Catherine Sellam, Evelyne Gaeng à partir de « Une femme en contre-jour »

Il y a 15 jours, nous vous avons proposé d’écrire à partir des photos de Vivian Maier évoquées dans le livre « Une femme en contre-jour » de Gaëlle Josse, sur la thématique que voit-on vu de dos ? Voici le texte d’Evelyne Gaeng à partir de la photo des enfants en patins à roulettes autour de l’homme au chapeau, et celui de Catherine Sellam, autour de la femme au chignon.
Evelyne Gaeng

Les patins à roulettes

C’est un chemin de pierre bordé d’arbres dénudés

Dans un quartier désert de New York.

Devant moi, l’homme s’avance au milieu des flaques d’eau.

Point de halte sur les bancs restés vides.

Il tire le garçon agrippé à sa main droite.

La petite fille s’est arrêtée,

Elle se retourne, regard perdu au loin,

Frêle silhouette dans la brume matinale.

 

Le soleil d’hiver perce à peine les nuages

Se faufile entre les branches,

Projette au sol les ombres du trio.

 

On pourrait croire que les enfants ont joué,

On pourrait croire qu’ils ont fait du patin à roulettes

Sous le regard bienveillant de l’homme au large chapeau…

 

D’où me vient la tristesse qui perle mon regard ?

A quoi ai-je deviné la longue traversée loin de la terre natale,

L’espoir terni, l’énergie essoufflée, la solitude, la détresse ?

 

Qui avez-vous laissé derrière vous,

Une grand-mère aimante, un cousin généreux ?

 

Déjà les silhouettes s’éloignent dans la brume.

J’enfile mes gants, je serre mon écharpe,

Je presse le pas, attirée par les promesses de la ville.

Courage, envie d’y croire encore.

 

Un éclat de soleil dans les branches enlacées.

Catherine Sellam

Chignon parfait

Pourquoi faut-il que Miss Graham s’apprête ainsi, toujours dans la sophistication ? Pas une mèche ne tente de s’échapper, son chignon pris dans un filet léger à peine décelable. Elle le veut de la sorte, totalement maîtrisé. J’ai obtempéré sans discuter. Mes conseils ne sont pas attendus. Voilà le type de clientes que ma patronne accueille dans son salon de coiffure de la 5e avenue, l’Elegance Hairstyle.

Si blonde, si inaccessible… si richissime. La petite robe noire épouse cette silhouette fine. Les deux heures passées sur le fauteuil n’ont pas froissé ses plis. Le tissu est de qualité, la coupe est forcément sur-mesure ! Le chignon qui ressemble à une montagne de cannolis, dégage une nuque délicate ornée d’un collier de perles à quatre rangs. Héritage familial ou cadeau d’un amant de Wall Street?

A quoi pense-t-elle, le regard perdu vers des abîmes intérieurs en attendant un taxi qui ne tardera plus ?

Dis-moi si je suis seule à voir à travers la vitrine, ces instants éphémères où Miss Graham semble se demander si elle ne prendrait pas un autre chemin, une direction plus incertaine ? Son chignon n’y résisterait sans doute pas…

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