Rentrée littéraire « La crête des damnés » de Joe Meno

Pour commencer cette chronique, sur ce livre beau et fort il semble capital de saluer l’éditeur ; les éditions Agullo, qui se définissent comme « le porte-voix d’auteurs d’ici et d’ailleurs qui expriment et partagent leurs histoires, leur culture, leurs joies, leurs espoirs et par-dessus tout, leur humanité ».

Leur projet éditorial est passionnant. Dans leur collection « Agullo Noir », c’est le grand Valerio Varesi que j’ai découvert grâce à eux, mais ceci est une autre histoire. N’oublions pas le superbe travail graphique effectué sur leurs couvertures, désormais reconnaissables entre mille…

Et ce livre-ci ? Un coup de poing dans le ventre, le dernier sommet d’un trépied fondamental, qui dépeint une adolescence américaine déboussolée, mais ô combien universelle. Je m’explique, car trois livres à mon sens en dressent des portraits à vif, sans concession et à différentes époques.

En un, je vous ressors L’Attrape-Cœurs, magnifique et poignant, de John D. Salinger, et l’errance de Holden Caulfield dans New York. Un classique marquant.

En deux, je vous donne Moins Que Zéro, de Bret Easton Ellis, où le personnage de Clay nage dans un Californie poudrée jusqu’au nez et d’une méchanceté sans fond, qui tourne à vide dans l’auto-illusion – et se vautre dans les pires péchés de la terre…

Et en trois, voici Brian Oswald, héros à la première personne de La crête des damnés. Chicago 1991, ambiance cruelle des lycées privés dans un quartier cent pour cent blanc et bien raciste. Une vie de m*** pour ce garçon, loser trop lucide. Heureusement, la musique – partout et tout le temps – le sauve, et pas n’importe laquelle. Le Metal, puis le Punk sont ses bouffées d’air, sa raison d’être et plus encore. C’est l’occasion d’entendre parler des Misfits, des Descendents, des Dead Kennedys : de toute la scène alternative énervée et pleine de rage que l’Amérique nous a produite.

Le plus important, pour le jeune Brian, c’est le sexe, le sexe et encore le sexe – voire l’amour ? Obsédé, frustré, parfois désespéré, le garçon exprime clairement les tourments masculins liés à la peur de ne pas plaire, d’être marginalisé, de connaître l’échec. Amoureux de Gretchen aux cheveux roses, caractère nucléaire au volant d’une Ford Escort dont l’autoradio marche un jour sur deux.

Côté échecs, précisément, Brian en croise chaque minute de sa vie : familles en loques (à commencer par la sienne), copains losers, suprémacistes frappeurs, fumeurs d’herbe, amies vraiment barrées, conquêtes inatteignables, jalousies et bagarres, blessures et cicatrices… la panoplie complète.

Ce héros, on ne peut pas ne pas l’aimer, car il est lucide, touchant et sans arrogance. Il évolue vers une lucidité croissante au fur et à mesure des chapitres, et nous avec lui !

Joe Meno, qui a l’âge exact du bonhomme, tiens tiens, nous a créé un personnage que l’on n’est pas près d’oublier.

Les descriptions accrochent, les dialogues claquent comme des gifles, l’ambiance étouffante ou déprimante vous colle au cerveau tandis qu’on tourne les pages au rythme d’un morceau endiablé des Misfits.

Un nouveau classique de la littérature américaine ?

Et on attend le film !

Jérôme « Holiday in Illinois » Vaillant.

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