Vos textes à partir de Tanguy Viel: 1ère partie

Vous avez été nombreux à nous envoyer vos textes cette semaine, en réponse à l’appel à écriture de Alain André à partir du roman de Tanguy Viel, Article 353 du code pénal (Minuit, 2017). Difficile de choisir parmi une grande variété de styles et d’histoires inventives et piquantes! Voici donc les 14 textes retenus, qui font l’objet de 2 publications, voici la première !

 

Viviane Clément

Tout s’est passé très vite. J’ai raccroché le téléphone et j’ai attendu. Il faisait presque nuit, l’ombre envahissait le jardin, pourtant je voyais encore la balançoire immobile accrochée sous le saule. Ils sont arrivés sans bruit, j’ai entendu seulement leurs pas dans l’escalier. J’ai ouvert la porte, une femme est entrée, s’est assurée de mon identité, a lu mes droits, a glissé des menottes autour de mes poignets. C’est ainsi que j’ai quitté la maison. Ma valise était prête, posée sur la table de la cuisine, à côté de la tasse peinturlurée dessus dessous que j’aurais bien aimé emporter.

J’ai demandé : et le chat? Il faut le laisser dehors. Un policier s’est assuré qu’il n’était plus à l’intérieur et s’est chargé de fermer la porte à clé.

Le trajet jusqu’au commissariat s’est passé dans le silence. L’air était imprégné d’odeurs de friture, de plastique et de peurs aussi. Sur les genoux du passager avant reposait un objet enveloppé dans un chiffon noir. L’arme sans doute, mon arme, un pistolet que j’avais acheté à un petit truand dont j’ignorais tout. Il m’avait montré comment tirer, après avoir compté et recompté les billets. La leçon était bonne puisque je l’ai tué du premier coup. J’aurais pu tirer encore et encore tellement la colère, la rage et la souffrance me portaient, mais je ne suis pas une criminelle. Il était là, assis devant sa télé, un verre et une bouteille à portée de main. Je suis entrée et j’ai tiré. Alors, j’ai dit à mon fils, dont la vie s’éternise sur un lit d’hôpital, qu’en un éclair j’avais revu son corps disloqué sur le bord de la route et les feux de la voiture qui fuyait dans la nuit.

V.C.

Marie-Isabelle Piel ‪: Chez Gilles

« C’était l’autre soir, alors que Marcel revenait de la chasse, que je l’ai invité depuis ma terrasse à prendre un verre. Les mains encore pleines de terre et de sang séché, il était fier le Marcel : il avait attrapé un cerf, quelques faisans et un lièvre. Ses yeux pétillants et sa moustache frétillante, il m’a expliqué dans les menus détails comment il tendait des pièges aux bêtes, comment il rusait pour les attirer et ensuite régler leur sort. Il éprouvait manifestement du plaisir à réduire chaque animal à sa merci. Nous étions bien, attablés devant notre bière, alors que le soleil disparaissait derrière le Vercors. Tout était calme à des kilomètres à la ronde. Tandis qu’il m’expliquait ses exploits de chasse, je ne pouvais m’empêcher de voir Marcel piégeant les femmes du village de la même manière, en mettant d’irrésistibles stratagèmes au point pour les attirer les unes après les autres dans ses bras. Tout le monde savait dans le village mais personne ne disait rien, même les maris. Je me suis éclipsé quelques instants dans ma cuisine et je suis revenu avec ces petits toasts aux tomates dont j’ai le secret, les mêmes que ceux que je sers aux clients de mon bar « Chez Gilles ». Sauf que cette fois, j’avais frotté les morceaux de pains grillés sur certains des champignons que j’avais cueillis dans les bois. Il n’a pas fait long feu, le Marcel. Il s’est vite affaissé sur sa chaise. Il m’était insupportable d’imaginer ma Juliette dans ses bras. Car elle aussi avait fini dans son lit, et cette seule idée m’était insupportable. Je l’aime trop, ma Juliette. C’est mon trésor, ma Bichette à moi. Nul autre que moi ne peux la toucher. On ne peut pas laisser un homme chasser nos femmes comme çà, j’ai dit au gendarme, il faut les protéger, nos belles dames. »

M.-I. P.

Michèle Guitton : Le 13 mars 2017

Madame,

Je vous écris pour vous avouer ma faute, parce que je ne sais pas à qui la confier. Je ne veux pas aller à la police, il n’y a que des jeunes chez nous au commissariat, ils se moqueront de moi, c’est sûr. Je vous écris parce que Grisette est morte. Elle avait quinze ans Grisette, c’était une belle chatte affectueuse. Elle me comprenait vous savez, je le voyais dans ses yeux. Pour elle je prenais le bus, j’allais à Auchan, de l’autre côté de Roubaix. Là-bas personne ne me connaît, je n’existe pas. Je mets un achat ou deux dans mon vieux cabas à double fond où je glisse une barquette de Boncha ou un petit sachet de croquettes. J’ai des frissons quand je passe à la caisse, des frayeurs même au début, mais maintenant, comment dire, ç̧a me grise. C’est Lisa, avant, qui me rapportait la nourriture pour Grisette. Lisa, elle travaillait à Auchan. Mais ils l’ont licenciée. C’est trop injuste. Elle a traîné, Lisa, et puis elle est partie avec Kevin. Je ne la vois plus. Alors j’y suis allée. Vous comprenez Madame, j’y suis allée pour Grisette. Mais je ne voulais pas payer les boîtes à ces voleurs de travail, de filles. Oui, je sais, je n’aurais pas dû, pas dû continuer. Grisette est morte il y a trois ans. Aujourd’hui, je ne sais plus où ranger toutes ces boîtes. Alors, Madame le Juge, s’il vous plaît, aidez-moi, c’est trop lourd sur ma conscience.

M.G.

Pamela Ireland

J’étais sûre qu’il me restait dix euros ce jeudi – j’étais sûre, mais quand je regardais dans mon portefeuille, il était vide. J’ai dû l’égarer quelque part, le billet de dix euros – comme je suis bête. Tu sais, je n’ai pas droit à une carte bancaire, lui, il contrôle tout. Désolée de te dire tout ça, mais je ne peux plus. J’en ai assez de tout cacher, il est temps que tu saches – en tout cas je dois tout lui dire ce soir, parce que je n’ai rien à lui donner, je n’ai pas été payée, je n’ai plus de travail, j’ai été licenciée.

Jeudi c’est le steak – tu le sais – toujours son steak le jeudi. Je n’avais pas d’argent, donc je l’ai volé, son steak, mais je ne suis pas une voleuse, quelqu’un m’a vue, j’ai été contrôlée… Mehdi le vigil était tellement gêné, le pauvre – je lui ai dit que je ne lui en voulais pas, c’est son travail.

Enfin bref, j’étais licenciée sur le champ. Au moins ils m’ont payé, et j’ai pu acheter son steak ailleurs. Je n’osais pas lui dire, j’ai passé tout la semaine à me cacher en ville à la médiathèque – lui, il ne mettra jamais les pieds dans une médiathèque – mais maintenant c’est fini, il faut tout avouer, et je veux que tu sois au courant, avant… parce qu’il va se mettre en colère, très en colère, et il va me frapper, et ça ne sera pas la première fois.

Je suis désolée de te dire tout ça mon fils, mais tu es grand maintenant, tu vas avoir treize ans… Je sais que tu l’aimes, moi aussi je l’aime, et je ne veux pas que tu penses mal de lui, mais il faut que tu saches : je ne suis pas une voleuse, je ne suis pas une voleuse…

Mais calme-toi – on va s’en sortir. Mais non, je n’irai pas en prison, je vais tout dire au juge maintenant.

– Mais maman, le billet de dix euros, c’est moi qui l’ai pris.

P.I.

Tugdual Gédouin : Voleur de fripes

M’enrichir, non, je ne l’ai pas voulu. J’ai tout distribué à des types dans la rue, des clochards, des nécessiteux, comme lui dirait. Ils auront chaud, dans ces vestes sur mesure en soie, ces pantalons aux lainages finement tissés. L’un d’eux a sur le dos ce costume qui équivaut à un an de salaire minimum. Pourquoi ne se les est-t-il payé lui-même ? Je serais resté à ma place.

Je suis un voleur maintenant, c’est vrai. Pas un menteur. Moi, je n’ai pas trompé mon monde. Lui, toute sa carrière, il a mis en avant sa probité. C’était son fonds de commerce. Quand j’ai appris qu’il recevait des costumes de luxe en échange de son entregent, ma gorge s’est nouée, ça ne passait pas, impossible. Toute ma vie, j’ai respecté les règles. La première fois que j’ai voté, c’était pour son premier mandat de député. Nous n’avons pas dix ans de différence, je m’étais identifié, je croyais en sa sincérité. Le mensonge d’un politicien, il n’y a rien de pire dans une démocratie. C’est le fumier sur lequel poussent des idées sombres, je crois. Il m’a trahi, blessé profondément.

J’aurais voulu voir sa tête quand il a vu qu’il n’avait plus ni ses costumes, ni ses chemises, plus rien à se mettre de luxueux. Je lui ai laissé ses slips, quelques T-shirts et les vieux jeans qu’il porte sur les photos des magazines, quand il pose dans un style décontracté, avec sa femme, ses fils ou son chien. J’ai dit à l’inspectrice que je voulais qu’il soit habillé comme tout le monde au procès, sans se sentir au-dessus de nous.

T.G.

Véronique Gault : Arthur

Le blog de la maternelle Freinet – Overblog

Je l’aime fort, ma maman. (Arthur gratte un crayon sur une feuille). Quand j’étais bébé, elle me faisait des bisous, elle me lisait Petit ours brun. (Il suce son pouce un instant, son regard se perd dans ses souvenirs, puis il reprend son crayon). Elle est toujours fatiguée. Et puis elle pleure. C’est ma faute, si elle pleure.

Ta faute ? Et ton papa, où est-il ?

Il est en prison. (Il brandit le crayon devant lui, comme une arme) Pan ! Pan ! Il a tué les méchants.

C’est lui, là ?

Non, c’est maman. Mais j’ai pas encore fait les cheveux.

Et c’est quoi, ce trou ?

C’est son cœur qui est parti. Fini les câlins, elle a dit. (Il appuie très fort sur son crayon. Son regard devient sombre). Plus de bisous. (Il sanglote un instant, puis se reprend, comme s’il avait fait quelque chose d’incongru). Elle est fatiguée et je suis trop grand, maintenant.

Tu as quel âge, Arthur ?

Quatre ans.

Et toi, tu trouves que c’est trop grand, quatre ans ?

Oui.

Et ça, à côté de ta maman, c’est quoi ?

Un gribouillis. (Il s’arrête de dessiner et se tait quelques secondes) C’est le bébé de maman. Il est pas gentil. Mais maman, elle lui fait des bisous, à lui.

Tu peux me raconter ce qui s’est passé ? (Arthur se tait) Il était dans son berceau, il pleurait, tu te souviens ? Qu’est-ce que tu as fait quand le bébé a pleuré ?

J’ai mis ma main sur sa bouche pour qu’il arrête (Il tourne son visage vers la psy et la regarde fixement). Maman elle dort, j’ai dit. Ferme ta gueule. Il a plus rien dit. C’est bien fait.

V.G.

Véronique Guerville : Le RMI

Ils sont arrivés tout de suite. En silence, elle les a suivis et s’est retrouvée assise à l’arrière de la voiture entre deux des hommes, le troisième conduisait.

C’était février. Quelques flocons blancs s’écrasaient sur le pare-brise. La cadence des essuie-glace berçait le silence. Partout dans les rues, des affiches rappelaient aux familles les joies de la Chandeleur. Joues rougies, yeux pétillants de plaisir, adultes comme enfants dévoraient des crêpes !

Maintenant, elle est là, au bord de ce fauteuil en skaï, face à ce bureau métallique. Il questionne, elle répond. Il note. Sur son visage, la lumière bleutée de l’ordinateur donne une impression d’irréalité à la situation… Elle n’en revient pas d’en être arrivée là ! Si ses enfants savaient ! Au moins, elle n’a plus froid. Ici, ils ne font pas d’économies de chauffage. Il lui a proposé un café qu’elle a accepté avec empressement, réclamant plus de sucre. C’est toujours ça de pris !

« Nom, prénom, date de naissance, profession ? »

Un nom, un prénom, une date de naissance, elle en a encore, mais une profession, cela n’existe plus pour elle ! Elle est au RMI ! Et comprend-il, ce gendarme qui l’interroge, que si elle a assommé le gérant du magasin avec la poêle à frire exposée à la caisse juste derrière elle quand il lui a demandé d’ouvrir son sac à dos où elle avait caché un paquet de deux tranches de jambon et une barquette de salade, c’est parce qu’elle vient tout juste de régler les mois de loyer en retard et qu’elle a faim ?

V.G.

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