« Le Château des Rentiers » d’Agnès Desarthe par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire sur lequel il partage chaque semaine ses lectures. Il réalise également des retours sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture dans le cadre des lectures-diagnostics. Il partage régulièrement certains de ses articles sur L’Inventoire.
Le Château des Rentiers, Agnès Desarthe (L’Olivier)

Un « roman plein d’humour et de devinettes », dit la quatrième de couverture à propos de ce livre qui semble bien ne pas être un roman du tout, et serait même plutôt le contraire… Il commence comme un de ces récits familiaux dont on est apparemment si friand aujourd’hui. La grand-mère maternelle de la locutrice, avec le compagnon qu’elle a épousé quand il est devenu évident que son premier mari, disparu pendant la Shoah, ne reviendrait jamais, est allée passer ses vieux jours dans un appartement situé rue du Château-des-Rentiers, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Tous deux s’y sont tellement plu qu’ils ont convaincu leurs nombreux amis, comme eux juifs, anciens communistes, et issus de Bessarabie, de venir habiter le même immeuble. Celle qui parle ici, et ne se cache pas d’être Agnès Desarthe, rêve de reproduire, pour elle et son propre cercle amical, un tel « phalanstère » où passer le grand âge ensemble. Elle contacte même un architecte, lequel en esquisse les plans.

« Désolé, vous êtes mort »

Le livre qu’elle écrit pourrait, pense-t-on d’abord, narrer l’histoire de ce projet, de sa réalisation ou de son échec. Cependant la belle idée se révèle vite un fantasme, et le prétexte, plutôt, à une sorte d’essai sur la vieillesse, ce continent mystérieux où chacun sait devoir un jour aborder. Ce qui, l’allongement de la vie et les problèmes de dépendance aidant, explique que le thème, là aussi, soit de plus en plus porteur. Bien sûr, il s’agit, comme presque toujours, non tant de la vieillesse en tant que telle que du rapport qu’on entretient avec elle lorsqu’on commence à s’en approcher, voyant venir « la fin de la souplesse », « la laideur », le moment où, « après être devenu invisible (…), on devient intouchable », et « inconsolable (…) de ne sentir aucune peau contre la nôtre ».

« On ne cesse de s’envoyer mentalement dans le futur et puis, un jour, on se met à craindre (…) de tomber sur la case « désolé, vous êtes mort » », dit notre auteure. Et d’ajouter : « J’explique tout cela à des gens qui n’ont pas envie de se voir confrontés (…) à une réalité qu’ils ont pris l’habitude d’écarter de la main (…). Alors, pour me rattraper (…), je parle de mes grands-parents ». Le vrai sujet, ce sera donc « tout cela ». Et le livre d’Agnès Desarthe prend des allures de méditation sur le temps, ou plutôt de jeu complexe sur et avec le temps, mené par une écrivaine qui avoue n’avoir « jamais eu une conscience claire de l’âge », se tromper sans cesse « sur l’âge des gens, et sur le [sien] pour commencer ».

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