« Pleurer au supermarché », Michelle Zauner (Bourgois), par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire. Il réalise des lectures-diagnostic sur les manuscrits qui lui sont confiés et partage chaque mois un de ses articles sur L’Inventoire.
Pleurer au supermarché, Michelle Zauner, traduit de l’anglais par Laura Bourgeois (Bourgois)

Il faut quand même le dire, au risque de choquer : la littérature semble souffrir d’un excès de mères. On ne compte plus en effet depuis quelque temps les ouvrages que des filles ou des fils consacrent à leur génitrice pour la seule raison qu’elles le sont. Certes, il y a des chefs-d’œuvre en la matière… Seulement tout le monde n’est pas Charles-Louis Philippe ou Albert Cohen, et la sincérité n’a jamais constitué en soi une garantie d’intérêt.

Vous me direz que je suis mal venu de me plaindre, moi dont le premier livre publié s’intitulait Comment briser le cœur de sa mère (1). Mais, comme mon titre le suggère, il y a fils et fils. Surtout, il y a histoire de mère et histoire de mère. Pour une Marie Sizun, qui, dans le récent 10, villa Gagliardini (2), trace de sa mère un portrait que ses nuances et ses zones d’ombre contribuent à rendre réellement émouvant, combien d’hagiographies toujours à l’extrême bord de la mièvrerie et du sentimentalisme. Donnez-nous de mauvaises mères ! se prend-on souvent à soupirer. À nous, Folcoche, madame Lepic, madame Vingtras !… La plupart du temps, c’est en vain.

Entre deux mondes

Au moins faudrait-il, pour que tous ces hymnes à la mère donnent vraiment envie d’être lus, qu’autre chose vienne s’y mêler. Michelle Zauner, chanteuse du groupe de rock Japanese Breakfast, une des cent personnes les plus influentes au monde d’après la magazine Time, raconte la mort de sa mère dans ce qu’elle appelle un « essai » – cependant, la traductrice pensant qu’un pasteur est un « prêtre », qui célèbre la « messe », et qu’« eulogie » veut dire en gros éloge funèbre, il y a lieu de rester prudent… La jeune auteure américaine évoque les souvenirs, les souffrances, les étapes de la maladie, le chagrin. Tout cela est sincère, vécu, touchant. Mais, heureusement, il y a aussi dans son livre la Corée, la cuisine et le narcissisme.

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