« Devenir écrivain » d’Alain André : un roman dont vous êtes le héros

Á l’occasion de la réédition de son essai « Devenir écrivain » (Editions Leduc.s.), L’Inventoire a rencontré  Alain André, fondateur d’Aleph-Écriture. Il nous confie quelques secrets sur l’aventure d’écrire.

 

Alain André, vous êtes romancier et vous enseignez l’écriture dans le cadre d’ateliers. Vous avez d’ailleurs développé votre propre approche pédagogique et fondé Aleph-Écriture. Parlez-nous de « Devenir écrivain ». Quelle en est la genèse?

« Romancier », je ne dirais pas ça. J’ai publié deux romans, mais parmi une douzaine d’autres livres, essais, traductions, ouvrages techniques, etc. « Écrivain polygraphe », m’avait suggéré une journaliste.

En ce qui concerne Devenir écrivain, c’est un ouvrage qui avait été commandé à quelqu’un d’autre, Paul Desalmand, qui avait déjà publié aux mêmes éditions Leduc.s, en 2004, un ouvrage intitulé Guide pratique de l’écrivain. Les réactions des lecteurs leur ont fait comprendre qu’on avait besoin d’un ouvrage plus général, moins centré sur les aspects juridiques que sur l’aventure d’écrire, qui est une aventure au long cours. La maison d’édition a essayé de confier ça à certains de leurs auteurs, ça n’a pas marché. Un jour, alors que je conduisais un atelier d’écriture à Aleph, j’ai vu un type qui tapait au carreau : c’était Paul Désalmand, avec qui j’avais déjà travaillé dans le cadre de la revue Écrire & Éditer. Il était convaincu que j’étais la seule personne à pouvoir faire ce bouquin de façon intéressante. Il a fini par me convaincre, c’était en 2006 je crois. J’ai écrit ce livre en moins d’un an, comme une conversation avec des écrivains que j’aime, avec beaucoup de plaisir, et les lecteurs me disent qu’il en reste quelque chose, ce plaisir est communicatif

Doit-on l’appeler « méthode d’écriture », conseils d’écriture ou « manuel de creative writing » ?

J’ai tout de suite été intéressé par le fait que ce livre dont me parlait Paul allait s’adresser aux personnes qui veulent écrire. J’avais déjà écrit un ouvrage à la fois théorique et méthodologique, Babel heureuse (réédité par Aleph-Écriture et I-Kiosque en 2011), mais qui s’adressait d’abord aux personnes qui voulaient animer des ateliers d’écriture : une « méthode d’animation », en somme, qui est encore aujourd’hui la principale référence dans les ateliers proposés par Aleph-Écriture, même si chaque intervenant a ses tours de main spécifiques. Et puis un autre, en collaboration avec une psychanalyste et spécialiste des sciences de l’éducation, Mireille Cifali (Écrire l’expérience, P.U.F., 2007 et 2012), qui s’adressait aux personnes concernées par l’écriture des métiers.

Devenir écrivain s’adresse directement aux personnes qui veulent mettre davantage d’écriture dans leur vie, comme je le fais quand je conduis des ateliers d’écriture.

Le livre rassemble en effet un certain nombre de conseils, mais qui viennent de l’expérience collective d’Aleph : d’une équipe de 50 personnes, d’ateliers proposés depuis plus de 30 ans. Ce n’est pas un manuel de « creative writing », parce qu’il est centré sur le processus qui permet à des gens de se saisir de leur écriture, pas sur des recettes ou des jeux permettant d’écrire deux pages là tout de suite, même s’il n’y a pas de mal à se faire du bien…

Est-ce une sorte de manuel alors ?

C’est un essai, pas un manuel, c’est important de le souligner, d’autant que l’écriture ne peut jamais être réduite à une série de recettes à appliquer. Il présente une réflexion sur l’écriture et son partage, ainsi que des éléments de méthode personnelle, au sens strict : il indique la possibilité d’un chemin. Je l’ai écrit à l’intention de quiconque souhaite écrire davantage. Il y a deux millions de Français qui écrivent, paraît-il, et beaucoup plus qui rêvent de s’y mettre, ou d’écrire au moins un livre dans leur vie. Qui veulent écrire pour le plaisir, parce qu’ils sont excédés d’écritures contraintes, ou pour penser de façon plus profonde à  leur vie, ou pour produire des objets précis, nouvelles ou textes de théâtre. Il y a des lieux qui leur permettent de le faire aujourd’hui, des lieux qui n’existaient pas quand j’avais vingt ou trente ans.

Par rapport à la précédente version, deux parties ont été ajoutées : « Publier » et « S’auto-éditer ».

Non, « Publier » faisait partie des deux éditions précédentes, par Leduc.s en 2007 et par Aleph-Écriture/I-Kiosque en 2012. Tout le livre a été réécrit, complété, actualisé, bien sûr, mais la seule partie ajoutée est celle qui porte sur l’édition numérique. Je n’ai pas souhaité l’écrire moi-même, parce que mon expérience d’auteur s’est développée exclusivement dans l’édition classique (Denoël, Seuil, Hatier, Thierry Magnier, P.U.F., etc.). J’ai proposé à l’éditrice de Leduc.s, Liza Faja, qui a bien voulu me suivre, de le confier à une journaliste ayant une excellente connaissance de ce milieu, Nathalie Hégron.

Chaque chapitre comprend une proposition d’écriture, simple et accessible. Cela fait penser en ce sens aux manuels américains d’écriture créative, qui présentent toujours un exercice en fin de « leçon » (ces ouvrages sont généralement thématiques).

La poétesse Sei Shônagon-Estampe de Kiyonaga Torii (collection du musée Guimet)

L’intérêt de ces propositions d’écriture, à mon sens, est d’associer concrètement le lecteur au propos. On lui parle des genres littéraires, par exemple, et on lui propose d’écrire sur les textes qu’il aime, n’aime pas ou aimerait écrire, en exhumant une très ancienne littérature, celle des listes de Sei Shônagon, suivante de l’impératrice Sadako dans le Japon du XIème siècle.

Mais dans Devenir écrivain, une fois encore, c’est à un parcours d’appropriation systématique de l’écriture en tant que pratique personnelle que le lecteur est associé, pas à des trucs techniques. Il est important de savoir comment « donner à voir et à sentir » (« show, don’t tell » est le mantra numéro 1 des ateliers américains), mais encore plus de savoir comment s’organiser pour écrire régulièrement. L’écriture est accessoirement une pratique technique, mais d’abord une pratique intérieure et sociale à la fois.

Je trouve que ces exercices sont très motivants et permettent de se « mettre à écrire ». Est-ce le but ?

Bien sûr. J’ai été très touché, un jour que je signais quelques ouvrages pour le public d’Aleph, de voir s’approcher de moi une jeune femme qui était en train de finir un travail consistant à « traiter » absolument toutes les propositions du livre. Elle en était enchantée. Mais c’est rare, il me semble que les lecteurs en utilisent en général une ou deux qui les ont particulièrement touchés — quand ils ne sont pas animateurs d’ateliers d’écriture, auquel cas ils s’en servent pour conduire leurs propres ateliers. Le meilleur lieu, pour écrire à partir de ces propositions, et surtout pour avoir des retours sur les textes qu’ils suscitent, reste l’atelier d’écriture.

Lisez-vous les manuels de vos collègues américains (je pense à Writing Fiction, etc.) ? Pensez-vous qu’il y ait, dans leur manière de transmettre l’écriture, des ressemblances ou des dissemblances ?

En 1987, les éditions Hatier, qui avaient alors une filiale américaine, Hatier Publishing, m’ont offert un voyage d’étude à Washington (DC). J’étais en train d’écrire un manuel de français langue étrangère, consacré à la nouvelle d’expression française, pour la filiale. J’animais déjà des ateliers depuis une dizaine d’années, sans connaître les ateliers US.

J’ai pu suivre un atelier à l’Université de Georgetown. J’ai dû m’acheter une seconde valise pour y fourrer avant mon retour toute une série d’ouvrages de creative writing, oui. Notamment de John Gardner, le « prof » de Raymond Carver, de Dorothea Brande, une poétesse qui animait des ateliers déjà dans les années 30, ou de Rust Hills, qui m’a donné des clés pour écrire et faire écrire des nouvelles. Les ouvrages de ces auteurs ne sont toujours pas traduits en français, ce qui est désolant. Mais lire Devenir écrivain permet de voir que leur lecture a laissé des traces. C’est leur expérience d’écrivain qui m’a été utile le plus souvent, davantage que leurs propositions d’écriture (mais j’en ai quand même repris quelques-unes).

La différence, c’est que, comme tout le creative writing à l’américaine, ils sont centrés sur les techniques issues du roman anglais et français du XIXème siècle. C’est étrange de voir à quel point ils ignorent la littérature européenne du XXème siècle, qui est fantastique et a largement bousculé tout ça…

Vous dites dans ce livre (p. 71) que vous avez su très tôt que vous deviez confronter votre écriture à celle d’autres. C’est pourquoi en partie vous avez fondé Aleph-Écriture. Comment pouvez-vous expliquer ce besoin de partager ou d’être entourés d’autres personnes pour écrire ?

Les pratiques artistiques s’enseignent, en général. Il y a les conservatoires, les écoles de musique et des beaux-arts. Pour l’écriture, quand j’ai voulu vraiment m’y mettre, il n’y avait… rien. Si, il y avait UNE association d’ateliers d’écriture en train de naître, celle d’Élisabeth Bing, et UN mouvement pédagogique, le GFEN, où on écrivait parfois un peu de poésie.

Partout ailleurs, avec les collègues, la famille je n’en parle même pas, vouloir écrire semblait une transgression, ou une forme bénigne de la folie des grandeurs, « pour qui il se prend, celui-là ? »  En tout cas, ça relevait de l’intime, du secret. Sauf que toute pratique artistique a besoin du regard d’autrui, alors on fait comment ? Eh bien, faute d’encouragement autour de soi, faute de milieu pour être stimulé, on cherche ses semblables.

Écrire, au fond, est une pratique communautaire, en tout cas collaborative. En 1978, j’étais prof de lettres à La Rochelle, j’ai fait venir Élisabeth Bing, en rassemblant d’autres profs de lettres, souvent d’extrême-gauche comme je l’étais moi-même — nous étions une génération très centrée sur le collectif, contrairement aux bêtises qu’on entend parfois à propos de 1968. Et puis, j’ai échangé avec quelques amis, qui sont parfois devenus écrivains, comme Jeanne Benameur ou Denis Montebello. Ça ne suffisait pas, je suis parti à Paris, pour deux ou trois ans pensais-je, le temps de faire des ateliers d’écriture et de commencer à publier, j’y suis resté trente ans.

Pour quelle raison à votre avis, les ateliers d’écriture ont-ils de plus en plus de succès, alors que très peu de gens au final souhaitent vraiment être écrivains ?

Ce n’est pas la même chose. Les gens souhaitent découvrir les pratiques vivantes de l’écriture et de la lecture, ce que l’école et l’université font trop rarement, quand elles n’en dégoûtent pas (il y a 50 ans que l’école française refuse de faire sa révolution, globalement). Ils souhaitent découvrir et accéder à la littérature contemporaine, et pour ça il leur faut des « passeurs ». Il y a là du plaisir, de l’inattendu, des choses fabuleuses qui émergent d’eux-mêmes et qu’ils ne découvrent parfois qu’à travers les « retours » des autres participants sur leurs textes. Tout cela crée un milieu favorable. Certaines universités commencent à le comprendre, qui créent des « masters de création littéraire ». Ensuite, si certains veulent devenir écrivains, il leur faut trouver le chemin eux-mêmes — on peut le flécher, ça aide, mais ça ne suffira jamais. Votre objection est d’ailleurs étrange — dirait-on « pourquoi le rugby a-t-il autant de succès à La Rochelle, alors qu’il y a si peu de places dans l’équipe du Top 14 ? » Ou : « pourquoi y a-t-il des milliers de gens qui suivent des cours de musique dans chaque ville de France, alors qu’il y a si peu de musiciens professionnels qui parviennent à en vivre ? »

C’est juste qu’il existe toujours en France le « mythe du grand écrivain », notamment à travers Victor Hugo (homme complet), et qu’il semble toujours difficile de dire qu’on va « à un atelier d’écriture » comme on dirait qu’on va à un atelier pour apprendre le pastel… Peut-être le poids culturel de notre histoire littéraire, est quelque chose qu’il faut secouer… en enseignant l’écriture justement ! Combien de personnes disent-elles qu’elles n’osent pas écrire de courriers ou d’emails ou doutent de leur capacité à le faire, alors que tout se passe bien en fait dès qu’elles expliquent à haute voix ?

Vous citez cette phrase d’Annie Dillard « Un écrivain ne doit pas s’intéresser à « ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer ». Pourquoi ?

C’est l’enjeu de la « singularité », dit-on aujourd’hui. Si tout le monde parle de la même chose, ça devient vite ennuyeux, ou alors il faut trouver une façon différente de le faire. Et, de toute façon, si vous voulez écrire, vous devez écrire juste : écrire à partir de ce que vous êtes vraiment, de vos passions véritables. C’est encore l’enjeu de la transgression.

L’écriture, c’est le contraire de la bienséance sociale, vos obsessions sont le meilleur matériau d’écriture, et vous n’avez pas les mêmes que votre voisine, en général. Peu importe qu’il s’agisse de votre famille, de Dieu, des régimes alimentaires ou des Peanuts : si ça vous obsède, il y a quelque chose à écrire.

Il y a un très bel exemple que je reprends dans le livre, et qui est donné par Natalie Goldberg, la prof de creative writing américain la plus traduite en français (Les Italiques jubilatoires, par exemple, Le Souffle d’or, 2000). Elle raconte qu’un jour elle avait passé des heures à préparer une vraie grosse ratatouille et que, rentrant chez elle après le travail, elle a vu un petit recueil de poésie d’Erica Jong intitulé « Fruits et légumes » : un vrai choc, « on peut écrire sur quelque chose comme ça ! » C’est comme si deux synapses éloignées de son cerveau venaient de se connecter.

Plus loin on peut lire, de Thoreau « Connais ton os personnel, ronge-le, enfouis-le, déterre-le ». Qu’est-ce que ça veut dire, un « os personnel » ?

Ça, c’est une question qui concerne la prose parfois étrange de Thoreau. Mais elle me semble claire. Si on compare l’écrivain à un chien qui ronge son os, il s’agit pour lui de savoir quel est son os, le sien propre, la cuisine de la ratatouille ou sa famille juive (Natalie Goldberg), les figures d’un yoyo (Frank Conroy) ou le fond de culotte d’une petite fille en train de grimper dans un poirier (eh oui, et pourtant c’est William Faulkner, et l’image qui engendrera rien moins que Le bruit et la fureur), et de le ronger (d’en écrire), non pas une fois, mais aussi longtemps qu’il le faudra pour en extirper toute la moelle, parfois pendant des années… C’est à lui de jouer, personne ne l’attend, personne ne le fera à sa place !

Dans le travail d’écriture, vous parlez d’une nécessaire « triade vivante ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’en dis plus dans le livre — mais c’est une autre façon de souligner le fait que toute écriture est collaborative. Rien de plus peuplé que la solitude d’un écrivain. On est sur un paragraphe difficile à terminer, apparemment seul dans son bureau ou à la table d’un bistrot. Mais dans la tête, il y a une foule : le copain avec qui on parlait de son chantier la veille, celui qui m’a dit un jour telle chose précise sur l’usage du point-virgule (j’en mets un ou p as, dans cette phrase ?), tous les écrivains vivants et morts avec qui le dialogue dure toute la vie…

La triade, c’est l’auteur, sa tâche et tout ce et ceux-celles qui s’interposent et nourrissent la réflexivité de l’auteur. C’est comme ça même quand on plante un clou : « Putain, quel con ! » vous dites-vous en vous assénant un coup de marteau sur le bout du pouce — et vous vous rendez compte que vous venez de vous le dire avec la même intonation que votre père, quand il vous apprenait à planter des clous, il y a cinquante ou soixante ans…

Vous faites la part belle dans votre livre, aussi, aux « écritures à contrainte » (L’Ouvroir, Pérec, l’Oulipo). En quoi la contrainte formelle est-elle un espace de liberté retrouvée (ou extorqué à soi-même) ?

Dans l’écriture, finalement, on peut mettre en avant le matériau (thème, « inspiration », nécessité personnelle) ou bien la forme (technique, « travail ») mais, de toute façon, il faut tôt ou tard articuler les deux dimensions. De là qu’avec les Oulipiens j’insiste sur la nécessité (je participe à un colloque « Les Ateliers d’écriture et l’Oulipo » au mois de mai) et avec les tenants de l’écriture « spontanée », sur le travail et les vertus de la contrainte. Pour la « liberté » que vous évoquez, avant l’Oulipo elle était revendiquée par les surréalistes. Raymond Queneau a exercé son droit d’inventaire (lisez Odile, côté roman, ou Le Voyage en Grèce, côté analyse, le bilan chaque fois est cruel, mais assez juste). Les Oulipiens ont eu à mon sens raison, en leur temps, de souligner l’importance du travail et la vertu non seulement des règles de genre, mais des contraintes susceptibles, selon la formule de Georges Perec, de « stimuler la racontouze » : d’aider chacun à aller au-delà de ses petites thématiques habituelles et souvent répétitives. Pour ma part, j’ai écrit un recueil de nouvelles à partir de la contrainte la plus « stupide de l’Oulipo », le tautogramme — la plupart des mots du texte commence par la même lettre — et, en me centrant sur la contrainte, j’ai pu écrire deux ou trois textes que je ne parvenais pas à écrire, parallèlement, dans le roman que j’écrivais alors : autrement dit, le recours à la contrainte lève puissamment l’auto-censure. Votre « espace de liberté » n’est-il pas trop souvent une « zone de confort » un peu étriquée ? Pour l’Oulipo, non seulement il est associé à certains de nos meilleurs auteurs (Perec, Roubaud, etc.), mais il a défriché d’une manière contemporaine, en allant au-delà des vieilleries des genres littéraires, l’univers de la FORME. Je l’en remercie tous les jours, je mourrai moins bête.

Pour finir, j’aimerais donner un exemple à nos lecteurs, pour qu’ils aient envie de lire votre livre. Je pense à reproduire une des propositions d’écriture. J’aimerais choisir celle « Textes que j’aime écrire ou pas ». Ou « Votre espace d’écriture ». Quel est de votre côté votre proposition préférée ?

S’il s’agit de proposer d’écrire aux lecteurs de L’Inventoire, j’opterais en effet pour une des premières séances, comme celles que vous évoquez, même si j’aime beaucoup certaines de celles qui sont présentées plus loin dans l’ouvrage, comme celle qui est consacrée aux « microgrammes » de Robert Walser ou aux « poèmes de métro » de Jacques Jouet. Mais bon, il y a 36 propositions d’écriture dans Devenir écrivain, et une fois encore, elles constituent… un parcours.

Proposition d’écriture:
Textes que j’aime écrire ou pas

Sei Shônagon, dame d’honneur de l’impératrice Sadako, écrivit de nombreux inventaires. Ce genre très ancien est peut-être l’un des deux genres fondamentaux avec le rêve, si l’on suit sur ce point Pascal Quignard. François Villon en écrivit – la « Ballade des menus propos » –, comme, plus près de nous, Georges Perec[1], Roland Barthes[2] et beaucoup d’autres.

Les courts paragraphes composant ces écrits dessinent des autoportraits légers, tenus à distance. Sei Shônagon privilégie les listes de petits riens de la vie : l’apparemment insignifiant ou frivole, qui s’avère riche de sens. « Choses qui font battre le cœur », « Choses que l’on méprise », « Choses qui frappent de stupeur », « Choses qui font honte », « Choses détestables », « Choses qui ne servent à rien, mais qui rappellent le passé », « Choses difficiles à dire », « Choses tumultueuses », « Choses peu rassurantes », « Choses qui paraissent agréables ».

Voici un exemple de « Choses qui doivent être courtes » :

« Le fil pour coudre quelque chose dont on a besoin tout de suite.

Un piédestal de lampe.

Les cheveux d’une femme de condition. Il est bon qu’ils soient gracieusement coupés court.

Ce que dit une jeune fille. »

L’enjeu est celui de la singularité : vos goûts et dégoûts ne sont pas ceux de votre voisin(e). Il faut y ajouter l’enjeu formel de la brièveté. Ces annotations courtes, sans développement, ont à voir avec l’esquisse, l’instantané photographique, la fulgurance.

Écrivez un inventaire qui pourrait être intitulé : « Textes qu’on aime écrire ou pas ». Il fera alterner les paragraphes (de trois phrases au maximum) commençant par « J’aime » et ceux commençant par « Je n’aime pas » – ou « J’aime moins », « Je n’aime guère », « J’ai horreur », etc. Laissez venir à vous les pensées, les impressions, les souvenirs, les instants fugitifs, en restant dans l’ordre de la sensation et non dans celui de la réflexion intellectuelle.

Et n’hésitez pas à introduire cette précieuse variante : « Textes qu’on aimerait écrire (ou pas). »

À nos lecteurs de terminer cet article… en écrivant.

Propos recueillis par l’Inventoire

 

Pour en savoir plus sur Alain André, découvrez sa bibliographie ici

[1]  Cf. Je me souviens, Éditions Hachette, 1978.

[2]  Cf. « J’aime… Je n’aime pas », in : Roland Barthes par Roland Barthes, Éditions du Seuil, 1975, p. 120.