Habiter ses chantiers (3) : Le partage de l’essentiel

Biarritz / 15-22 février 2020 : Restitution polyphonique de la résidence d’écriture Aleph

La résidence d’écriture, qui a pour objectif l’accompagnement des chantiers de chacun-e, constitue à la fois un dispositif coopératif pour les auteurs ; et un dispositif de formation possible, pour les personnes qui suivent depuis longtemps des ateliers d’écriture et souhaitent finaliser un chantier (recueil, roman, etc.).

Elle « booste » les projets d’écriture individuelle, propose un mode de vie privilégiant le respect de l’écriture de chacun, l’attention à autrui et la coopération.

Elle forme une nouvelle et passionnante tesselle de l’offre d’Aleph-Écriture, complétant les cycles modulaires centrés sur la conduite de projets personnels d’écriture et les accompagnements individuels à la rédaction de manuscrits complets (lectures-diagnostics). La présentation détaillée de ces résidences peut être demandée à Aleph-Écriture.

Une série de trois articles écrits par les participants de la résidence d’auteurs de Biarritz permet aux lecteurs de L’Inventoire d’en partager l’essentiel – à défaut, un jour, de le vivre :

Le partage de l’essentiel

Cultiver la bienveillance, faire et recevoir des retours

Sympa

Certains de tes poèmes sont sympas

Je ne sais pas ce que ça veut dire

Ou plutôt si

D’un intérêt extrêmement limité

Certains de tes poèmes sont sympas

Je voudrais être celle que je vois

En haut de l’étagère

Cette araignée heureuse

(Alain André)

Remarque

Synthèse des retours que j’ai reçus sur « Chaque instant est immense ». J’en ai tiré un poème, qui n’était pas sans ambivalence. Puis, mais deux semaines après, des « instructions » (des principes de réécriture). Il aura fallu le temps de digérer, intérioriser, décanter, formuler.

(Alain André)

Instructions

1. Abréger.

Couper tes gourmands

Au bénéfice de la fleur.

Tailler dans le gras.

Ça servira peut-être plus tard

C’est comme la graisse de canard

Mais pour l’instant

Allez zou

Au frigo.

2. Se tailler.

S’éclipser.

Se fausser compagnie.

Se faire discret

Comme une douleur

Difficile à localiser.

Quel repos.

3. Ne pas conclure.

Laisser amicalement à autrui

Le soin d’avoir

Lui aussi

Quelque chose à penser

D’aussi intéressant

Que ce que tu t’apprêtais à

Lui souffler.

4. Éviter l’anecdote.

T’en tenir à l’essentiel

Et encore à condition

Qu’il soit indispensable

Ou mieux

Nécessaire.

5. Laisser tomber

Les jeux formels.

La figure simplement possible.

La démonstration simplement

Ludique.

La clownerie cérébrale.

Même toi tu vas finir

Par y croire.

Ce que tu cherches à faire

Vaut mieux que ça.

6. Ne pas chercher la forme

Impeccable pure.

Tant pis pour le cercle

Le rectangle

La trigonométrie textuelle.

Ne pas trop composer.

Parterres à l’anglaise.

Fuck les jardins de

Versailles.

7. Accepter la diversité.

L’hirsute.

La variété du ton

Et l’inattendu du surgissement.

Plus tard faire le tri

Arracher les mauvaises herbes.

8. Ne pas chercher à capter

Exagérément l’attention.

Attendre.

De toute façon elle sera toujours là

Ta mère

Dans sa chaise longue

Le regard absenté

Inutile de lui grimper sur les genoux.

De toute façon il sera toujours là

Ton père

Sourcilleux insatisfait

Prêt à lever sa règle de buis

Pour en cingler ta tête

Ou tes doigts.

Hausser les épaules.

Faire ce que tu as à faire.

9. N’écrire à la manière

De personne

Et pour tout le monde.

Écrire.

Se compromettre. Débusquer le Possible

Les bagages posés, on a sorti l’essentiel et on l’a confié aux autres : le chantier, les espoirs, l’écriture. Ça y est, la petite planète de création et de partage est en orbite. Moteur. Ça tourne. Chacun projette son cinéma intérieur, dessine ses ombres, ses silences, ses lumières, ses éclats. Ça tourne, ça écrit, ça écrit … Vers la fin du jour, on quitte nos alvéoles, on se rejoint dans la salle au cœur de la maison silencieuse. C’est joyeux. 

On accueille le texte de l’Autre. On entend des choses de soi dans l’Autre. On lui renvoie ces échos, il en fera son miel. On lui renvoie ce qu’on pourrait faire avancer de sa quête. C’est une prise de risque aussi : dire à l’autre un ressenti de son texte et se tromper. Mais ainsi va la fertilité, si l’on est en confiance : à côté de l’erreur, de la dissonance, une vérité, une intuition féconde naîtront peut-être. Peut-être pas du tout. Peut-être tout de suite. Peut-être plus tard. Peut-être … 

Alors le Possible peut être. 

(Renée Combal-Weiss )

Note du 17 février

Troisième jour de la résidence. J’observe qu’arrivent maintenant les textes que nous avons eu tendance à retenir malgré la confiance. Ceux qu’il est difficile de lâcher, c’est-à-dire de donner à lire. Ceux que nous vivons comme compromettants. On donne à voir de soi, intimement. On s’expose. Se compromettre, c’est le risque de se faire assigner à une place, à laquelle nous ne voudrions pas être vus ; et à un rôle, auquel nous ne souhaitons pas être assimilés (identifiés).

(Alain André)

Retours

Synthèse de mon retour sur « Ce qu’on appelle amour ». Je n’avais pas pu te faire beaucoup de retours, Hélène, sur ton envoi préalable à la résidence. Le « haïbun », ok, je l’avais déjà lu. La nouvelle, idem. J’ai eu besoin de relire ton Affiloir des silences, splendide, pour retrouver ta voix. C’est sec et léger. J’ai retrouvé cette voix dans ces textes que finalement tu as bien voulu nous envoyer : terribles, mais si nus, si justes.

(Alain André)

Être en résidence ou se livrer au Minotaure

C’est là. Vous avez toujours eu envie d’écrire autour de ça. Ça vous obsède. Mais ça, est difficile à dire. Vous pensez qu’en disant ça, en l’écrivant noir sur blanc, vous allez livrer quelque chose de vous, vous vous sentirez nu, démuni. Un livre ouvert. Après tout, votre histoire personnelle, familiale, amoureuse ne regarde personne. Vous préférez gardez ça pour vous.

Alors vous ne l’écrivez pas. En tout cas, vous n’écrivez pas ça. Vous écrivez autre chose, moins compromettant. Plus banal peut-être aussi, mais ça n’est pas grave, ça passera. D’ailleurs, vous ne savez pas comment prendre la chose, un brouillard épais se diffuse autour de ça, l’obscurcit. Votre tiroir est plein de variations, de tentatives : des feuilles volantes, des carnets. Jamais données à lire. Vous tirez un fil ou deux mais n’osez tirer plus fort, de peur de vous sentir comme la chèvre de Monsieur Seguin, perdue dans la montagne. La proie du loup.

Vous dites, un jour j’écrirai ça. Quand j’aurai du temps. Quand je serai vieille. Quand Untel sera mort.

Pourtant, s’il y a bien quelque chose que vous auriez envie d’écrire, c’est bien ça. Si seulement ce n’était pas interdit. Si seulement vous ne vous l’interdisiez pas. Au lieu de ça, vous inventez d’autres histoires.

D’ailleurs vous avez raison. Parce que c’est le chemin qui vous mènera un jour ici : vous êtes en Résidence. Et pour vous, c’est là, l’entrée du labyrinthe. Vous avez peur. Le Minotaure gronde, affamé par les pages blanches que vous lui avez jetées.

En Résidence, vous rencontrez Ariane.

Cette Ariane, c’est le groupe de la Résidence. Elle a plusieurs visages, elle est femme, elle est homme. Elle vous écoute, elle vous relance, elle vous soutient dans votre quête. Vous aussi, êtes une partie d’Ariane. Quand vous n’écrivez pas, vous l’écoutez, la relancez, la soutenez dans sa quête.

Vous écrivez ce que vous ne pensez pas que vous alliez écrire : ça prend forme.

En écrivant, vous évidez la pelote de l’angoisse, vous tirez un fil et vous entrez dans le labyrinthe. Ce faisant, lentement au fil des pages, vous éclaircissez les ombres, vous vous tissez une carapace de mots, vous n’êtes plus nue et seule devant le Minotaure.

Quand vous arrivez devant lui au cœur du labyrinthe, le Minotaure vous montre une chaise, une table, un paquet de feuilles, un ordinateur et il vous dit : au travail !

(Astrid de Laage)

Pelage de bête

J’ai montré mon recueil encore hirsute

Accepté d’être exhibé à mon tour

Après avant d’autres monstres de foire

Voilà c’est fait je suis la fille à pelage de bête

Une fille que j’ai déjà rencontrée un jour

Dans un texte de Jean Follain je crois

Où pourrais-je maintenant me cacher

(Alain André)

L’escalier

(Catherine Berthelard )

Faire résidence au-delà de la résidence

Réminiscences basques

Je n’écris pas de journal de confinement, il ne me reste plus que quelques vivres. Alors j’écris pour ne pas oublier ces heures où la Résidence m’a portée, j’écris dans cet élan qu’ils m’ont donné. J’écris ce texte encore fragile, qui ressemble à ce rêve que je ne parviens pas encore à retenir. Il faut dit Annie Dillard, que je le veille « comme un ami malade ».

Je n’écris pas de journal de confinement, je résiste au désir me disperser. Je pense à mes compagnons de Résidence. Leurs éclairages, leurs suggestions m’accompagnent. Concentrés, combattifs, nous passions de longues heures à débattre, comme une guilde de sorciers, autour de chaque projet. Je les imagine, eux aussi, à l’écoute de leur texte et cela m’encourage.

Je n’écris pas de journal de confinement, il ne me reste plus que quelques vivres, des sauces basques au piment Sakari, des piquillos et de la confiture de cerises noires. Le silence soudain s’est fait, je m’accroche à l’essentiel, à ce texte qu’en Résidence chacun m’a aidé à porter. J’ai envie de le mettre au monde.

(Astrid de Laage)

Après

La résidence de Royan, c’était une émotion, forte. C’était une heureuse façon de vivre. Mais les retours de Marianne et ceux que j’ai faits à Marianne l’ont fait durer dans ma vie et dans mon écriture. C’était aussi précieux que la résidence proprement dite. Les moments forts, ça compte. Ce qu’on en fait dans les moments faibles, au moins autant. Notre rencontre improvisée, début septembre 2019 à Paris, a eu le même effet. Les visioconférences suggérées par le confinement, idem. Continuons, avant, pendant et après d’autres résidences. À Biarritz ou ailleurs. Ceci est un manifeste discret, pour cultiver un art de la disparition. Parfois seuls, parfois ensemble. Parfois quelques secondes, parfois un week-end, une semaine, un mois ou un trimestre pour aller au bout d’un roman. Socialisons nos moments de disparition. Apparaissons ailleurs, inopinément. Nous sommes une flash-mob.

(Alain André)

Reporté mais à quand ?

Après la résidence d’écriture à Biarritz, je devais proposer une lecture musicale Instants suspendus, exactement le 3 avril 2020, à 18h 15, à la Teste de Buch, à La Centrale précisément. Après la résidence d’écriture, j’aurais du lire et interpréter sur scène 14 poèmes exactement, mis en scène précisément  avec un musicien, portés par nos voix exactement.
Depuis  le 17 mars exactement, les chevreuils, les sangliers se promènent dans le silence de la ville. Un peu plus loin, précisément aux abords des côtes, depuis quelques jours les dauphins se risquent même à nager près des plages.Envolés les poèmes, les mélodies envoûtantes renvoyées au futur, la nature libérée au même instant, quand tout s’arrête, se fige, quand l’inouï se précise.

Le premier poème aurait dû commencer ainsi :  Dans le crachin de l’hiver, dans ses rafales amères, respire le début du contentement, la joie de ne rien savoir, celle de ne rien vouloir. Respire, c’est ton seul bien.

(Catherine Berthelard)

Alain André. Fondateur d’Aleph et référent pédagogique d’Aleph. Conduit des ateliers à La Rochelle. Auteur de romans (Denoël, Thierry Magnier), nouvelles et essais sur l’écriture et les ateliers (Syros, P.U.F.), notamment Devenir écrivain (Leduc.s, 2007 et 2018).

Catherine Berthelard. Conduit ateliers et formations d’animateurs pour Aleph et d’autres structures. Vit sur le Bassin d’Arcachon. Écrit de la poésie et crée des lectures musicales.

Renée Combal-Weiss. Conduit des ateliers pour Aleph à Paris et dans d’autres environnements. Écrit notamment de la fiction autobiographique.

Astrid de Laage. Conduit des ateliers pour Aleph, à distance et en présentiel en Charente-Maritime (Saint-Savinien). Auteure de nouvelles (Funambules, Mon petit éditeur, 2012) et d’un premier roman paru aux Éditions abordables : Le ciel bleu n’est pas photogénique (2018).

Marianne Jaeglé. Conduit le cycle professionnel Roman pour l’AFDAS. Auteur de Vincent qu’on assassine (roman, Gallimard, 2016, et « Folio ») et de Ecrire, de la page blanche à la publication (Scrinéo).

Hélène Massip. Conduit des ateliers pour Aleph à Lyon. Poète, auteure de L’affiloir des silences (Jacques André éditeur, 2016).

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