Un perdant magnifique, Florence Seyvos (L’Olivier), par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire. Il réalise des lectures-diagnostic sur les manuscrits qui lui sont confiés et partage chaque mois un de ses articles sur L’Inventoire.

On s’étonne d’emblée du titre. Comment, se dit-on d’abord, peut-on prendre pour titre une formule aussi stéréotypée et rebattue ? De plus, très vite, on se rend compte que le perdant magnifique dont il s’agit n’est pas un perdant magnifique…

Il s’appelle Jacques. Il a épousé la mère divorcée d’Irène et d’Anna. Celle-ci nous parle, et raconte la dernière année de son beau-père, mort quand elle avait l’âge du bac. De fréquents retours en arrière dans son enfance et son adolescence complètent le récit.

« Que serons-nous pour Jacques ? »

Jacques est un homme d’affaires qui fait de biens mauvaises affaires. Surtout, il a la manie de se lancer dans des dépenses extravagantes avec l’argent qu’il n’a pas. Sa femme passe son temps à essayer comme elle peut de payer les dettes et d’éviter, toujours de justesse, la catastrophe. Jacques n’est donc pas vraiment un perdant : c’est plutôt un irresponsable. Égocentrique, tyrannique à ses heures, il aime sans conteste son épouse et ses filles, et cette dualité même l’empêche d’être le personnage réellement excessif (dans la noirceur ou la passion) que voient en lui celles qui l’entourent. S’il a pour Anna et Irène « une admiration éperdue », c’est qu’une solidarité secrète le lie à elles : il est un autre enfant. Ce roman est une histoire d’enfants. Jacques, Irène, Anna, leur mère même, convaincue d’avoir épousé « un homme exceptionnel », sont les nouveaux Enfants terribles.

Jacques a beau ne pas être magnifique, il est l’objet, de la part des trois femmes, d’une curieuse fascination. « Je n’aurais pas supporté de rester dans ma chambre », dit Anna, qui tient compagnie pendant de longues soirées à ce beau-père insomniaque. « Je n’aimais pas l’idée de n’avoir pas été là », dit-elle ailleurs, « pour accueillir la lettre » crachée par le fax en l’absence du même, reparti pour des pays lointains. S’il arrive parfois à la jeune fille « de désirer qu’il sorte de [leur] vie », ce n’est là que l’envers de l’étrange attachement qui lui rend « insupportable » l’idée d’une éventuelle grossesse de sa mère – « Que serons-nous pour Jacques s’il a un enfant à lui ? »

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« Un perdant magnifique », de Florence Seyvos, éd. de l’Olivier, 144 pages, 19,50 euros