Vos textes à partir de Jaume Cabré !

Il y a 15 jours, Alain André vous a proposé d’écrire à partir du roman du recueil de nouvelles du Catalan Jaume Cabré « Voyage d’Hiver » (Actes-Sud, 2017). Parmi de nombreux textes reçus, nous en avons sélectionné 13 ! Merci à tous de votre belle participation !

Marion Gourdin

Polyamoureux

Je regarde Samuel me concocter l’un de ces jus détox dont il a le secret. La bouche en cœur il sifflote, léger, cet air que j’aime tant. Je retiens cet élan, cette envie violente de l’étreindre alors qu’il s’applique, le geste sûr. Ne pas l’effrayer, ne rien gâcher. Ne pas trop me dévoiler. Me préserver. Moi si entière, parfois si fière. D’habitude possessive. Avec lui, je ne sais plus rien, révise mes principes. « Lea, profite ! ».
J’aimerais m’extirper de mes draps mais ma tête pèse dix tonnes ce matin, comme si je n’avais pas dormi de la nuit ; j’ai rêvé d’elle pourtant. Est ce qu’elle m’aime ? M’aime-t-elle autant que Samuel ? Et moi, est-ce que je l’aime ? Elle me rend dingue. Peut-on tomber amoureux d’une voix, d’un rire ? D’une intelligence ? Ai-je juste du désir ? Puis-je vraiment partager ? « Ma pauvre Camille tu es fatigante ! ». Je n’irai pas à ce brunch ; de tout façon je suis crevée.

Levée de bonne heure, pour goûter à la douceur de ces premiers jours d’été. Un saut à la boulangerie, parfait prétexte pour une balade matinale et solitaire. J’avale déjà les sept étages de notre appartement à grandes enjambées. Lea est arrivée. Je me sens flattée, aucunement menacée. J’évite de me comparer. Sam m’a étonnée avec cette nouvelle conquête, à la mine plus enfantine. Je sens déjà que je vais bien l’aimer, que j’ai envie de la protéger. Et qui sait, cela poussera peut-être Camille à davantage d’effusion envers moi. Elle me plaît tant. J’ai hâte de la voir, elle ne devrait pas tarder.

M.G.

Odile Jarrier

Depuis de nombreuses années Lou n’était pas revenue dans son village, études, décès, poste à l’étranger. Retour cette année et furieux besoin de respirer l’air de son enfance. Elle stoppe au lieu-dit La Butte, dominant son cher panorama. Elle retrouve son chêne, encore plus imposant, s’assied contre, tout contre lui. Combien de fois est-elle venue à cette heure-là, seule ou pas, pour le coucher du soleil derrière les montagnes à l’horizon ? Cris des hirondelles, aboiements dans la vallée, fraîchissement de l’air, elle frissonne. Temps d’un regard sur La Rue, l’unique, de part et d’autre les grandes maisons aux cours fleuries, en bas le café-bistrot sur la placette, peut-être animé ce samedi soir, y passera-t-elle? Encore deux minutes et le spectacle va commencer, elle se pelotonne, émue aux larmes.

Aux « Tilleuls », à gauche en descendant, Margot est perplexe, une petite soirée est prévue, mais elle hésite, se demande si finalement… Pourtant les longues soirées seules, elle connaît depuis le départ des parents. L’hiver, c’est l’angoisse. L’été, les amis de passage, les vacanciers amènent rencontres, animation, agitation . Elle réalise qu’elle devient bien solitaire avec ses chiens, elle aurait dû partir plus jeune. Quand elle voit des amies revenir, elle s’interroge, avec certaines plus rien de commun, des mondes tellement différents, elle se sent mal, avec d’autres la complicité est intacte, elle apprécie, elle adore. Assez soliloqué, elle se reprend, plus que deux minutes pour s’arranger un peu, léger maquillage, petite veste et elle verra bien.

Charles, gérant le café depuis des années, teste régulièrement de nouvelles formules. Avec son épouse, qui n’est pas de la région, il invite des journalistes, écrivains, autour d’un thème et d’un verre ! Dégustations diverses très appréciées. Ce soir, il accueille comme toujours avec bises et grand sourire. Tous installés, jeunes, et moins jeunes, on va commencer. Lou tente de se faire discrète quand elle découvre l’affichette « Speed dating », coup au cœur, elle n’avait pas imaginé… Son effarement remarqué, Charles précise la finalité des rencontres, deux minutes avec chaque étudiant d’agro, non, pas de recherche amoureuse, mais de partenaire pour mieux connaître le paysage, les sources, l’habitat, l’originalité de la commune !

O.J.

Cathy Fourne

Antique suitcase

Où est passé mon petit ordinateur ? Je l’em-por-te avec moi ! Sans monsieur Google, je ne vis pas, même si personne ne peut soupçonner qu’il m’accompagne dans mes superpouvoirs, ma superintelligence, ma brillance. Je dois pouvoir suivre Syria-Web à tout moment. Ils disent que les images sont suscpetibles de me choquer, mais maman est toujours occupée ailleurs dans la maison, alors ? Tous ces massacres dans les villes et les villages, ça me passionne. Je dois aussi pouvoir regarder mes jeux video quand je le veux. Je sais lire depuis toujours bien sûr, maman m’a appris quand j’étais encore un bébé couché dans son lit à barreaux, mais ils disent ma force et avec eux, je suis Dieu.

Mon petit trésor, comme il est gentil et obéissant. Mais non, je resterai ferme et positive, comme le recommandent les cours sur les Rapports Parents-Enfants que je suis à la médiathèque. Pas de châtiments corporels. Je suis contre la violence. Il faut respecter les enfants et les écouter encore et toujours. Comment le dire à son père ? Pas de scènes de ménage, ce n’est pas une bonne idée pour les gamins dans une famille.

Brigitte ne m’adresse plus la parole depuis que j’ai disjoncté chez les cousins. Quand Manuel m’a lancé sa raquette de ping-pong parce qu’il perdait et quand elle est tombée sur mon pied, j’ai vu rouge. Elle lui fait toujours ses quatre volontés, mais c’est lui qui doit obéir. Vlan vlan vlan, je l’ai frappé trois fois sur le derrière avec le plat de la main et depuis, c’est le drame. Et le silence. Pas un mot plus haut que l’autre. Jamais.

Mais est-ce que je comprends bien la situation maintenant ? Elle a posé une valise dans l’entrée et elle emmène aussi le gosse ?

C.F.

Lolo

« Je ne sais pas vous mais moi j’ai passé un week-end pourri, en plus de ce licenciement qui se profile, c’est engueulade sur engueulade avec ma femme… ma belle-fille qui s’en mêle et qui nous fait sa crise d’adolescence et en plus de ça la chatte trouve la bonne idée de faire une portée de neuf chatons dans le placard à chaussures …» .

Patrick qui se trouvait à proximité de la rame avec ses deux collègues avait la mine des mauvais jours, il venait d’écouter patiemment Jean-Luc et enchaîna.

« Tu as presque passé un bon week-end par rapport à moi, mon épouse est hospitalisée car elle s’est cassé la jambe en faisant du cheval … mon fils s’est retrouvé au poste après s’être fait contrôler positif au cannabis alors qu’il a son permis depuis quinze jours et mon chien s’est fait renverser devant la maison hier soir, fracture du fémur, trois heures aux urgences vétérinaires avec un pansement n’ayant rien à envier aux égyptiens….

Marc avait l’air absent, on avait l’impression qu’il n’avait pas entendu les déboires de ces potes, il se rapprocha du quai et releva la tête : «Ma femme est partie avec les enfants, les meubles et notre furet, ma mère est en phase terminale, mes amis ne vont pas bien alors pour moi il n’y aura pas d’engueulade, pas de bagarre judiciaire, pas de licenciement, pour moi l’aventure s’arrête là… »

Le métro de la ligne quatre venait malheureusement juste d’arriver…

L.

Monique Garguilo

Trois monologues

J’ai posé mon bouquin. Je n’arrive plus à me concentrer. Un pigeon téméraire avance vers eux. Il va se prendre un coup de pied, c’est sûr. Si l’autre imbécile ne réagit pas, elle, elle va le faire dégager, c’est trop crade les pigeons. Dans mon coin d’herbe ils ne viennent pas. Peut-être juste des crottes de chien. Pourquoi je pense à ça ? Et l’autre qui s’incruste sur le banc. Il se rapproche d’elle un peu trop, non ? Je n’aime pas son gros bras velu. Il a posé la main sur son épaule. Ah ! Le pigeon s’envole.

Elle veut pas que je reste avec elle. Elle dit que ça va tout gâcher. Que je suis trop petit pour comprendre. Je n’ai qu’à aller jouer au toboggan. J’aime pas les toboggans. Les tourniquets non plus. J’suis plus un bébé. Elle a mis sa belle robe rouge. Je me suis caché sous un buisson, elle me retrouvera pas. Elle veut pas de moi, elle veut plus être ma mère. Si j’appelle mon super pouvoir, j’vais me changer en oiseau, je volerai très loin, elle me verra plus jamais.

Quel temps merveilleux ! Une journée idéale pour tomber amoureuse. Si seulement les hommes étaient moins lourds… Quand je pense que j’ai passé des heures à me préparer pour plaire à ce rustre qui essaie juste de m’embrasser. Il n’a aucune conversation. Je me demande si je ne préfère pas la compagnie des pigeons. Où est passé Tony ? Pourvu qu’il ne fasse pas de bêtises. Tiens, le monsieur assis dans l’herbe a cessé de lire. Il me regarde, il a l’air plutôt bel homme. Mais… je le connais, vite mes lunettes. Ce n’est quand même pas mon…

M.G.

Pamela Ireland

Bérénice regarde son reflet dans la vitrine de la pâtisserie. « Mais comment elles font, toutes ces maigres, pour garder leurs corps de vingt ans ? » Il y a ce parfum du sucre vanillé. Comment résister ? Pourquoi résister ? Une minute plus tard elle est assise sur un banc, la main dans un sac de chouquettes. « Ça ira mieux demain, je ne serai plus toute seule, j’aurai mon Prince. » À l’autre côté de la place elle reconnait un bel homme d’une cinquantaine d’années. « Oh non ! Je ne veux pas qu’il me voie en train de manger sur la place publique. » Elle remet la demi-chouquette dans le sac en papier et range le sac dans son gros cabas.

Madison ne veut pas grossir. Madison prend des « selfies » qu’elle met sur Facebook, avec des petites vidéos de « bouffeuses », enregistrées à leur insu sur son portable.   Aujourd’hui la cible est assise sur un banc en train de manger une chouquette. « Merde – elle finit – tant pis, trente secondes suffisent. » Madison voit l’homme à l’autre côté de la place : «Oh non, pas lui! » Madison range son portable, et part faire son jogging sur l’Esplanade au bord de la mer : «  Ça fait du bien, l’air frais. »

Philippe hésite: « Ça va être délicat, ces deux ensemble – mais non, Madison part, sans doute faire son jogging. L’autre n’a plus besoin de moi, mais Madison, je ne dors pas la nuit à cause d’elle. » Philippe traverse la place. Bérénice sourit : « Bonjour docteur, vous aviez raison, c’était le deuil, pas la déprime. Je vais mieux : mon fils m’a acheté un chien, on va le chercher demain, il s’appelle Prince. » « Très bien Madame, c’est une bonne idée. Bonne journée Madame. » Philippe, médecin psychiatre, poursuit son chemin vers son cabinet. Pas de soucis pour la veuve, mais la petite anorexique, qui fait des vidéos des femmes en train de manger, il ne dort pas la nuit à cause d’elle.

P.I.D.

Igor Durliat

La plaie

Nadine se tourne vers sa tante. « Il a fait une tête bizarre quand je lui ai parlé de l’œdème », se dit-elle. « Il a l’air de prendre du temps pour l’examiner… Bon sang, il m’a fallu deux mois pour la sortir de son trou ; depuis le temps que je lui disais de se soigner… Elle a tellement peur de l’hôpital, les vieux comme elle sont persuadés qu’ils en sortiront que les pieds devant. »

« Moi je sais pas, j’aime pas ces docteurs » se dit Marie en baissant les yeux, « toujours avec leurs raisonnements pour te donner des cachets, avec leurs airs d’avoir été à la ville. Et mon chose là ça me fait pas mal, la petite je lui aurais pas dit oui mais elle insiste, et puis ça me coule depuis quelques jours… En tout cas moi je fais pas d’examens, je reste chez moi avec le chat. Je veux pas qu’il me regarde sous la robe… »

Le médecin se penche sur elle. « Les œdèmes unilatéraux ça pue. » pense-t-il, inquiet. « Je lui ai dit dix fois qu’elle devait consulter plus souvent, qu’une ou deux fois par an à son âge c’est pas raisonnable. Ce bras est vraiment moche… A tous les coups elle a jamais fait de mammo ; on va la faire, ça elle acceptera. Bon, je vérifie au moins avant son s… bon Dieu, son sein n’est qu’une plaie béante, noirâtre de nécrose… Depuis combien de temps elle traîne ça ? Bon Dieu, j’aurais dû la déshabiller quand je suis passé la voir. Comment je vais lui dire qu’on va devoir l’hospitaliser d’urgence ? Elle est fichue, je ne lui donne pas deux mois… »

I.D.

Pascale Blazy

De ménage en remue-ménage

Maintenant, il lave le tableau, grimpé sur un banc. Ses jambes, encore trop courtes, ne lui permettent pas d’aller jusqu’en haut.

Il s’applique, l’oreille aux aguets.

L’eau de l’éponge dégouline, glisse le long de son bras, s’insinuant dans sa manche.

Des coulées d’eau sale s’amoncellent dans la gouttière au bas du tableau, détrempant les craies.

C’est au lavabo qu’il a entendu la maîtresse parler au directeur de sa chère Camilla.

Pas le temps d’essorer l’éponge, il a couru.

 

C’est alors que la maîtresse fait irruption dans la salle de classe, suivie par Camilla et le directeur.

Elle jubile. Enfin, elle va coincer la petite voleuse qui perturbe l’ordre de sa classe.

Depuis l’arrivée de cette élève, à peine quelques semaines, de menus objets disparaissent sans cesse.

Elle se penche sur le casier…

 

Plantée près de mon pupitre, je suis attentivement ses gestes.

Cette fois, je n’y échapperai pas, je vais être démasquée. Je vais perdre la face devant ce cancrelat de Jérémie !

Fébrilement, elle sort mes livres et mes cahiers. Elle empoigne mon cartable, comme on saisit une dernière chance.

Elle fouille, s’énerve, me regarde, recommence son exploration.

Rouge de colère ou de confusion, elle est bien obligée d’admettre qu’il n’y a rien.

Je tourne la tête.

Du haut de son banc, Jérémie me sourit, discrètement.

Il a fait ça !

Pas mal ce garçon, finalement…

Je lui rends son sourire.

P.B.

Philippe Béon

Masque

Il marche lentement dans sa rue inondée d’un soleil de fin de journée qui tombe des toits et répand sur les façades ses éclats orangés. Il se souvient de l’immeuble en feu quitté un an plus tôt sur une civière dans les hurlements de sirènes. Il revoit la grande échelle, la lumière des gyrophares et puis ce casque brillant, ces mains qui se tendent dans la fumée et les flammes. Mais son souvenir s’efface. Car il est là, bien-là, ici et maintenant, dans son immeuble de la rue Récollet dont il monte les escaliers. Il respire, savoure l’instant.

Elle sort de chez elle en claquant la porte. Elle ne sait pas où elle va, mais elle y va. Elle se tire. Elle en a ras-le-bol de son mec. Elle croise un étranger au pied de l’escalier, grand, élancé même. Il a de l’allure. Il semble perdu dans un ailleurs lointain. Elle le regarde dans la pénombre, elle plonge dans ses yeux verts, croit le reconnaître ? Mais il se tourne un peu plus. Non ce n’est pas lui. Elle esquisse un sourire charmeur et déjà se réjouit du nouveau venu dans l’immeuble. Joli garçon mais austère ?

La concierge est là, qui lave le sol et maugrée. Elle observe la scène. Elle a tout vu. Quelle petite trainée, cette Gisèle Raimondi à toujours aguicher le locataire, se dit-elle. Un jour, il faudra qu’elle dise tout ce qu’elle sait. Mais là, la Gisèle, cette gourde de Gisèle, elle n’a rien compris. C’est pas un nouveau, c’est Monsieur Lucas qui revient du Centre des grands brûlés avec son visage greffé.

P.B.

Véronique Hallo

Moteur !

Je prendrais bien mon café tranquillement moi ! Un expresso, soit, je vais le boire en moins de deux minutes si je ne veux pas qu’il soit froid mais ça n’empêche pas que ces deux minutes soient savoureuses. J’ai déjà éteint la radio et sa publicité agressive, les gazouillis des oiseaux j’arrive à en faire abstraction mais là, ce ronronnement, même faible en décibels, il détourne ma rêverie par son insistance. La regardant se vêtir devant sa fenêtre, je m’imagine son programme du jour assorti à sa robe fleurie.

Zut et re-zut, fichue fermeture à glissière ! Je veux mettre cette robe aujourd’hui, il ne faut pas qu’elle se coince. Pourquoi a-t-on seulement deux mains, je n’arrive pas à tendre le tissu suffisamment. J’ai encore mon maquillage à terminer et je ne suis pas sûre du rouge qui convient avec ma nouvelle robe. J’entends bien le moteur depuis déjà un moment et il faut aussi que je brosse mes escarpins, vite.

Je crois que nous avons réussi à installer tout le matos, le groupe est en place, la parabole permet une bonne liaison. Pas facile les directs, surtout quand on veut ménager la surprise. Mais ce concept est bon, les surprises de voisinage, un bon titre. Allez ! Si c’est bon, on y va. Il va quand même être bien étonné, devant ma caméra, de découvrir ses liens familiaux avec sa récente voisine, sa propre petite-fille revenue d’Australie et dont il ne connaît pas l’existence. Elle a fait du bon boulot la généalogiste.

V.H.

Julie Briand

dp

Il bâille. « Samedi 18h30, enfin le bout de cette journée. Mes jambes tirent, elles n’attendent plus comme moi que la retraite. Madame Violon arrive, je ne l’avais pas vue depuis un moment, c’était plutôt son mari qui venait ces derniers temps. Mais quelle tête ! Ni maquillée ni soigneusement coiffée comme à son habitude, elle a perdu au moins 10 kilos, ses yeux sont creusés. Je ne peux pas lui demander comment elle va, elle porte le mal de vivre. »

Elle, devant l’étalage, les yeux dans le vide. « Le boucher est gentil, il ne pose pas de questions mais je vois dans son regard. Peut-être sait-il déjà ? Ou est-ce juste ma sale tête de quarantenaire qui se néglige? Mes forces m’ont lâchée avec le reste. Il faut que je me nourrisse un peu m’a dit ma sœur mais je n’ai envie de rien à part rentrer chez moi, retrouver mon lit et dormir, longtemps. »

Il lève la tête. « Voilà monsieur Violon. Je n’aurais pas dû lui dire. Elle ne s’est pas retournée et a baissé les yeux. Sa lèvre a tremblé, son visage a perdu les minces couleurs qui lui restaient. J’ai peur qu’elle tombe. Et lui, il a regardé dans ma direction puis est reparti d’où il venait, comme s’il fuyait. »

Il marche vite.

« Je ne pensais pas tomber sur elle un samedi à cette heure. Je ne peux pas rester là. Comment pourrais-je demander, devant elle, au boucher son meilleur morceau de filet de bœuf pour deux personnes, avec des fleurs à la main qui ne sont pas pour elle? »

J.B.

Isabelle Minibulle

L’amoureux transi

DP

Je suis seul à la terrasse de ce café et je sais qu’elle va sortir de sa boutique et entrer chez le fleuriste. Quand elle en ressortira dix minutes après, elle jettera un œil circulaire dans la rue et rentrera dans son magasin. Son manège me fait rire. Le fleuriste n’en peut plus, je suis certain qu’il craque pour elle lui aussi. Je voudrais bien savoir lequel elle va choisir. Cette femme me plait. Ce qui m’a attiré en premier chez elle, c’est son parfum. Un sillage discret que j’ai suivi.

Qu’elle m’agace à venir tous les jours. Je lui ai dit que ça allait finir mal mais c’est une tête de mule. Ça l’amuse, moi pas ! Il est là-bas à sa terrasse et il attend. J’ai envie d’aller lui mettre mon poing dans la gueule oui ! Mais bon, gentleman je suis, gentleman je reste, ça ne se fait pas dans la famille qu’elle dit ! N’empêche, il est temps que cette histoire se termine. C’est aujourd’hui qu’elle va lui parler. Je voudrais bien voir sa tête. Bon sang, ça y est, elle y part au pas de charge.

Il croit que je ne l’ai pas vu assis sur sa terrasse à faire le malin. Cette fois, je ferme la boutique et j’y vais. N’empêche, pensa-t-elle, c’était quand même agréable de recevoir une rose tous les jours. Elle traversa la route faisant fi des coups de klaxon furieux des automobilistes. Son cœur à lui s’emballa. Il aperçut le fleuriste qui la suivait le sourire aux lèvres. Quand elle lui présenta son mari, il n’écouta plus ce qu’elle racontait. Ses rêves s’envolaient et il put compter les morceaux de son cœur brisé.

I.M.

François Momal

Photo: DP

Inspiration, expiration, inspiration, expiration…lentes et complètes. Tête à ras de l’eau et regard rivé sur l’autre bout du bassin, je déroule le compte à rebours. Je fais le vide dans ma tête. Top départ : dernière inspiration et je m’immerge. Première partie de la longueur. Faible profondeur. Gestes lents et pleins. Je me dois de conserver l’air le plus longtemps possible. Les rais de lumière viennent ensemencer l’eau. Repère bienveillant de la ligne peinte sur le fond, qu’il me suffit de suivre. Soudaine rupture de pente. Ventre à terre, je bascule vers les profondeurs.

Cela fait un moment qu’il est immobile celui-là. L’animal se concentre, insensible à la vie autour de lui. Tiens il me semble que le jeu des inspirations et expirations, d’abord lent, s’accélère. Il avale goulument de l’air. Bingo il s’immerge ! Le voici au niveau de la rupture de pente. De mon poste d’observation, de ma chaise surélevée, rien ne m’échappe. Je le vois ! La lumière en provenance de la grande baie vitrée derrière moi a beau exploser en mille petites étoiles à la surface de l’eau, je ne rate pas une de ses brassées.

Je viens de poser ma serviette sur le banc qui court tout le long du mur opposé à l’immense baie vitrée. Je t’ai reconnu là, adossé au mur, eau jusqu’au cou, regard fixe. Tu viens de donner un vigoureux coup de pied sur le mur et tu attaques ton voyage. Alors que les cris fusent autour de la piscine, pour toi tout n’est que silence et lenteur. Je t’envie. Le temps d’une longueur de bassin, tu as laissé tous tes emmerdements à la surface. En arrivant, je n’ai pas pu ne pas voir ce panneau interdisant l’apnée.

F.M.

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