« En vérité, Alice », Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser), par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire sur lequel il partage chaque semaine ses lectures. Il réalise également des retours sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture dans le cadre des lectures-diagnostics. Il partage régulièrement certains de ses articles sur L’Inventoire.

Il y a deux livres dans le roman de Tiffany Tavernier. Le premier, c’est l’histoire d’Alice, et de son grand amour, jamais désigné autrement que par il. « Avant lui », la vie d’Alice « était comme floue ». « Elle [est] son centre. Il [est] tous ses repères ». Il est maladivement jaloux, lui interdit la compagnie des autres, boit, la trompe, lui ment, lui soutire de l’argent et en vient même à la frapper, mais elle se reproche sa propre « indifférence », son « narcissisme » : « Qu’est-ce qui m’a pris de douter de lui ? (…) Il m’aime tant ».

Bref, lâchons le mot, un mot dans l’air du temps comme le sujet lui-même : Alice est sous emprise. Elle mettra longtemps à ouvrir les yeux – tout le livre, qui raconte ce processus très progressif, placé sous le signe de la névrose et de la compulsion. Le problème, avec la compulsion, c’est que, comme chacun sait, elle est répétitive. Le lecteur a tendance à s’agacer de ces situations et de ces réactions qui se réitèrent obstinément ; il en veut un peu à Alice de ne pas prendre la fuite plus tôt, comme chacun autour d’elle le lui conseille. Mais le second problème avec les phénomènes de ce genre, c’est qu’on reste toujours extérieur aux délires d’autrui. Du coup, ces problèmes en sont-ils vraiment ? Notre incompréhension devant celle d’Alice est justement, d’une certaine manière, le cœur du sujet.

Et puis, il y a le second livre. C’est aussi l’histoire d’Alice, d’un grand amour et d’une incompréhension. Due, cette fois, non à la trop grande proximité de ce qui ne peut être vu, mais à l’absolue étrangeté d’un monde complètement différent. Entrée par hasard dans une église, notre amie, que son bourreau a sommée de trouver un emploi, tombe sur une petite annonce indiquant que « l’association diocésaine de Paris » cherche « une assistante pour le promotorat des causes des saints ».

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