Vos textes à partir de Tanguy Viel: 2ème partie

Vous avez été nombreux à nous envoyer vos textes cette semaine, en réponse à l’appel à écriture de Alain André à partir du roman de Tanguy Viel, Article 353 du code pénal (Minuit, 2017). Difficile de choisir parmi une grande variété de styles et d’histoires inventives et piquantes! Voici parmi les 14 textes retenus, 7 textes. Merci à tous !

 

Courts Écrits : Bluette

J’ai tenté de lui expliquer que c’était très différent, que les femmes sont outragées en continu, par des regards lourds, par tous ces commentaires convenus sur l’outrecuidance provocante de leurs accoutrements. Les hommes, eux, sont toujours flattés – à part si les compliments proviennent d’un individu de même sexe. Bien sûr que ça lui plaisait mon regard qui s’attarde sur sa bouche, il n’avait pas repoussé ma légère étreinte la première fois.

D’ailleurs, avoir accepté un rendez-vous, il se doutait bien que j’avais une idée en tête. Il avait toujours, toujours ! répondu à mes messages.

Cette première rencontre il ne l’avait pas écourtée. Et ensuite ses messages avaient répondu aux miens, ses plaisanteries à mes traits d’humour. Quand j’osais une allusion un peu moins sage, il ne la relevait pas, soit, mais justement il n’avait jamais mis de holà ! C’est bien qu’il désirait aussi plus de familiarité, puis davantage d’audace, des mots crus, des relances plus incisives. Quand ses refus étaient circonstanciés j’aurais dû comprendre que c’était un « non » poli ? Oui j’ai échafaudé un scénario coquin, un de ceux qu’il apprécie en littérature et il a changé du tout au tout, il a pris peur, il n’avait plus le cran de céder à son désir.

Mes explications il n’a pas voulu les entendre. Tu vois, ma chérie, quand ton père a eu connaissance de la plainte, j’ai compris que ce serait dur pour lui après toutes ces années de vie commune de voir que c’était cet homme qui m’avait aliénée.

B.

Christine Lumineau‬ : Délivrance

Je ne sais si tu vas me comprendre, comment te dire, c’est une grande délivrance, la peur à l’odeur âcre et dure qui s’était glissée sous la peau, n’a pas suinté, d’un coup elle a été expulsée, je me sens propre, lavée. Ça devait arriver. Ça allait arriver. Je sais bien qu’on ne tue pas, ça on me l’a assez répété au catéchisme quand j’étais petite, les sept péchés capitaux, tu parles ; être battue pour un rien, sans raison, tu comprends, ramasser des coups, plier sous les coups, se faire frapper toutes les semaines, des meurtrissures jamais guéries. Cette fois, lorsqu’il a cogné pour des miettes de pain laissées sur la table et pas nettoyées, pour ça, ce si peu, tu comprends, je n’ai pas pu me retenir, j’ai attrapé le tisonnier près de la cheminée, un coup franc sur la nuque, le blanc du corps qui s’écroule, le bruit mat que cela a fait, comme une douceur. J’ai regardé le sang couler, j’ai regardé la tache de sang s’étaler, mes yeux ont plongé dans ce rouge féroce, oui je l’ai regardé pour m’assurer qu’avec ce rouge se taisait à jamais un monstre. Toi, mon fils, qui as supporté les sarcasmes, la violence, la sauvagerie de cet homme, toi qui as perdu les mots à cause de cet homme, toi qui t’es tu si longtemps, j’aimerais maintenant t’entendre, que tu parles, que tu cries, que tu hurles mais t’entendre ; oui, c’est de t’entendre dont j’ai le plus besoin.

C.L.

Claude Couliou

Eliminer la vermine. S’offrir un contrat qui le liquidera. C’est trop, on ne peut pas le laisser faire, il détricote, il abat, il révoque, il abolit, jusqu’où ira-t-il ? On le dit psychopathe, on le nomme le fou calamiteux, on le dénie, on le hait. Oui mais il y est arrivé… au sommet. Depuis il agit, il rend le monde fou et moi aussi.

Attente fébrile puis grand titre dans les médias, j’avoue que le plaisir fut intense. La mèche blonde ne sera plus cirée et précédant le crâne, on l’aura vue tomber lamentablement en travers de la cravate.

Allez ! Dis-le que c’est toi, pauvre petit citoyen de base qui refuse le piège du vote frelaté quel qu’il soit et où qu’il soit. Non, avoue ton méfait, c’est toi qui a tout instigué.

Rendez-vous dans un sinistre parking souterrain. C’est une première et je n’en mène pas large. Au téléphone, après de multiples contacts anonymes et une campagne de crowdfunding pour réunir les fonds – c’est pas donné un tueur à gages – il avait une voix habituée et décidée. Un vieux de la vieille, un artisan, l’expérience aide à devenir sûr de soi.

Une enveloppe kraft bien épaisse et solide – liquide oblige – un visage caché et surtout un plan annoncé pour passer à l’acte. Il choisira l’instant idoine, le concours de circonstance unique qui fera date dans l’histoire et permettra de débarrasser la planète d’une bête nocive et nauséabonde. C’est le job du tueur et pas le mien, il est payé pour ça.

J’ai dit au tribunal que c’était moi ou lui, ce fut lui et dans mon rêve, ce fut jouissif.

C.C.

Delphine Duhoux : Sans que ne coule le sang

Je croyais qu’avec le temps, j’y arriverais. Mes larmes sont pourtant la seule eau qui a coulé sous les ponts de mon existence. La goutte qui a fait déborder ma souffrance hier, c’est quand Phelps a encore gagné une médaille d’or aux Jeux Olympiques. Je n’ai pas supporté ses yeux pleins d’admiration pour ce guignol moulé dans sa combi. Je me suis promis que ce serait l’ultime humiliation dans laquelle elle me noierait. Plus jamais elle ne me ferait replonger dans mes hontes d’enfant.

Elle était dans la baignoire, et je suis arrivé par surprise. Pour qu’elle savoure sa dernière immersion, j’ai maintenu sa tête sous l’eau. C’est le seul endroit d’où elle ne pourrait plus m’inonder de son mépris et de ses innombrables mises en garde. Puis, pour être cohérent, je l’ai vêtue de tout le matériel qu’elle s’était offert : je lui ai mis son maillot de bain, son bonnet fluo, ses lunettes et ses palmes. Quand je pense qu’à moi, elle n’avait jamais daigné acheter le moindre slip de bain, quand j’étais gamin !

En liquidant ma mère, je me suis débarrassé de la source de mes problèmes.

Après dix ans de cours sans résultat, je vais enfin pouvoir progresser.

Je suis libéré de mon aquaphobie, j’ai dit à Stéphane, mon ami maître-nageur. Ma mère a piétiné ma seule raison de vivre, elle a saboté mon rêve de devenir nageur professionnel. La natation, c’est soi-disant dangereux, alors elle m’en a toujours refusé l’apprentissage.

Elle disait que je risquais de me noyer …

D.D.

Franck Laisné : Nous les pauvres

Parce qu’elle avait tant aimé me regarder souffrir, tant joui de me voir à ses genoux, parce que je voulais que ses grands yeux cerclés de rimmel s’ouvrent encore plus quand j’enfoncerais ma lame dans son cœur comme je fourrais ma langue dans sa bouche. Parce qu’il fallait qu’elle comprenne – l’argent ne peut pas tout acheter.

Parce que son père, cette ordure, lui qui prétend tout maîtriser, ne me verrait pas venir quand je me faufilerai en douce dans la chambre de sa fille, comme un chat de gouttière s’invite chez le voisin pour chier sur son tapis. A-t-il jamais vu venir quoi que ce soit, lorsque son petit « bijoux » me suivait jusque dans la remise pour m’entourer, la pieuvre, de ses cuisses chaudes ?

Il ronflait de tout saoul, l’haleine empestée de cigare et d’un whisky 20 ans d’âge ! Peut-être qu’il a pensé à moi juste avant de s’endormir, qu’il a mentalement dressé une liste : tailler les haies, planter de nouvelles roses, nourrir les chiens, tondre la pelouse. S’est-il demandé un jour si je pouvais être dangereux pour sa famille ?

Plus que ses yeux, la bouche de la petite s’est agrandie quand j’ai planté ma lame, et j’ai vu un de ces tigres majestueux qui finissent en carpette, la gueule ouverte. Vulgaire trophée de safari !

J’ai dit au juge qui m’interrogeait : « Nous les pauvres, nous serons l’enfer des riches».

F.L

Françoise Simon (atelier de La Rochelle)

J’lui avais dit si tu me touches encore une fois, tu vas le regretter. Je l’avais prévenu. Faut arrêter de dire toujours que c’est la faute des filles, que si elles étaient habillées autrement ça arriverait pas. Ça arriverait pas tu parles ! La première fois j’avais pas une robe au ras des fesses et pourtant ça l’a pas empêché, depuis le temps qu’il me matait avec son sale regard de vieux, et puis qu’il me frôlait. Ce jour-là j’m’étais débattue et il avait fini par me lâcher, j’aurais dû lui balancer une baffe, j’ai pas osé, j’ai eu peur qu’il me colle son poing dans la figure. J’ai pas osé, et tu vois c’que ça donne ! Samedi il m’a suivie, j’m’en suis pas aperçue. J’l’ai vu tout d’un coup face à moi dans le couloir de la cave… Il m’a coincée entre le mur et son gros bide graisseux, j’me suis débattue, mais j’y arrivais pas, et j’pouvais toujours crier, personne entend dans la cave, c’est ce qu’il me disait, personne va t’entendre tu peux toujours gueuler !

J’l’ai vu, le lendemain, sur le quai du métro. J’pouvais plus le retrouver toujours comme ça sur mon chemin ! J’suis d’abord restée à l’angle du couloir, pour qu’il me voie pas. J’ai attendu qu’il y ait du monde qui s’entasse. Alors j’me suis faufilée dans la foule. Il était au bord de la voie, il remontait son froc qui tenait pas à la ceinture à cause de son bide. Quand j’ai entendu le métro dans le tunnel, j’me suis glissée derrière lui, et quand le métro est arrivé, j’l’ai poussé sur la voie.

Il recommencera pas j’ai dit au juge, ça fera un gros porc de moins.

F.S.

Isabelle Launay : Des Mises

Ce matin, les gendarmes sont venus me chercher. Je n’ai pas l’habitude qu’on prenne ainsi soin de moi. Mettez votre manteau, Mme Bontemps. Fait pas chaud ! m’ont-ils dit.

Je sais bien pourquoi ils sont venus me chercher de si bon matin. Je n’avais pas l’intention de fuir.

Il devait tout de même bien aimer les chocolats M. Massicot. Dans la boîte rouge que je lui ai envoyée, un seul était parfumé au curare. Je voulais juste lui dire qu’il m’empoisonnait la vie depuis des années.

Massicot, contrôleur des Finances Publiques. Il m’en a envoyé des lettres : des simples, avec AR … Le facteur avait fini par croire que j’avais une liaison avec le contrôleur.

Pourtant, il ne m’a jamais écrit une seule lettre d’amour. Mais des injonctions à payer !

Après le décès de mon père, le notaire m’avait dit que je n’aurais pas de droits de succession. J’avais beau lui expliquer que je ne lui devais rien. Il continuait : Vous allez payer !

Jamais un mot gentil. Que des mises en demeure, en recouvrement. Il ne me faisait pas rêver, Massicot, avec ses mises, ses pénalités sans remises. C’est un malentendu ! ai-je écrit.

Jusqu’à ce qu’il me donne quinze jours pour payer ou bien …

Ses lettres de plus en plus menaçantes me terrorisaient. Son visage avait même commencé à se dessiner au travers de ses lettres de financier bien ajusté dans son costume trois pièces.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser… chocolats. Parfait, on est en décembre.

Je ne l’ai jamais rencontré, M. Massicot. J’ai découvert sa photo dans le journal. Le crâne pelé, des lèvres fines décolorées, un nez en forme de virgule, des yeux bleu acier.

Alors voyez-vous, Madame la Juge, c’est lui qui a payé pour toutes les misères qu’il m’a fait subir. Je ne lui ai pas compté les intérêts de retard ! Une banale histoire de mises en demeure.

I.L.

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