« Fêler la nuit », Catherine Evrard

Fêler la nuit

 

flammes vives
crépitement de la poignée d’eau
jetée au foyer d’acier rougi
parole soufflée dans la chaleur
les corps nus s’alanguissent
reflets de peau sur la vitre embuée

par la fenêtre
la lune
trou rond dans la glace
le ciel comme le lac
gelé

porte ouverte sur le silence
ils se précipitent dans l’air coupant
courent sur la neige de marbre
fantômes fumants aux pieds glacés
la chair se pare d’obscurité

ils rient haut
la salive gèle et les lèvres se fendent
ils rient pour fêler la nuit
pour refouler la peur
les bêtes aux yeux vides
jaune d’ambre ou vert d’opale
des chiens couchés derrière l’abri des traineaux

ils courent dans la nuit polaire
et leurs rires se fracassent

le chemin tracé par les rennes serpente
parmi les bouleaux
les ombres se jettent sans retenue
sur le tapis de neige bleue
la lune rase les branches vernies
le lichen frise en diamants
qui crissent tels mille craquements d’os

la forêt gémit quand se lève le vent
les chiens pleurent en rêvant gonflés de poils doux

près de la peau de renne jetée au bord du trou
le halo d’une bougie tremble
ils plongent l’un après l’autre dans l’œil du lac
sous le ciel usé de froid
la glace laiteuse luit
l’eau noire purifie les corps brûlants

face à l’immensité
ils cherchent un éclat