terre qui tourne, au monde autour de nous, trop grand. Je m’étais immobilisée devant une petite clôture qui délimitait un jardin dans lequel s’enfonçait une maison de style victorien.  Je m’y étais arrêtée pour l’arbre au bord du trottoir, feuillage tacheté éclairé du dessus par un lampadaire. Les ombres des feuilles supérieures tombaient sur celles d’en dessous, et cela jusqu’au sol. Sans prévenir, il y avait eu un coup de vent, et par dessus les branches isolées, les demoiselles sombres s’étaient toutes dressées telles des danseuses. Sous la surface du béton craquelé, l’arbre avait semblé prêt à déborder, laissant apparaître l’entrelacs des racines que j’imaginais s’étendre en deçà des habitations, des commerces, le long des routes pour rejoindre d’autres territoires au ciel rempli de points lumineux.

Aurélie Chenel

En vélo

Je rentre chez moi et, plaisir suprême, au lieu de prendre le métro  pour terminer mon trajet, je décroche un vélo. C’est après mon cours de danse, et il fait nuit. Le ciel n’est pas le même selon les saisons. Celui que je préfère, c’est le bleu nuit, ce bleu profond si intense et si beau que l’on voudrait qu’il nous aspire.

Je longe le canal. Tout est si calme, moment de liberté et de sérénité. Je respire profondément. Je savoure la caresse de l’air, l’agréable sensation de glisse du vélo. Les lumières se reflètent sur l’eau : c’est si beau ! L’été les berges du canal sont encore animées : jeunes gens venus pique-niquer, joueurs de pétanque, quelques barques sur l’eau… Et si l’on voit la Lune c’est encore mieux, croissant ou disque plein sur lequel on devine la forme d’un lapin. C’est mon ami lapin sur la Lune, il m’accompagne sur ma route et dans mes rêveries.

J’arrive presque, et dernier moment de plaisir furtif, dans ma rue, une porte entrouverte d’où s’échappe une délicieuse odeur de brioche, pour le petit-déjeuner des gourmands.

Marine Gauthier

Insomnie

Le métro aérien passe, mes pensées aussi. Dans un sens, puis dans l’autre. Et quand les dernières rames s’en sont allées, il ne reste que mes angoisses, libres d’occuper tout l’espace. L’insomnie commence ici, au cœur de la nuit.

J’ai peur de ne pas dormir du tout. Je suis excitée d’être réveillée à cette heure interdite. Je pense aux gens qui aiment la nuit et n’en ont pas peur. A ceux qui ne font jamais leur lit. A ceux qui se couchent au petit matin, à l’heure où moi je finirai enfin par m’endormir.

Sandrine Pollien

L’insondable de l’obscurité

Vautré dans un lit récupéré en brocante, il respire difficilement. Je sais que les nuits de pleine lune lui sont pénibles. Je sais qu’il ne supporte ni l’éclat jaune et laid des lampadaires, ni la rondeur de la grosse dame parmi les étoiles. Mais je sais aussi que c’est à cause de moi, je sais qu’il a peur de ce que la nuit me fait faire.

Le manque de lumière, les objets perdus derrière des ombres, et cette grosse boule blanche dans le ciel, si lourde qu’elle aurait dû en tomber depuis longtemps, ça me donne envie de faire des choses que je ne ferais pas si je savais qu’on pouvait me voir. Éteindre la lumière, heureusement, ne suffit pas. Il faut que le ciel soit noir, que la grosse soit pleine, et là, et seulement là, je perds mes repères. Moi j’aime me perdre dans l’insondable de l’obscurité, mais à lui, ça lui fait un peu peur.

Je me fiche de ses peurs. Seule l’obscurité compte. D’ailleurs, elle m’appelle…

Amber Mariel Petersen (version originale en anglais)

Night stories

Night used to be a scary place
My childish imagination created monsters out of shadows,
Intruders of the coats hung on my wardrobe
The bogey man hid under my bed waiting to grab my ankle if I dare run to the safety of my mother’s duvet

I never wanted to go to bed

That took a long time to change

Now I love the night
Hot thick summer air cooled by the river
Or
Cold wet nights curled in bed with a book
Still a time pregnant with vivid imagination
But the stories are of love and all the wonderful things made of my hopes

Gently… I close my eyes.
(traduction en français)

Histoires de la nuit

La nuit terrifiait mon imagination d’enfant, créait des monstres à partir des ombres.

Les manteaux accrochés sont des cambrioleurs.

Un méchant se cache sous mon lit, il est prêt à attraper mes chevilles si j’ose courir vers la chambre de ma mère.

Je n’ai jamais aimé dormir.

C’est la seule chose qui n’a pas changé. Désormais j’adore la nuit.

Les nuits chaudes d’été près de la rivière ou les nuits froides et pluvieuses éclairées à la bougie. C’est toujours pour moi un moment propice à l’imagination.

Maintenant, les histoires ont changé et elles parlent d’amour, d’espoir, et de toutes les belles choses à venir.

Doucement, je ferme les yeux.

Brigitte Dujardin

Elle marche

La nuit ! La marche !

Elle écoute les pas, elle presse les siens.

Ses pieds avancent rapides, elle colle aux lampadaires.

Une voiture déboule, la double, crissent les pneus.

Les vitrines aveugles, elle marche droit devant.

La ville désertée dort, elle marche.

Fanny Simo

Rectangles jaunes sur façades noires

C’est curieux, entendre le bruit de ses pas sur le pavé. Ne pas se presser, surtout ne pas se presser. Les réverbères diffusent une lumière tendre et imitent maladroitement cette grosse lune rousse qui pend dans le ciel comme un fruit mûr. Il semblerait que les arbres, habitants imperturbables des trottoirs, attendent le crépuscule pour dévoiler leurs arômes. La nuit est malicieuse. Elle allume des centaines de milliers de rectangles jaunes sur des centaines de milliers de façades noires. Et ce sont autant d’écrans ouverts sur l’intimité des autres, de ces autres que le jour on croise, on ignore, on effleure ou on dévisage. Quelques instants de vie volés, capturés par un regard indiscret. Fenêtre de cuisine embuée, fenêtre à demi ouverte laissant  échapper la fumée d’une cigarette, fenêtre fermée dévoilant un grand tableau au dessus d’un fauteuil à bascule habité par un félin paresseux. Et puis, il y a une jeune femme qui danse et un garçon qui articule quelques mots. Mais que dit-il ? L’imaginer.

Amélie Aimedieu

La Nuit, sens en émoi

La nuit, le jour, la nuit, le jour, la nuit…

Ce duo vertueux se fait place inlassablement.

Ils ne se rencontrent jamais, ne s’enlacent jamais, ne s’effleurent jamais et pourtant leur union s’accorde pour former un seul et même mot : journée.

La nuit

Début de l’obscurité,

Seconde vie éveillée,

La nuit tous les sens sont en émoi.

Le premier organe que l’on aperçoit dans la pénombre est celui qui reflète en miroir la vie noctambule, c’est l’organe identitaire, le symbole de nombreuses civilisations, le reflet de l’âme, en toute chose : l’œil.

L’œil dessine les scènes de la vie nocturne.

En se plongeant dans ce corps vitreux, on peut voir les mouvements des badauds esseulés.

Le sens visuel perd pied et en d’innombrables fragments de secondes, il est déboussolé.

Dans la rétine, on aperçoit un ballet de lumières instantanées. Ces lumières recomposées scintillent dans le noir et se reflètent dans nos pensées.

Les silhouettes se sculptent dans un mouvement de balancier et déambulent en une démarche poétique et floutée.

Un tableau pointilliste reconstitue des scènes de bar, d’amour, de fête, de mélancolie et d’insomnie, les possibles de la nuit.

L’œil est l’accroche des sens, il se ramifie ensuite vers les autres.

L’odorat est exacerbé et les papilles de la cloison s’ouvrent et se fanent aux mêmes instants.

Les odeurs enivrent l’esprit et le transportent vers des univers tamisés et bercés de mélancolie.

Le sens tactile est quant à lui bercé de tendresse. La nuit procure un toucher soyeux, laineux et velouté qui emmitoufle le corps dans un nuage de douceur. Le corps s’élève vers la voie lactée, transporté par un vent léger et apaisant.

L’ouïe est exacerbée, en ébullition et perturbée. La nuit, les sons résonnent avec une acoustique jazzy, électro et classique. Les sons s’entremêlent dans un brouhaha incessant. La trompe d’eustache lance des flots de vibrations dans les différents canaux, irriguant tous les bruits qui s’illustrent dans la nuit. L’oreille déséquilibrée par les palettes sonores, transforme ses perceptions en un concert d’émotions.

Enfin, le goût vient acheminer et terminer ce parcours des ressentis de la nuit. Il déguste et dévore avec gourmandise les mets désordonnés et généreux. Il se délecte de spiritueux et de liqueurs pour enivrer la pensée. Les touches salées et acides viennent se réveiller sur des papilles endormies qui attendaient le doux baiser des saveurs de l’ombre.

La nuit donne du sens aux sens, et témoigne de la diversité sensuelle de l’humanité.

Odile Castiglione

Nuit d’hiver à Paris

C’est l’hiver, 17h30, il fait déjà nuit en ville. Tout le monde sort du boulot pour rentrer chez soi ou finir sa journée de visite, pour regagner son lieu de résidence, en métro, en train, en voiture vers le périphérique, ou à pied…

Les rues sont illuminées. Boire un verre dans notre capitale très animée, de jour comme de nuit,  il y en a pour tous les goûts. On découvre les bars déjà animés avec leur formule happy hours, on découvre nos places parisiennes où se produisent musiciens ou chanteurs avec leur répertoire, et les comédiens avec leur jeu théâtral, les ponts où passe notre Seine déchaînée et la crue qui recouvre bancs et passages depuis ces derniers temps avec la pluie qui ne cesse de tomber jour et nuit, mais quand même illuminée par les lampadaires de la ville.

Les pompiers, les ambulances  et les voitures de police avec leur gyrophare : lumière tournante et avertisseur, les passants marchant dans la nuit noire.

Fatigué de cette journée, le meilleur moment est de s’allonger, s’endormir en regardant nos chères étoiles qui brillent dans ce ciel noir de la nuit.

La nuit porte conseil.

Danièle Tournié

Cinq heures trente

Cinq heures trente, un carrefour du côté de la place Clichy.

Elle attend le 81, assise sous son abribus. Il fait encore nuit en janvier, les jours rallongent il paraît. Deux minutes de plus par jour de lumière, elle ne le sent pas, elle le sait.

Elle attend dans le sombre faiblement éclairé. Un néon cassé, une publicité quelconque qui ne se déroule plus, une odeur humide de nuit. La rue devant elle, asphalte luisant, peu de voitures, phares allumés, le premier bus bientôt.

Ce moment, c’est le sien, hors du temps, hors du jour, hors de son sommeil. Elle dit : les limbes de la nuit.

Elle n’est pas seule, pas vraiment. Elle partage la nuit, ce moment de pas encore jour mais bientôt.

Elle prend le 81 tous les lundis à cette heure, et tous les lundis elle croise le même homme échevelé, sombre, enroulé dans son écharpe. Ils ne se parlent pas. La nuit, là, on ne parle pas, on profite des derniers instants de nuit.

Elle ne pense pas à la journée qui arrive, pas encore. Elle laisse son regard s’accrocher où il veut, lent. Tiens, un arbre neuf, qui tremble. Il a raison, avec le matin surgiront les chiens du quartier qui pisseront sans vergogne sur son écorce l’air de rien.

Alors profiter encore un peu de la fin de la nuit. C’est le meilleur moment, le plus doux.

De son siège plastique vert, elle regarde la nuit, le cou allongé, tendu vers celle qui s’enfuit. En face, dans l’abribus jumeau de l’autre côté de la rue, dort une ombre emmitouflée dans un amoncellement de vêtements.

Elle a peur pour elle parce qu’elle sait que la nuit s’en va et ne la protégera plus. La nuit les ombres sont discrètes, parfois même disparaissent, mais le jour dur les guette.

Alors ne pas presser le temps, profiter encore de ces instants de nuit.

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