« Avec Bas Jan Ader » de Thomas Giraud

« Tu étais seul, tu as toujours été seul. » Et nous savons d’emblée pourquoi.

Thomas Giraud, dans son dernier livre publié à La Contre Allée, nous plonge grâce à son écriture fine et sensible dans les abimes d’une recherche absolue. Nous sommes pris dans les filets d’un langage dont la précision minutieuse se veut au plus près du personnage, l’auteur nous décrit les arcanes de l’intention puis de l’action : saisir l’insaisissable.

Extrait 

« Certaines de tes idées passeraient facilement pour saugrenues. Si la pensée ne dépassait pas la réalisation ou même n’avait tout simplement pas besoin de réalisation, ça irait mais, justement, tu ne tiens pas à être un artiste de papier. Alors tu restes torse nu en plein vent l’hiver devant la fenêtre pour décrire le froid et ce que minute après minute il te fait ; tu écris des phrases qui doivent être décisives sur les murs, qu’on les comprenne ou pas, tu t’en moques ; tu imagines te faire filmer en train de pleurer, grave, effondré, ruisselant. C’est assez doloriste, comme s’il fallait faire payer ton corps d’une manière ou d’une autre, alors même qu’avec tes airs de dandy l’ironie et le détachement prévalent. »

Bas Jan a disparu à 33 ans au cours d’une traversée solitaire de l’Atlantique sur un voilier de 3,81 m. Bastiaan, c’était le nom du père, Bas Jan, le nom du fils (même prononciation à une lettre près). Artiste hollandais, il s’essaie à d’improbables performances. Une quête, une recherche qui conduit à la chute. Ou bien la chute a-t-elle imposée la quête ?

Au-delà des mécanismes intellectuels, c’est la pensée en mouvement éprouvée, déconstruite, dans un cheminement simple témoignant de l’expérience. Du conditionnel, des suppositions affirmées avec une assertion déconcertante, Thomas Giraud accompagne discrètement, pudiquement et fraternellement cet artiste au plus juste de ses convictions, de son désir de démonstration. De la représentation conceptuelle à la sensation éprouvée du corps. Et tels les mots soufflés par l’auteur, les bribes de phrases, des bouts de souvenirs font la somme qui fabrique l’histoire.

Une langue propre à nous rendre l’observation, la mesure du geste, la profondeur ou la légèreté, la singularité de l’action mûrie.

Ineptie et raisonnement nous transportent dans un déséquilibre subtilement discerné avec beaucoup d’empathie, d’affection. Une analyse juste et fine suscitant l’émotion.

Nous retrouvons Thomas Giraud dans cette construction de destins hors du commun. Il publie à La Contre Allée. Rappelons ses précédents livres remarqués. Son écriture nous donne à voir l’inventeur de la géographie nouvelle, anarchiste, végétarien, Élisée Reclus, avant les ruisseaux et les montagnes (2016) ; le parcours d’un musicien talentueux, prometteur, qui ne s’est essayé qu’à un seul album, La Ballade de Jackson C. Frank (2018) ; le destin de Victor Considerant, économiste polytechnicien, disciple de Fourier avec le projet de créer une communauté phalanstérienne au Texas, Le Bruit des tuiles (2019).

Ghislaine Burban


Avec Bas Jan Ader est le quatrième roman de Thomas Giraud publié à La Contre Allée ( août 2021). Né en 1976 à Paris, et est Docteur en droit public, il vit et travaille à Nantes.

Depuis le bel accueil réservé à son premier roman, Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Thomas Giraud contribue à Remue.net, 303, La moitié du Fourbiou encore le Yournal. Son deuxième ouvrage, La Ballade silencieuse de Jackson C. Frank a aussi connu un beau succès puisqu’il a été nominé au prix de la brasserie Barbes (Littérature et musique) 2018, et au prix des lycéens et apprentis, île de France 2018 et obtenu le Prix Climax.

Après Le Bruit des tuiles, paru en 2019, lauréat du Prix de la page 111,  il publie Avec Bas Jan Ader, son quatrième roman à La Contre Allée, en août 2021.