Dominique Paquet: des mots pour penser le monde et ses tumultes

Chargée de cours dans plusieurs universités, Dominique Paquet participe à des Cafés Philo, montrant la nécessité et l’urgence d’un débat citoyen. Elle intervient également à Aleph-Écriture, où elle animera du lundi 11 mai 2020 au mercredi 13 mai 2020 un stage intitulé « Penser le monde et ses tumultes » à Paris.

« Si l’enfant est le premier philosophe, nul doute que cet atelier tentera de réveiller l’enfant questionneur veillant en chacun de nous ». Dominique Paquet.

L’Inventoire : « Penser la vie, voilà la tâche », écrivait Hegel. Vous vous référez souvent aussi à Spinoza. Pourquoi ?

Disons pour l’amour du destin et le fait de dire oui à ce qui arrive. Pas mal de difficultés dans la vie viennent de ce qu’on est « contre ». On pense qu’être contre c’est lutter, mais être contre c’est refuser, ne pas vouloir prendre à bras le corps le problème. Cela peut heurter les personnes qui pensent qu’on ne peut pas lutter, mais là, vous me prenez à un moment où je peux enfin l’accepter : dire oui à ce qui arrive.

Et pourquoi Platon ?

Platon, c’est la montée vers la philosophie, le travail d’analyse, de réflexion. Et puis je suis assez platonicienne, parce que je pense qu’il faut travailler à se dégager des opinions et des préjugés. Ensuite, il y a tout un travail sur soi à faire pour vivre le mieux possible. Mais pour répondre à votre question, je pense plutôt à Nietzsche en général.

Y a-t-il une urgence aujourd’hui à penser le monde ? Et peut-on le faire en trois jours, à l’occasion d’un stage ?

Il y a toujours urgence ! Par rapport à l’atelier, je travaille sur les genres de la philosophie. Dans la première étape, nous commençons par travailler sur l’analyse, la description d’un acte, d’une expérience existentielle, limite. C’est une expérience qui interroge sur « qu’est-ce qu’on fait là, qu’est- ce qui m’arrive, pourquoi ? ». On travaille sur les chocs de « conscience altérée », comme par exemple quand on se promène dans la nature et qu’on est submergé par le beau ; ou des événements comme les décès, ou le coup de foudre. Il y a des moments dans la vie où se produisent des phénomènes existentiels forts qui conduisent à s’interroger sur son existence. Sur soi.

C’est le premier moment de l’atelier : l’étonnement.

Dans la seconde étape, on travaille sur un objet opératif (on choisit des objets). J’ai une liste mais les personnes peuvent en prendre d’autres. Il y a la clé par exemple, l’oignon, le tuyau, l’échelle, le nœud, il y en a qui travaillent sur la porte, le lit, et là c’est à la fois un récit poétique et méthodologique. La question c’est comment l’objet peut être un outil de réflexion opératif.

Par exemple l’oignon, ce sont les enveloppes du moi. Le tuyau, la communication. La clé : l’ouverture/la fermeture, l’échelle, la montée… Autres objets : les eaux dormantes, jaillissantes, n’importe quel objet est susceptible d’ouvrir un champ de réflexion. Ce peut être des animaux, un porc-épic, une vache…

« En examinant l’objet dans sa fonction on découvre qu’il a une valeur opérative pour soi. »

Lors de la troisième étape, on est toujours dans le « je ». On passe à la lettre adressée à l’autre, au dialogue avec quelqu’un, c’est la lettre philosophique. Vous recevez une lettre de quelqu’un qui vous est cher et répondez, et sans botter en touche. C’est très dur de ne pas le faire, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de freins à la bienveillance et l’écoute. C’est très intéressant de voir comment on accueille la question de quelqu’un.

Quelle est votre méthode pour aboutir à « penser le monde » ? Interrogez-vous plutôt les textes ou les événements de l’actualité récente ? Et y a-t-il un va et vient entre les deux ?

On discute beaucoup philo, j’amène des livres, on discute des philosophes, des méthodes d’analyse, de classification, d’examen. On ne fait pas de dissertation. Il s’agit d’une petite boîte à outils. Lorsque les participants rentrent chez eux, ils peuvent continuer à réfléchir et écrire. Je garde contact avec certains.

Quel est l’aboutissement de ce travail sur trois jours ? À quel type de textes donne-t-il lieu ?

On aboutit tous à des textes et on les retravaille. Certains partent avec des thématiques. Il y a des personnes qui sont médecins par exemple, et sont confrontées à des problèmes métaphysiques, d’autres travaillent dans le marketing ou des organisations caritatives, on peut examiner des cas particuliers, et ils repartent avec une bibliographie adaptée, des débuts de textes.

Avez-vous des conseils d’organisation personnelle pour nos lecteurs qui veulent vivre et écrire à la fois ?

Ce sont des rythmes individuels qu’il faut arriver à comprendre, pour soi. Nombre de gens que je rencontre à Aleph veulent écrire. Ils veulent faire vite.

C’est en ne voulant pas écrire vite que l’on écrit. Il faut être à l’écoute de soi-même.

Pas mal de gens voudraient être après le livre. Paul Fournel racontait un jour dans un magazine l’histoire d’un cadre qui voulait écrire un roman. Il disait tout le temps, je n’ai pas le temps. Alors un jour, il envoie ses enfants et sa femme ailleurs le temps d’un week-end et se dit « maintenant je vais faire le livre ». Il se donne une récréation avant, le soir, il regarde Apostrophes. Et en regardant l’émission, il comprend qu’entre lui et Apostrophes il y a tout le chemin du livre. Et c’est ce temps-là qu’il faut prendre.

Propos recueillis par D.P

Biographie

Dominique Paquet a réalisé de nombreuses adaptations théâtrales de textes littéraires : Colette, Dame seule, d’après Colette, Enquête sur Hamlet d’après Pierre Bayard) et philosophiques (Au Bout de la plage, le Banquet d’après Platon ; Le Boucher cartésien d’après Descartes ; Le ventre des philosophes d’après Michel Onfray) avant d’écrire et de publier des textes de théâtre destinées au jeune public : Les Escargots vont au ciel – Son Parfum d’avalanche – Un Hibou à soi – Froissements de nuits -Terre parmi les courants, – Les Echelles de Nuages – Cérémonies, Passage des hasards . La Consolation de Sophie, Maman Typhon… Lauréate de plusieurs bourses et prix, elle a assumé la co-direction artistique de l’Espace culturel Boris Vian des Ulis en Essonne. Co-directrice du Groupe 3.5.81. Elle assume la délégation générale des Écrivains Associés du Théâtre (EAT). Depuis plusieurs années, elle anime partout en France des Cafés Philo pour adultes mais aussi des Choco-philo pour les enfants, montrant la nécessité et l’urgence d’un débat permanent et citoyen.