Pascale Royer « La maison » et Sandrine Drappier-Ferry « L’atelier »

Il y a un mois, Arlette Mondon-Neycensas vous a proposé d’écrire à partir de « Quand tu écouteras cette chanson » de Lola Lafon, dans l’atelier ouvert de L’Inventoire. Parmi les 9 textes sélectionnés, voici celui de Pascale Royer et Sandrine Drappier-Ferry.
Pascale Royer

La maison

Quand mes beaux-parents achètent cette maison dans le village, seule ma belle-mère connaît l’histoire de ses habitants depuis un siècle. Elle a le souvenir très vif des personnes qui l’ont occupée. Régulièrement elle nous narre des épisodes et, le très grand âge venu, parle de la demeure comme d’une entité qui dépassera tous ses habitants.

Elle nécessite de nombreux travaux ; son charme est d’abord extérieur. Au cœur du village, c’est une maison de maître limousine aux belles proportions. Un hydrangea grimpant court sur sa façade que je retrouverai.

À l’intérieur, les pièces sont redistribuées, des aménagements effectués sans détériorer sa structure d’ensemble. Je me souviens des chambrées de l’étage avant travaux où j’ai séjourné un premier été. Les plafonds hauts aux peintures écaillées, les cheminées éventrées impressionnent mes jeunes enfants. À l’adolescence, ils se moqueront de l’aspect cosy des chambres refaites. Les murs abattus des petites pièces du rez-de-chaussée permettent nos grandes tablées d’alors. Elle devient la maison bruissant de vie des vacances à toutes les saisons entre frères et sœurs, cousins et cousines, petits et grands.

Les aînés sont enterrés depuis longtemps et les décès concernent aujourd’hui ma génération. Divorcée depuis deux décennies, je reviens dans cette maison pour accompagner au cimetière le père de mes enfants. Je la retrouve empreinte d’une rusticité et d’une force intergénérationnelle non démentie. Son immuabilité soutient ma peine.

 

Sandrine Drappier-Ferry

L’atelier

Dans la cour, le figuier regorge de gros fruits violets. Ils en ont tant mangé, Alan et elle. Détachant les fruits à même la branche avant de croquer dedans avec gourmandise.

Léna entre dans l’atelier. Elle se hâte d’ouvrir les volets. La pièce est désormais totalement vide. Plus aucune trace du chevalet posé en plein centre du lieu, ni du lit imposant au fond. Plus de toiles appuyées contre les murs couverts de salpêtre. Dessus, d’anciennes traces de peintures. Traits nerveux déposés là, rageusement, par l’artiste quand il ne parvenait pas à exprimer son art.

Léna caresse le mur avec nostalgie. Revoyant le peintre. Usant de ses doigts, méticuleusement, pour rectifier un détail, gratter une coulée de gouache. Estomper l’épaisseur d’un trait.

Il lui semble encore sentir les odeurs. Celle, de muscade, de la térébenthine. Celles d’huile de lin et de pigments. Les effluves du café italien qu’Alan buvait à longueur de journée et de nuit. Celle, âpre, de leurs corps après l’amour aussi. Les souvenirs l’entêtent. La tête lui tourne. Léna s’appuie contre le mur.

Il reste, en souvenir d’eux, ce rayon de soleil qui entrait par la fenêtre cassée au petit matin et qui faisait des arabesques sur leurs corps nus.

Tout à l’heure, Léna retrouvera son peintre. Il l’avait congédiée, vingt-deux ans plus tôt, en apprenant qu’il devenait sénile. Elle ira se recueillir sur sa tombe pour la première fois, y déposer un bouquet de violettes. Juste avant de partir, Léna cueille deux figues à même l’arbre.