Trois romans à offrir pour retrouver l’inspiration au pied du sapin

Face aux tables pléthoriques des libraires, difficile de choisir un livre à offrir pour les fêtes… C’est pourquoi, pour tous les auteurs en recherche d’inspiration, nous avons sélectionné de manière thématique, trois livres qui renouvellent l’art du roman en plaçant la conversation au coeur de leur structure. 

Alternant correspondance et récit, « Où es-tu monde admirable » de Sally Rooney  (L’Olivier) « Cher connard » de Virginie Despentes (Grasset) et « Dépendance » de Rachel Cusk (Gallimard), sont des romans qui parlent de l’époque, où la conversation écrite est issue des mails et prédomine sur la conversation verbale entre amis (telle que nous la connaissions avant les confinements).

Dans ces deux premiers livres, le principe épistolier est respecté dans sa dimension dynamique. Deux points de vue sur la même histoire sont présents, laissant ainsi la place décisive au lecteur, invité à réfléchir à sa propre position sur le récit. Si le livre de Rachel Cusk est écrit sous forme d’adresse à un certain Jeffers, ce dernier est en fait le lecteur lui-même; un procédé proche de la lettre, dégageant une force similaire.

A la lecture de ces trois romans, force est de constater que cette forme épistolaire est une façon d’injecter ce caractère de vérité que les lecteurs cherchent dans les « histoires vraies » ou l’autofiction. Ils contiennent dans leur style, une énergie qui nous est immédiatement familière.

Second point commun de ces trois livres : les principaux protagonistes sont écrivains, et en proie aux affres de la célébrité. Il en résulte, dans le livre de Sally Rooney, un « admirable » portrait d’écrivaine sous les traits d’Alice, et des considérations éclairées sur le style.

« Où es-tu, monde admirable » de Sally Rooney, Éditions de L’Olivier, 2022

Alice est une jeune romancière brûlée par ses succès littéraires. Elle part se réfugier dans un village du bord de mer, ainsi séparée de sa meilleure amie qui reste vivre à Dublin. Tandis que l’une fait la connaissance de son futur amant sur un site de rencontres, l’autre noue une relation plus intime avec un ami d’enfance.

Dans une langue toujours neuve, aérienne presque, Sally Rooney nous fait vivre au jour le jour les méandres d’une amitié abimée par des incompréhensions et des choix politiques différents. Ces légères divergences, qui de manière si infime séparent deux êtres, comme dans la vie, c’est le temps de la correspondance qui permet de les faire émerger. Ce temps qui permettra ensuite de renouer le fil de la discussion pour faire surgir la vérité de chacun.

Après « Normal people » et « Conversations entre amis », on retrouve les mêmes personnages singuliers (à un âge différent), aux prises avec la volatilité de l’époque et la difficulté de choisir une voie propre. Mais les exigeants personnages de Sally Rooney arrivent toujours à assumer leurs choix, grâce à leur lucidité et leur bienveillance revendiquée… À lire vraiment, et absolument !

« Cher Connard » de Virginie Despentes, Éditions Grasset

Rebecca lit sur le compte Instagram d’Oscar des propos insultant son physique (« Chroniques du désastre »). Elle lui répond « Cher connard… ». Les mails s’enchaînent, cash, formant une conversation phylactère de type Messenger, parfois sans phrase d’introduction ni fin. Rebecca est actrice, Oscar, écrivain. Elle est plus connue que lui, plus âgée aussi. De son côté Oscar connait la disgrâce en raison d’un harcèlement sexuel commis, et rendu public. Il s’en explique. Rebecca finira par voir Oscar autrement, entre généralités, souvenirs communs et examens d’ambiguïtés comportementales rescapées de l’ancien monde… Bon.

Un langage parlé retranscrit sans fioritures, qui nous saisit par la contemporanéité de ces confidences entre deux personnes voulant en découdre. Parfois, beaucoup de bon sens  chez Rebecca : « Tu es écrivain, tu n’as qu’à écrire », parfois, un essai sur les difficultés du féminisme aujourd’hui, moins convaincant. Encore une fois, c’est le lecteur-voyeur qui se fera une opinion sur cette correspondance, qui n’a pas le machiavélisme des « Liaisons dangereuses », mais se lit avec le plaisir éprouvé en regardant une bonne série sur un sujet de société. Une manière de renouveler l’art de la conversation dans le roman, écrite dans une langue simple pour une lecture addictive. Extrait ici.

« La dépendance » de Rachel Cusk, Éditions Gallimard

Roman sous forme d’adresse à un certain Jeffers, entrecoupé de lettres, « La dépendance » est ce lieu transformé en résidence d’artiste par M., la narratrice (romancière) et son mari.

Isolée au bord d’une côte océanique spectaculaire, cette dépendance attend un peintre que M. a jadis connu, et qu’elle admire toujours. Mais il n’arrivera pas seul, et tous les espoirs et élans étouffés envers lui vont resurgir à l’occasion de son séjour.

Écrit dans une langue très prenante (un lamento ?), La dépendance parcoure le passé de la narratrice jusqu’à l’arrivée de son invité, construisant le piège narcissique qui pourrait causer sa perte aujourd’hui.

Prix Femina étranger 2022.

Une troisième version des pièges de l’ego, de la littérature et de la force du genre épistolaire aujourd’hui.

DP

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