Pourtant : « La revue est une histoire qui s’écrit collectivement »

La rencontre avec la revue Pourtant organisée par les ateliers Aleph-Écriture ce samedi 13 janvier a été l’occasion de découvrir ce qu’est une revue littéraire, ses choix éditoriaux, le parcours de ses auteur-es, et les critères de sélection des œuvres publiées.

Une trentaine de personnes étaient venues écouter son fondateur et directeur éditorial, Gilles Bertin-Montcharmont, Nadège Ménassier – en charge des relations avec les libraires-, et deux écrivains, Claudine Londre, PE Cayral, publiés régulièrement dans la revue. Retour sur cette rencontre, autour de la fabrique de Pourtant, nourrie de questions sur la création, l’écriture, et la (première) publication.

Naissance d’une revue littéraire

Gilles Bertin Montcharmont crée la revue avec un ami en 2020, au détour d’une journée de canicule, alors que surgit en lui ce simple mot « Pourtant ». Dans un entretien publié dans L’Inventoire, il précise : « À lui seul, ce mot « pourtant » était un projet entier et cohérent quant à l’expression de ce que peut être une existence (…) Le nom des refus silencieux, du refus du pot de terre contre le pot de fer… critique taciturne, (le mot Pourtant) est le contraire du renoncement ».

S’impose très vite l’idée d’une belle revue où se rencontreraient photographie et littérature : nouvelles, poèmes, photo-textes, et séries photographiques; le rapport texte image ouvrant une fenêtre sensible sur le monde et la création contemporaine.

Le projet est lancé avec HelloAsso, sur le principe d’appels à textes éditorialisés, préfigurant le contenu de la revue avec des citations d’écrivains, et des images autour de la thématique définie pour chaque numéro. Un édito littéraire proche du format ‘de la nouvelle vient ensuite le contextualiser. Les textes arrivent en nombre, quelques auteurs connus sont invités, nouvellistes ou photographes ; la dernière section dédiée à des interviews ou portraits revient sur les coulisses de son élaboration.

POURTANT N°6 SAUVAGE ?
Pourtant N°6 « SAUVAGE ? »

Le numéro zéro a pour titre Pourtant. Au vu de la qualité des textes et de l’engouement suscité, il deviendra le premier numéro. Puis ce sera Naissances, Dans la cuisine, Passion, Je mens, Sauvage ?

Le N°7, Fenêtres (en cours de fabrication, et dont la future couverture est présentée en vignette), sera issu des 500 textes et 200 contributions photographiques reçues. Six numéros sont donc en librairie après trois ans d’existence (et deux, en cours d’élaboration puisque L’appel à textes du N°8 vient d’être lancé).

À la question : pourquoi une revue papier ? Gilles Bertin Montcharmont oppose la volatilité de l’Internet à la présence matérielle et durable de la revue papier. Quand il pense au futur, il évoque l’image formée par une vingtaine de couvertures placées côte à côte, comme une anthologie des thèmes de l’époque ou un portrait du temps. L’image d’interrogations intérieures qui mettrait en mots la littérature d’aujourd’hui.

Le rôle des revues dans un parcours d’écrivain

Souvent réservée aux primo-publications, la revue est avant tout un espace d’expérimentation qui permet aux auteurs de découvrir l’édition, d’en comprendre les enjeux, et de commencer à tracer leur chemin d’écriture.

Les revues ont joué un rôle important dans le parcours de Gilles Bertin Montcharmont. Avant de publier lui-même un roman et un recueil de nouvelles, ses textes sont parus dans La femelle du requin, Dissonances, Margelle, Brèves, la Revue Rue Saint-Ambroise.

Pour PE Cayral, c’est sa première nouvelle, publiée dans Naissances, qui est devenue le chapitre inaugural de « Au début, nous étions quatre », son roman publié en 2022 aux Éditions Anne Carrière.

Si la revue a été la voie d’entrée dans le travail d’écriture de PE Cayral, qui continue à participer à des concours et appels à textes (envisagés comme laboratoires d’écriture) ; c’est l’atelier qui a été la voie d’entrée en littérature de Claudine Londre. Publiée dans les N°1, 2 et 4), la revue a davantage constitué un espace d’expérimentation de son écriture poétique. Son premier roman L’ombre de ma mère, est paru en 2020 aux éditions du Seuil.

Ouvert à un lectorat souvent constitué d’auteurs, chacun utilise ce support à sa manière, comme un outil de création, un public test, un lieu de conversation et de réflexion avec d’autres auteurs. Passionné par la nouvelle, PE Cayral fait aujourd’hui partie du comité de lecture de la revue.

Le comité de lecture

Le choix d’appels à textes anonymisés permet de rebattre les cartes à chaque numéro. Avec deux parutions par an, autour d’une thématique longuement réfléchie au sein du comité éditorial, 400 textes en moyenne sont reçus. Environ 6 personnes composent le comité de lecture, une équipe constamment en mouvement.

Les textes ne sont pas choisis selon le nombre de votes qu’ils reçoivent, mais par passion. Chaque lecteur défend ceux dont il a la charge, d’abord en binôme, puis en séance plénière. Seuls les textes jugés essentiels par rapport au thème et au format, et témoignant d’une langue et d’un univers seront choisis ; ainsi, sont écartés les textes jugés consensuels, trop classiques, ou trop lisses. Pourtant a pour ambition de publier des textes qui ont une voix personnelle.

L’existence en mouvement : la revue à venir

L’exercice passionnant de la revue, réside finalement dans la découverte et la collecte de ces textes, dessinant un livre impossible à imaginer avant, et qui pourtant se construit au fil des choix réalisés. Le plaisir joyeux de cette construction réside alors dans leur agencement narratif.

Est-ce qu’une revue est un recueil de fragments ? De mots et d’images suscitant la pensée du lecteur ? Des éclats d’émotion pure ?

La revue est une quête, une aventure humaine autour d’un mot et d’un projet

La revue est une histoire qui s’écrit collectivement, substituant à la solitude de l’écrivain, la présence d’un groupe à l’intérieur duquel chacun œuvre, à sa manière, pour faire aboutir un projet esthétique stimulant. Créant un sous-récit éloigné du récit dominant, une voix parmi les milliers de voix qui saturent l’espace informationnel en ligne, Pourtant est une liberté, une utopie artistique, une pensée en mouvement.

Danièle Pétrès. Rédactrice en chef


Découvrez l’appel à textes du numéro à paraître cet été « Là ».


Au départ, nous étions quatre, PE Cayral, éd. Anne Carrière

Une ferme familiale en Bretagne. Les vies s’écoulent entre terres agricoles et océan. Le père tient à ses champs, la mère à ses livres, les enfants à la plage : trois frères nés à quelques minutes d’intervalle qui essaient de tracer leur chemin.

Une femme aux élans de guérisseuse passe de l’un à l’autre, selon qu’ils ont besoin d’être sauvés ou qu’ils tiennent à nouveau sur leurs pieds.

Les cycles de la terre, les guerres du monde, le charivari du business, l’amour, sa perte, le deuil, les fantômes… la fratrie pour horizon ou tombeau.

À quelques minutes d’intervalle, ce sont l’ordre, les rôles, les destins qui s’écrivent, et il faut presque une vie, et beaucoup de chaos, pour déjouer les prédestinations et prétendre à renaître.

L’Ombre de ma mère, Claudine Londre, éd. du Seuil

Une femme se trouve aux prises avec l’ombre de sa mère disparue, qui la poursuit dans ses moindres faits et gestes, de jour comme de nuit, formant ainsi un double obscur. En cherchant à comprendre les raisons de ce phénomène, elle découvre qu’elle fait partie des Inutiles, un groupe social marginal très restreint. Pour gagner la confiance de cette famille d’appartenance, il lui faudra d’abord se débarrasser de l’ombre de sa mère.

Entre les visites nocturnes des fantômes de ses tantes, la rencontre d’un jeune homme Inutile, d’une couturière cacochyme et d’un marin désabusé, elle va tenter de résoudre son épineux problème. Elle apprendra que les mouchoirs ont une âme et servent à effectuer des actes psychomagiques, que les tisanes d’herbes amères ne sont pas une solution efficace, et qu’il faut retourner aux racines pour se délester de son fardeau généalogique.