Vos textes à partir d’Isabelle Monnin: « Les gens dans l’enveloppe » 2ème partie

Il y a 15 jours, Alain André vous a proposé d’écrire à partir du roman d’Isabelle Monnin, Les gens dans l’enveloppe (Jean-Claude Lattès, 2015), un roman écrit à partir de photos trouvées par l’auteur. Nous avons sélectionné 10 textes, dont voici la seconde partie ! Merci à tous de votre participation !

 

Véronique Hallo : Voyager en sacoche

Mais quand est-ce que Papa revient ? Tata Lucienne est très jolie mais elle n’est pas gentille avec nous. Elle n’arrête pas de répéter : « Geneviève, Papa compte sur toi pour montrer l’exemple à Catherine. Sois un peu plus obéissante. » Mais elle veut toujours qu’on arrête de rire, qu’on ne parle pas à table. Mais c’est le seul moment où on la voit. Et sinon on reste avec Pépère mais je ne comprends pas ce qu’il raconte.

Elle, Tata, elle part toujours avec son vélo. J’aimerais aller avec elle. Parfois je mange moins le soir et je me dis que le lendemain j’arriverai à rentrer dans une des sacoches de son vélo. Elle ne s’en rendrait pas compte. Ou alors plus tard. Ses sacoches sont toujours vides le matin quand elle part.

Mais Catherine serait seule avec Pépère toute la journée et elle, je suis sûre qu’elle ne resterait pas tranquille dans la sacoche si je l’y mettais. Ou alors je lui laisse Nounours. Entre Nounours et Pépère elle passera sa journée sans avoir besoin de moi je crois, elle jouera sagement dans son coin en imaginant ses histoires. Parce que moi j’en ai assez de jouer ses personnages, je veux savoir où va Tata avec ses sacoches vides et sa belle robe.

Ça doit être rigolo de voyager dans la sacoche, je me demande si on voit un peu à travers la toile. Est-ce que je reconnaîtrais la route si je veux y aller ensuite avec Catherine à pied ? Est-ce que là où la route mène ça nous rapprocherait de Papa ? Quand est-ce que Papa revient ?

V.H.

Chris

Quand y va m’ramener à la maison j’prendrai trois tartines avec confiture de fraises pi avec du lait et du chocolat aussi. Demain j’ai pas école on a foot avec Baptiste. On a Madame Gaboret comme maîtresse mais moi j’l’aime pas trop surtout quand elle nous punit si on sait pas nos additions. Baptiste il est fort en calcul mais moi chuis nul. Maman dit qu’y faut bien travailler en classe pour avoir un bon métier plus tard comme elle. Mais elle est jamais là le soir à cause du ménage qu’elle fait quand les gens y sont plus dans les bureaux. Moi j’veux être pompier pour sauver des chats et aussi des gens.

Papa y fait des assurances pour les voitures comme ça on peut faire des accidents sans payer. Après le goûter j’ai l’droit d’aller jouer un peu mais pas trop loin et le soir on mange tous les deux et on regarde les informations mais moi ça m’intéresse pas trop. Papa y fait les meilleures coquillettes que j’ai déjà mangées ! Quand maman rentre chuis déjà au lit mais j’reste réveillé pour lui faire peur quand elle me fait mon bisou. J’fais semblant de dormir sous ma couette et j’sors d’un coup et j’fais whaa ! alors elle fait oh mon Dieu Mathieu ! et après elle rigole.

C’est Monsieur Michard qui est venu me chercher aujourd’hui parce que mon papa il a eu un problème avec son travail qu’y m’a dit. Monsieur Michard c’est not’ voisin, il est gentil mais maman l’aime pas. Y m’fait coucou tous les matins par sa fenêtre quand j’vais à l’école pi après y s’cache pour pas qu’on l’voit avec son pyjama c’est rigolo. Moi j’lui fais coucou aussi et y m’fait chut alors c’est not’ secret.

On a roulé pendant longtemps dans sa voiture et y m’a emmené dans une grande maison qu’est pas la sienne.

Y m’a dit qu’y me ramènerait chez moi avant que papa soit rentré.

C.

Delphine Duhoux : Le pilote de mes émotions

Moi, c’est Anaïs.

Je suis choquée et triste.

Mon Oscar adoré par terre, je retiens mes larmes.

Je le serrais contre moi en courant entre les pivoines, quand j’ai entendu une porte claquer. J’ai surpris papa sortant d’en face, sifflotant. Tout de suite, j’ai compris. C’est vrai qu’elle est drôlement jolie, la voisine, avec ses belles robes et son odeur de jasmin. Mais elle me vole mon papa. Comment je ferai, moi, quand elle me saluera demain matin ? J’aurais préféré ne rien voir.

Maman, elle ne fait plus rien pour charmer papa. Pourtant, elle les admire, lui et son uniforme de pilote de ligne. Lui, il ne veut plus d’elle, de son tablier de cuisine et de son rôti de veau. Si elle savait qu’il a une amoureuse, elle sangloterait de sa petite voix étouffée. Est-ce que je dois tout lui dire ?

J’étais si contente, pour mes six ans, l’été passé. J’avais reçu Oscar, avec sa longue truffe et sa salopette ! Même que ma cousine Maud, elle était jalouse. Je n’ai pas râlé quand, en souriant, papa m’a appelée Camille devant tout le monde. Pourquoi il se trompe toujours de prénom, les rares fois où il est à la maison ?

Mais… ce n’est pas Camille, le prénom de la « jolie-voisine-qui-sent-bon-le-jasmin » ?

Je suis fâchée : il trompe maman avec elle depuis au moins un an.

Elle casse ma famille, mais j’ai de l’avance sur elle.

Elle ne sait pas que dans la vie de papa, il y a déjà Cindy, Anna, Lola, Carla…

Et il y a surtout « Anaïs-qui-sent-bon-la-pivoine », en colère.

D.D.

Julie Briand

Hier mon père a annoncé qu’on allait déménager, c’était une chance inouïe pour sa carrière d’officier, une promotion extraordinaire…

Je n’ai plus écouté. Les larmes montaient vite, ça allait déborder, je me suis mordu la lèvre, c’est passé. Je n’ai pas le droit de parler à table, c’était une chance hier. Ma mère m’a pris la main, je l’ai retirée sans la regarder, pour ne pas m’écrouler.

Aujourd’hui je lui ai demandé de me couper les cheveux très courts comme un garçon, elle ne pouvait pas me le refuser.

Mon père dit toujours il faut être courageux, affronter la vie comme elle vient, en soldat. Alors me voilà en petit soldat, plutôt réussi sauf les yeux encore rouges de ma nuit pleine de pleurs.

Le plus difficile sera de laisser ma petite voisine Émilie. Elle s’est construit un monde où il semble n’y avoir qu’elle et moi, un univers à la fois immense et tout petit. J’ai eu peur pour elle. Encore plus que pour moi. Alors j’ai décidé d’être forte. Pour elle.

Je lui ai dit je te parlerai tous les soirs. Dans ma tête. Très fort. Ce ne sera pas une prière, Dieu n’a rien à voir dans tout cela. Tu ne m’entendras pas distinctement mais tu sentiras l’air changer, une douceur t’envelopper. On regardera chacune la lune de notre côté, on se verra à travers elle, et elle n’en dira rien.

Elle a souri et moi aussi. Son monde allait tenir encore, un peu. Le mien aussi, peut-être.

J.B.

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