Le temps des maisons / Semaine 5 : Pierrick Lemaire

En réponse à notre appel à écriture, « La maison farfelue », voici un texte de Pierrick Lemaire

Métier : conservateur de rêves.

Chacun sait que les rêves se perdent, s’étiolent et résistent mal à l’usure du temps.

Ma maison, la maison des songes, permet de les accueillir.

A ce jour, une seule méthode fiable et éprouvée pour transporter, ranger ou manipuler les rêves, et qui parait pleine de sens : en rêvant !

Certains conservateurs ont tenté d’autres approches mais c’étaient de doux rêveurs.

Ma tâche du jour (ou plutôt de mon rêve) m’attend au grenier, espace suffisamment éloigné pour confiner les rêves horribles et terrifiants.

Mon parcours débute avec le couloir des rêves « Combats de chevaliers » qui diffusent courage et témérité, dont j’essaie de m’imprégner.

Je prends l’ascenseur, dans lequel les rêves d’envols (impossibles à ranger) se réfugient parfois. Je ne peux éviter d’emprunter l’escalier branlant des rêves « Les dents qui tombent » et arrive enfin, un peu tendu, au grenier.

Je dois vérifier que le rêve « Poursuivi par des chiens » n’a pas été égratigné par le rêve « Dévoré par les lions » : côté lions, le pelage est toujours soyeux et les griffes toujours acérées, témoin ma chemise en lambeaux ; côté chiens, leur course est toujours souple et rapide et je sauve de justesse mon pantalon des babines aventureuses.

Mission accomplie (presque) sans accroc !

Je suis encore un peu fébrile et me dépêche de repartir. L’ascenseur ne fonctionnant que dans le sens de la montée, je me précipite vers la barre de descente qui relie chaque étage, cylindre enveloppant les rêves « Sauvées par de beaux pompiers » (certains rêves sont très féminins !) et me laisse glisser tout du long.

En quelques secondes j’atterris dans la salle « Nu à l’école ». Prudemment, j’en sors aussitôt pour ne pas risquer d’entamer mon capital courage juste acquis (tout de même, j’ai observé les cuticules d’un lion !)

Le pas encore mal assuré mais l’esprit du devoir accompli, j’évite l’aile de la maison où sont rangés les rêves sexuels (trop fatiguant) ; il ne manquerait plus qu’une œillade maladroite aux rêves de mon ex déclenche le courroux des rêves de ma femme.

Arrivé dans le jardin, je contourne le puit ou l’on trouve, en équilibre instable, les cauchemars « Chuter dans le vide ». Il se murmure qu’au fond du puit on trouve les rêves « Envies de tuer » (Brrr, rien que d’y songer…), mais je suis encore un conservateur débutant et ne m’y rends jamais.

J’aperçois enfin le patio, espace de repos et d’éveil, ou m’attend la machine à expresso.

Mais, tout à ma satisfaction du devoir accompli, je relâche mon attention et bute contre un arbre ; levant la tête je vois avec horreur le nid des rêves « Les araignées s’infiltrent » tomber sur moi.

Pourquoi n’ai pas rangé ce nid au grenier ? me dis-je … et je me réveille en sursaut, secouant la tête de toutes mes forces.

Ce confinement génère décidément de bien étranges situations.

Mais peut-être n’est ce qu’un rêve…