Entretien avec Alain Bellet : « Écrire l’histoire, ça s’apprend ! »

Le roman historique continue d’être très prisé, comme le confirme les nombreuses adaptations récentes à l’écran (d' »Au revoir là-haut », de Pierre Lemaître au succès des « Enquêtes de Nicolas Le Floch », de Jean-François Parrot). Écrire un récit historique nécessite un travail particulier, et le romancier doit parvenir à plonger son lecteur dans l’époque voulue. Alain Bellet à travers son parcours d’écrivain, de scénariste et dramaturge animera le stage « Développer ses activités paralittéraires » du lundi 16 mars 2020 au mardi 17 mars 2020. Il nous parle ici du roman historique.
L’Inventoire : Quel est votre parcours professionnel, et comment êtes-vous devenu écrivain?

Alain Bellet : Après mille et un petits métiers dans une époque bénie où le chômage de masse n’existait pas, j’ai suivi une formation de directeur d’équipement culturel à l’Université de Rennes. J’ai exercé la direction de centres culturels et de Maisons des Jeunes et de la Culture pendant une quinzaine d’années en région parisienne, à Rennes, Valence, Châtellerault… Puis l’écriture s’imposait de plus en plus à moi, en amateur éclairé, en passionné du dimanche, mais cela ne me convenait pas. Un jour, j’ai sauté le pas, suis devenu journaliste indépendant pour de nombreux titres et j’ai commencé à écrire. Mes premiers livres ont été édités à partir de 1991, des romans, noirs, des romans historiques pour la jeunesse, un récit littéraire sensible, Jeanne et André, un couple en guerre.  En réalité, c’est ce récit d’une tragédie familiale, celle de mes propres parents, qui constitue la raison fondamentale de cette nécessité d’écrire et le désir farouche de l’investir professionnellement. Ce faisant, la passion de l’Histoire transmise par mon père a su reprendre sa place au gré des ans.

L’Inventoire : Comment en êtes-vous venu à animer des ateliers d’écriture pour Aleph-Écriture ? 

AB : Dans les années 1993-94, j’abandonne la presse, continue à écrire et sollicité par de nombreux partenaires je commence à rencontrer le mouvement en vogue des ateliers d’écriture. Alors, pendant près de vingt ans, j’ai fait écrire de très nombreux publics, des écoles élémentaires aux classes terminales, des Centres de formation d’apprentis aux Maisons d’arrêt ou aux Centrales, de l’hôpital aux cercles étroits d’éducation renforcée préoccupés par la lutte contre la délinquance. Cette immersion dans la cité, cette rencontre avec les mots d’autrui m’ont souvent comblé. Parallèlement, je me suis investi dans les organisations professionnelles d’écrivains (Charte des auteurs jeunesse, SGDL, Écrivains associés du Théâtre, Conseil Permanent des Écrivains…) et les ai longtemps représentés à l’Agessa (Sécurité sociale des artistes-auteurs). Ces parcours croisés m’ont amené à assumer régulièrement l’animation de formations professionnelles pour les jeunes auteurs et c’est avec ces formations que ma route a rencontré Aleph-Écriture. Avec les ateliers centrés sur les récits historiques, je vais m’adresser à un public plus large, plus différencié.

L’Inventoire : Vous animez notamment des stages autour du récit historique. Les français en sont très friands. « Salammbô », de Flaubert, « La controverse de Valladolid », de Carrière, « Les Trois mousquetaires », de Dumas, « Notre-Dame de Paris », d’Hugo, etc. ont été et sont encore des best-sellers. Comment expliquez-vous l’appétence des Français pour ce genre littéraire ?

AB : Je crois que les Français sont avant tout friands d’histoire, de leur histoire, cette histoire singulière qui a même tenté de faire croire au monde qu’elle possédait un caractère universel ! Alors quand on aime, tout est bon. On tente de retrouver des traces, on s’approprie le patrimoine architectural de telle ou telle époque, on s’ingénie à recomposer la mémoire collective, et puis naturellement on plonge dans le roman donnant à redécouvrir des pans entiers d’une geste singulière. Plus sérieusement, j’estime impérieux de connaître l’Histoire pour ne pas se retrouver à côté de sa vie, dans l’immédiateté, à la disposition des puissants, sans racine ni références.

L’Inventoire : Certains romans historiques, comme Les enquêtes de Nicolas Le Floch de Parrot utilisent la langue  de l’époque à laquelle se déroule le récit. Qu’en pensez-vous ?

AB : Notre langue est encore riche mais hélas, dans nos quotidiens, elle s’appauvrit de jour en jour, prisonnière de la rapidité de communication, des tics de langages, des approximations et des anglicismes économiques. Et finalement, lorsque Jean-François Parrot nous parle comme le faisait Rousseau, Monsieur le duc de Choiseul ou Monsieur de Sartine, en plein siècle des lumières cela nous repose joliment des « du coup », « voilà, voilà » et autres « vas-y » ! Le romancier qui se plonge dans l’hier recompose une époque, il la redessine du sol au plafond, il nous la donne à respirer, à vivre et aussi à entendre. Alors oui, quelques mots s’imposent pour colorier notre entendement, quelques expressions disparues nous offrent un enchantement parfois désuet, souvent profondément poétique. Cependant, dans tous les cas, il ne s’agit pas de perdre son lecteur qui devrait tout « traduire », juste égrainer l’essentiel d’un vocabulaire qui peut s’imposer dans l’univers de l’Ancien Régime ou dans le fracas des révolutions parisiennes.

L’Inventoire : Quelles sont les spécificités de l’écriture d’un récit historique ?

AB : Pour moi, le respect de la vérité historique vérifiée et implacable s’impose et je déteste les livres où l’on joue avec l’Histoire sans respecter la mémoire réelle des personnes ayant réellement existé. Des personnages de fiction peuvent s’approcher au plus près d’un moment choisi, d’un événement que l’on souhaite recomposer. Le récit historique permet de retisser des réalités, d’imaginer d’autres psychologies que celles de notre temps. Bien sûr, il faut apprendre à comprendre un moment suspendu, un temps précis. Pour aborder une époque, il suffit de penser à tout ce que l’on va abandonner et jeter de nos oripeaux techniques et technologiques. Alors sans automobile, l’odeur du crottin de cheval frappera à la porte, sans électricité, la nécessaire chandelle vous fera cligner des yeux… L’utilisation simple des cinq sens permet de retrouver un décor, brosser une réalité, visiter le passé.

L’Inventoire : Qui sont les participants à vos stages sur l’écriture historique ? Ont-ils une formation d’historien ? 

AB : Le plus souvent ce sont des gens attachés à l’évocation d’un moment historique particulier qui leur est directement proche, pour retrouver un aïeul embrigadé contre les troupes prussiennes en 1870 par exemple, ou suivre les traces d’une grand-mère républicaine espagnole, ou bien encore partir d’un objet, un ticket de rationnement alimentaire, une gourmette de soldat… D’autres souhaitent s’éloigner par la pensée de la période dans laquelle nous vivons avec nos conditionnements et automatismes, en recréant d’autres contextes, d’autres décors, des psychologies anciennes à retrouver…

La plupart de ces participants n’ont pas de formation d’historien ou rarement. D’ailleurs, elle pourrait être un handicap du point de vue de l’imaginaire… Le récit historique interpelle les passionnés d’Histoire, pas forcément les gens qui l’enseignent. Les passionnés abordent une histoire  chaude, les universitaires me semblent plus froids

L’Inventoire : Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite écrire un roman historique ?

AB : Tout d’abord d’approcher le moment choisi par des découvertes physiques, trouver des lieux sensibles où la pierre peut jouer les révélateurs comme un papier photographique… En un mot, fréquenter et connaître les décors nécessaires… Ensuite évidemment travailler sa documentation pour être en proximité avec une époque, ses mœurs, ses modes de vie, ses engouements et ses peines. Un danger demeure : être trop «présentiste  c’est-à-dire regarder des événements précis, depuis nos fenêtres, avec notre charge morale, nos convictions de l’heure, sans distanciation, sans plongée dans un univers humain qui nous est inconnu…

L’Inventoire : Quel est votre roman historique préféré et pourquoi ?  

AB : Sans doute Quatre-vingt-treize de Victor Hugo pour les peintures qu’il nous offre de cette révolution à la croisée des chemins, des idées et des enjeux terriblement contradictoires, mais aussi presque tous les romans de la série de Jean-François Parrot qui, caché derrière le joli marquis de Ranreuil nous convie à visiter le moindre recoin du siècle des Lumières, un régal à chaque fois. Je pense aussi aux ouvrages de Paul Féval et de cette littérature populaire du début du vingtième siècle qui n’hésitait pas à éduquer et/ou informer ses lecteurs… J’aime aussi les romans contemporains qui basculent dans l’hier sans prévenir comme Les Exagérés de Jean-François Vilar… Comment oublier également le merveilleux talent de Padura qui dans L’Homme qui aimait les chiens nous présente la geste infernale de l’assassin de Trotski donnant une humanité trouble à Ramon Mercader…

Propos recueillis par Nathalie Hegron

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