Vos textes à partir de de Isabelle Monnin: « Les gens dans l’enveloppe » 1ère partie

Il y a 15 jours, Alain André vous a proposé d’écrire à partir du roman d’Isabelle Monnin, Les gens dans l’enveloppe (Jean-Claude Lattès, 2015), un roman écrit à partir de photos trouvées par l’auteur. Nous avons sélectionné 10 textes, dont voici les 5 premiers  ! Merci à tous de votre participation !

 

Marion Gourdin : Papé

Benoit m’énerve, mais aussi il me fait rire avec sa tête trop grosse de petit frère trop petit.

Je me moque de lui parce qu’il ressemble à une fille. Quand je lui dis, il se met à chouiner. J’aime pas quand il pleurniche, parce que c’est sur moi que ça retombe, même quand j’ai rien fait. C’est pas juste. Bon il faut dire que j’aime bien l’embêter, je peux pas m’empêcher de le provoquer. Ce qu’il déteste surtout, c’est quand je fais le rouleau avec la langue : il se fâche tout rouge, moi je ravale ma langue mais mes yeux me trahissent ; je suis une chipie. C’est Papé qui le dit.

Papé c’est le faux papa de maman. C’est lui qui nous garde quand maman travaille, depuis que notre vrai papa à nous est parti. Papé crie un peu fort parfois, mais c’est qu’il est inquiet ou triste et ne sait pas dire les choses normalement. C’est ce que dit maman. Et quand je le vois jeune et trop beau dans son uniforme sur la photo, je me dis qu’il a du avoir beaucoup de succès avant de rencontrer mémé et maman. Et que forcément, pour qu’il ait voulu prendre soin d’elles, c’est un chic type.

Aujourd’hui on est sa source de bonheur. On le raccroche à la vie. C’est ce qu’il m’a écrit l’été dernier quand mémé est morte, au dos de la photo de maman avec son vélo. J’étais pas sûre de comprendre, il a répondu que maintenant j’étais assez grande pour entendre l’histoire de mémé et maman. Parce que c’est bien de savoir certaines choses de la vie, les jolies comme les tristes, pour bien grandir. Et s’épanouir. Sans reproduire.

M.G.

Viviane Clément : D’après photos

J’ai chaud. Il fait trop chaud ici, je préfère aller au bord de la rivière, « la loue » comme ils disent. J’ai dit que dans la cour de la ferme les poules soulèvent la poussière en grattant le sol. Les filles ont bien rigolé : pas des poules, des pintades !!! Elles se moquent de moi, de mon accent, de mes cheveux trop longs. Mais je me suis bien vengé !!! Elles sont pas près de le retrouver leur nounours miteux. Tout au fond de la grange je l’ai planqué, derrière une botte de paille. Au fond je m’en fous, je me fous de tout. Moi ce que je veux, c’est retourner chez moi avec Maman et puis revoir mon copain Maxou, Maxou c’est le meilleur, imbattable aux billes. Et puis on devait aller s’acheter des pétards au bazar de la rue Paillon. Qu’est-ce que je fais ici dans cette cambrousse et Maman où elle est maintenant. Même mon nom il a changé, je m’appelle Louis mais c’est pas mon vrai nom, mon nom c’est …. non non je dois pas le dire, à personne, même pas tout doucement à voix basse. C’est comme des vacances a dit Maman, c’est pas vrai, les filles, elles y vont à l’école, elles! Elles sont pas méchantes, surtout la grande avec ses cheveux courts, c’est à cause des poux elle a dit. La nuit, quand je pleure, elle vient doucement près de mon lit, elle caresse mes cheveux en disant : » T´en fais pas va, tu la retrouveras ta mère.  » Mais moi, j’en suis pas sûr, je suis sûr de rien. Je sais que Maman m’aime toujours, enfin… je crois.

Elle disait toujours que je devrais être en lieu sûr. C’est ça qu’elle disait : lieusur. C’est ici le lieusur alors. Et je suis là à jeter des cailloux dans cette flotte qui glisse entre les roseaux, c’est pas chez moi ici. Un bruit… Je me retourne. La porte de la grange s’ouvre doucement. Les filles… Elles me sourient.

V.C.

C.K.

Et voilà, c’est reparti pour un tour ! Cette année encore, les parents tiennent à me prendre en photo. « Allez, Sandrine, ne fais pas cette tête sérieuse, c’est ta journée, allez, un petit sourire ! ». Soit disant que c’est pour garder un souvenir.

À quoi bon garder une trace d’une expérience désagréable ? C’est déjà assez pénible de la vivre ! En serai-je enfin débarrassée quand je rentrerai au collège ? Maman ne voit-elle pas que son cérémonial, qui ne semble même pas la réjouir non plus, me pèse ? Quant à papounet, il suit le mouvement, comme toujours. Est-ce son amour pour maman qui l’aveugle ou fait-il semblant de ne rien voir ? Le pire, c’est qu’ils font ça avec amour. Le joli gâteau sur la table, les bougies posées dessus avec soin, le cadeau emballé avec délicatesse dans du papier coloré… Certes, comme d’habitude, maman est distante avec moi, me regarde peu comme si j’étais un meuble sans intérêt. Peut-être que je ne fais pas ce qu’il faut. Peut-être qu’elle a des soucis. Quels étaient les mots de Tante Aurore quand je l’ai surprise parlant de maman ? Ah oui ! Que les remarques blessantes et dévalorisantes que maman ne peut s’empêcher de me faire la mettaient mal à l’aise. Tout ça parce que maman ne s’aimerait pas et serait donc incapable d’aimer quiconque, même moi. N’y serais-je donc pour rien à l’attitude de maman ? Serait-elle juste malade ? En tout cas, je ne suis pas fâchée contre elle. Elle fait ce qu’elle peut, c’est ma maman. Ça y est, la corvée des photos est terminée ! Je vais pouvoir terminer mon gâteau.

C.K.

Karine Granier : On dirait que ce serait ma soeur

Je suis tellement heureuse de l’avoir avec moi. Sa main est douce et chaude, c’est mieux que Groseille quand même. Ras le bol d’être seule avec maman même si maman est chaude aussi avec ses bras mous qui serrent fort mais doucement. Ma maman elle a des yeux noirs qui sourient au bord mais qui sont tristes loin dedans. C’est peut-être parce que je n’ai pas de papa.

Monique elle, elle a eu un papa. J’aurais bien voulu avoir le même. Grand, avec des yeux très clairs et un uniforme d’aviateur qui dit la force et l’aventure. L’aventure, c’est beau, mais c’est quand même embêtant parce qu’il n’est pas revenu.

Et puis, à cause de la guerre on a emmené sa maman parce qu’elle avait les cheveux trop noirs et un drôle de prénom.

On regarde les photos avec Monique et moi j’aimerais bien avoir un papa et une maman aussi beaux mais quand même ils ne sont plus là. De toute façon, ma maman elle n’est pas très belle mais c’est la plus gentille du monde alors je n’en veux pas d’autre.

Quand l’oncle très méchant de Monique est mort, elle aurait dû aller à l’orphelinat. Dans le village tout le monde disait « pauvre petite fille, elle a déjà tellement souffert », tout le monde disait ça mais personne ne voulait la prendre chez soi, « c’est déjà si difficile la vie, on ne peut pas nourrir une bouche de plus ». Alors ma maman elle a décidé qu’elle viendrait vivre avec nous et les gens du village n’arrêtaient pas d’en parler mais de toute façon ils parlent souvent de ma maman parce que je n’ai pas de papa.

K.G.

Arsène Achar : La vie monochrome

Avec son doudou à 4 sous, la gosse puait le bonheur. Que savait-elle des endroits d’où l’on ne revient pas? Sa mère lui interdisait de se crotter, de bonne foi. On n’imagine pas comme le ciel, c’est un sacré merdier. Ça vrille les boyaux bien plus qu’une envie de chier. Ce regard qu’elle avait! Bouffi d’amour quand je passais mon temps à l’engueuler, que pouvait-elle bien me trouver?

C’était mon Papa. Petite, il me portait sur ses épaules ou à bras et comme lui j’avais des ailes. Il passait ses journées là-haut à travailler dans le ciel, dans ce beau qui n’en finit pas d’être bleu. Je me demande bien à quoi ça ressemble un nuage, au-dedans. On avait beaucoup joué aux avions tous les deux, plus maintenant. Maintenant j’avais Nadine, la petite boulotte d’à côté. On s’amusait quand même toute la journée, mais qu’est-ce qu’elle commandait! Maman n’arrivait pas beaucoup à le reconnaitre depuis qu’il était rentré. Le soir, elle me le disait, ébouriffant des cheveux qu’elle venait de peigner. Elle se consolait en répétant des mots bizarres, tassiturn, comme si je comprenais! J’avais posé une question, mais elle m’avait répondu de ne pas m’en occuper. Encore une affaire de grands! Je me demandais bien à partir de quel âge on le devenait, grand! Moi aussi j’allais devenir bizarre, et pleurer le soir, comme maman? Papa ne voulait plus jouer, il réservait ses mains cinglantes aux bêtises qu’on faisait, un bruit, une parole, même un baiser. Demain, maman me dirait encore d’aller jouer à côté.

A.A.

Régine Zeidan : Un menu larçin

Sourire gentiment, me tenir bien tranquille… Ne pas faire de comédie.

Je serre tout, les fesses, le ventre, la bouche…

Claude m’a dit de ne pas m’inquiéter, que ce n’est pas si grave… Sa main est chaude sur la mienne.

Ils vont arriver d’une minute à l’autre…

Pourvu que lui ait sa tête des bons jours !

J’ai mangé toutes les chouquettes. Je ne sais pas ce qui est passé par ma tête… Elles sentaient bon ! Elles étaient tièdes et dorées comme les œufs que je prends sous le derrière des poules.

Maman les avait posées sur le bahut, dans le gros bol, de ce bleu un peu dur que j’aime bien.

Puis elle a enlevé son tablier en vitesse et est partie à sa rencontre. Elle n’a même pas remarqué que je la regardais.

Je savais pourtant que les chouquettes, elle les avait faites rien que pour lui. Il les adore.

J’en ai goûté une, délicieuse, et puis une autre… Et puis encore… Elles sont tellement légères ! On dirait des nuages… J’ai tout mangé, sans m’en rendre compte.

Il ne reste que des miettes, du sucre.

Claude peut bien essayer de cacher tout ça de son corps… C’est trop tard.

Bien sûr il saura tout de suite que c’est moi ! Il va encore se moquer et dire que je suis ronde, petite, grasse… « Gourmande va, t’es pas comme ta sœur… Elle est jolie elle. » Il va prendre ses yeux très noirs, pincer ses lèvres, me regarder de haut…

Il va faire sa tête des jours où il dit qu’il «  me retrouve toujours dans ses pattes ».

Moi je sais, son autre tête, celle des sourires qu’il lui fait à elle, à ma mère, elle est fausse. Je voudrais le dire à maman mais elle me gronderait. Elle a le béguin pour lui… Je crois que ça veut dire qu’elle est amoureuse… Et si ça continue comme ça, il va s’installer chez nous, il sera notre père !

Les voilà… J’ai mal au ventre, j’ai envie de faire pipi, j’ai beau tout serrer….

R.Z.

Véronique Coucaud-Guerville

Papa est là. Je sens l’odeur de sa grosse sacoche noire. Il est arrivé cette nuit. Il va me donner un cadeau. J’ai hâte de voir ce que cela sera ! Il est pilote… Il conduit des avions dans tous les pays du monde. Maman me montre sur la planisphère accrochée en face de mon lit où il est quand il est parti. Des fois elle est très inquiète parce que là où il va il y a la guerre.

Quand il est là, je suis contente et pas contente ! Quand il est là, maman n’est pas pareille : elle rit tout le temps et ses yeux brillent. Elle me parle moins. Le soir, elle raconte l’histoire, elle fait juste un gros bisou, pas de gros câlins et elle ferme complètement la porte de ma chambre.

Quand il est là, elle se maquille et met ses belles robes.

Quand il est là, elle fait des bons gâteaux mais il faut manger la viande et encore le fromage avant le dessert. Ça dure longtemps.

Quand il est là, ils vont faire du vélo tous les deux. Je dois rester seule dans la maison avec le chien. Ils partent longtemps.

Quand il est là, c’est lui qui me conduit à l’école. Je suis fière de lui donner la main. Les autres me regardent. Ils aimeraient bien avoir un papa avec une casquette blanche et qui conduit des avions dans le monde entier. Il parle beaucoup avec la maîtresse. Ils parlent de moi, je sais, mais je ne sais pas ce qu’ils disent, ça me fait peur. J’ai peur que Melle Martin raconte les bêtises que j’ai faites comme quand j’ai dit qu’il était mort dans le pays où il y a les soldats qui tuent les gens et même les enfants.

Quand il est là, je voudrais qu’il reparte avec son avion.

V.G.

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