« Bordeaux, bordé de gris », Nathalie Gorce

Bordeaux, bordé de gris

 

La très vieille dame remue les lèvres,

une moue dit non sans les mots.

 

C’est le châle qui perce une fenêtre dans sa nuit.

Il sent les souterrains et les méandres.

Il sent les lettres qui s’effilochent

dans les cahiers noircis.

Il sent les hautes herbes de l’enfance

la peau mouillée, l’odeur de vase.

Il sent les tentatives d’amour

les baisers qui aspirent,

les rendez-vous manqués,

les cadeaux décalés.

Il sent les cris

les t’as l’air d’une trainée,

les ne fais pas d’enfants.

Il sent les pleurs

et les peurs qui transpirent.

 

C’est un châle bordeaux, bordé de gris

pelotonné dans le noir d’un tiroir.

 

Elle ne connaîtra jamais la fille,

qui a crocheté ces trous et ces fils.

 

Et voilà qu’elle voit là

des mains si jeunes qui s’affairent.

 

C’est comme un petit cercle de lumière

qui s’agrandirait, s’agrandirait dans la nuit.