Pascale Royer, Alexandra Touitou Sénéchi, à partir de Gaëlle Josse

Il y a 15 jours, nous vous avons proposé d’écrire à partir des photos de Vivian Maier évoquées dans le livre « Une femme en contre-jour » de Gaëlle Josse, sur la thématique que voit-on vu de dos ? Voici les textes de Pascale Royer, et d’Alexandra Toutou Sénéchi, à partir de la photo du petit garçon au carton.

Pascale Royer

Home, sweet home

Pourquoi faut-il que Santa Claus m’ait oublié cet hiver ? Pourtant hier soir j’ai bien mis mes souliers près du poêle à bois de la cuisine. Et ce matin, au réveil : rien, il n’y a rien dans mes chaussures. Seul le vide emplit l’espace, et une profonde déception mon âme.

Pourquoi faut-il qu’il fasse si froid ce matin ? Maman a l’air triste et s’occupe de mes deux petits frères. Alors je pars sans bruit, le ventre vide pour rejoindre mes copains dans la rue. La rue, c’est mon domaine, c’est mon terrain de jeux, c’est mon royaume.

Mais pourquoi faut-t-il que la rue soit déserte ce matin ? Kevin, William, Steve, mes potes, où êtes-vous ? C’est trop tôt, vous êtes occupés à vos cadeaux de Noël ?

Et soudain, au tournant de la quatorzième rue alors que je shoote dans une vieille cannette, m’apparaît le plus énorme des cadeaux de Noël, là, posé sur le trottoir, irréel. Il est pour moi, pour moi seul, je le sens, je le sais. Je frotte mes yeux, incrédule. Que contient-il ? Une voiture électrique, un déguisement de Superman, une panoplie de cow boy, un maillot des NBA ? J’effleure le paquet. Sa sobriété m’inquiète : pas de ruban, pas de couleur, pas de fioriture. Son poids plume, aussi.

Pourquoi faut-il que je sois haut comme trois pommes ? Je saute mais n’arrive pas à voir dedans. Du chantier d’à côté, je pousse péniblement une vieille palette qui fera office d’échelle. Je l’adosse et me hisse. Mes pieds en équilibre, mes deux mains fébriles écartent les feuillets cartonnés. Je me penche, je scrute l’intérieur. Mes yeux, à hauteur de carton en font rapidement le tour : rien, il n’y a rien dedans. La désillusion et le désespoir m’envahissent.

Je reste pensif quelques instants avant de comprendre que Santa Claus m’offre le plus beau des cadeaux : une cabane, une maisonnette à moi, loin de la cuisine froide ! Ces morceaux de cartons en seront les parois. Je percerai des ouvertures pour la porte et les fenêtres, je consoliderai le toit, je peindrai les murs et y installerai mon doudou. Mon home, sweet-home !

Il n’est pas né le grand méchant loup qui détruira ma cabane car elle est solide comme un roc, comme tous les rêves.

Alexandra Touitou Sénéchi

Le carton oublié

Cette année, maman toussait beaucoup tous les soirs,

Elle m’a assuré de ne pas m’inquiéter et que ça passerait.

Mais que le Père Noël, pourrait ne pas passer.

 Elle posterait quand même ma lettre.

Pourquoi faut-il que lui aussi dans son pays de neige et flocons

Auprès de son poêle tout rond

Ait attrapé le virus au masque de démon ?

Dis-moi maman, quand arrêteras-tu de tousser ?

Dis-moi maman y aura t -il le sapin comme avant ?

Et tous ses cadeaux éparpillés ?

Ce matin il y a eu beaucoup de bruit dans notre rue.

Sur la pointe des pieds, je voyais la table se balader, les chaises danser,

 Un va et vient  de Messieurs avec des fauteuils sous les bras et des tables en guise de chapeaux.

 J’ai voulu voir si je pouvais avec les messieurs aux gros bras, moi aussi voyager dans le ciel.

Je n’avais jamais vu ça. ça courait de ci de là.

Et tout a disparu dans un gros camion.

Sauf qu’ils avaient laissé, rien que pour moi, l’énorme carton sur le trottoir

Ce cadeau encore lourd et balloté par les hommes.

Pour sûr, il ne passait pas la cheminée et j’y mis juste le bout de mon nez.

 

Dis maman, pourquoi t’as pas dit la vérité ?

Que le Père Noël allait quand même passer.