« L’été où mon père est mort » Yudit Kiss, par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire sur lequel il partage chaque semaine ses lectures. Il réalise également des retours sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture dans le cadre des lectures-diagnostics. Il partage régulièrement certains de ses articles sur L’Inventoire.

Début 2022, une autre écrivaine d’origine hongroise racontait déjà, quoique en allemand, la mort de son père. Et cette mort, déjà, arrivait en été. On ne peut cependant imaginer ouvrages plus différents que ceux de Zsuzsa Bánk (Mourir en été, Rivages, voir ici) et de Yudit Kiss, comparables seulement par la justesse de ton et la profondeur.

« Le costume mal coupé du dogmatisme »

Quand la première déroulait, pour l’essentiel, le récit chronologique et détaillé de la disparition du père, depuis les premiers signes inquiétants jusqu’au deuil, la seconde, autour de l’événement, trace des cercles concentriques qui inscrivent l’histoire individuelle et familiale dans l’Histoire tout court. La ligne principale court bien de l’apparition d’une tumeur au cerveau et d’une première opération à la récidive fatale, sept ans plus tard. Mais à cet enchaînement inéluctable vient se superposer une construction par associations, que scande le retour régulier du titre. Quand le père, en effet, est-il vraiment mort ? L’été de son décès réel, à Budapest, bien des années après la chute du Mur et l’effondrement du régime auquel il a toujours cru ? Cet été n’a-t-il pas « commencé » en 1956, « quand éclatèrent (…) les effroyables vérités et [qu’il] n’eut plus la force de les regarder en face » ? Ou en 1968, lorsque les chars soviétiques entrèrent en Tchécoslovaquie ? Ou encore en 1992, « quand a éclaté la première guerre de Yougoslavie » ?…

Le livre est d’abord le portrait de cet universitaire, « humaniste traditionnel sous le costume mal coupé du dogmatisme », qui, confié par sa mère, pour son salut, à un orphelinat dans les années terribles, dut « créer sa propre réalité » à partir des « brochures du parti » dont il resta toujours le serviteur enthousiaste, même si « on lui rappelait régulièrement qu’il était un marginal toléré ». Ne serait-ce qu’en raison de sa judéité. « Nous ne sommes pas juifs, parce que c’est une religion et nous, nous sommes athées ». Tel est le credo asséné à sa fille par celui que devait pourtant bouleverser, quelques années plus tard, la lecture du livre de Kertész Être sans destin.

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