Une chance folle de Anne Godard

Le deuxième roman d’Anne Godard (auteure de L’Inconsolable en 2008) est un texte fort où la violence du récit est portée par la musique des mots.

C’est l’histoire d’une dépossession. Par le discours, par le souvenir des autres, par leur regard. Puis d’une lente réappropriation, par le regard et par la parole.

Car cet événement si grave, arrivé à Magda alors qu’elle était encore un enfant qui se déplace en rampant, cette brûlure qui a marqué son corps à vie, la principale intéressée n’a aucun souvenir du moment où elle a eu lieu ni de ce qui l’a causée. Le récit qui en est livré, et interminablement reproduit, est celui du seul témoin adulte des faits : sa mère. Avec cette violence insidieuse qui peut être celle du discours : Magda « s’est brûlée » – le pronom réfléchi semblant désigner sa propre culpabilité –, mais elle a eu « une chance folle ».

L’enfant, devenue adulte, a répété docilement cette version, des milliers de fois et malgré elle, comme habitée par une autre parole que la sienne à propos d’elle-même.

« J’en ai parlé si souvent, à tant de gens et si mal, j’en ai parlé alors que chaque fois je me disais, non, pas cette fois-ci, pas avec lui, pas comme ça, mais chaque fois ça recommençait. »

La trace laissée par l’eau bouillante sur la peau de la jeune enfant a donné à son corps, jusqu’au cou, l’aspect d’un « linge fripé et raide qu’on aurait essoré ». Dès le premier abord, les interlocuteurs de la jeune femme ne voient qu’ « elle », la brûlure, personnifiée dès le début du roman à la fois comme une intruse entre Magda et les autres et une partie d’elle-même. Or il est question, aussi, de cette ambivalence : « ne pas la cacher, ne pas la montrer, ne pas être réduite à elle, ne pas la nier, ne pas me définir par elle, ne pas me définir contre elle, ne pas prétendre qu’elle ne m’a pas marquée, ne pas prétendre qu’elle seule m’a déterminée. »

Il y a quelque chose de sartrien dans le roman d’Anne Godard. La regardée étant « chosifiée », réduite à l’image que lui renvoie le regard de l’autre, et abandonnée à l’angoisse et à la solitude que cela implique.

Une Chance folle est un texte fort dans lequel la violence du récit est contrebalancée par une langue très musicale. L’auteure confie se relire souvent à haute voix pour laisser résonner ces assonances – en effet omniprésentes –, les mesurer, les polir jusqu’à se sentir bercée par elles : « cela me rend supportable ce qui est douloureux, et je me dis que cela le rend aussi supportable pour le lecteur », nous a-t-elle confié.

Juliette Rigondet

 

« Une chance folle » (Les Éditions de Minuit, 2017)
Juliette Rigondet est journaliste (L’Histoire) et auteure (« Le Soin de la Terre », récit, Tallandier 2016). Elle est également animatrice d’ateliers d’écriture.
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