Musée Sigmund Freud au 20 Maresfield Gardens, Londres

Freud n’a vécu qu’un an, au 20, Maresfield Gardens, pourtant sa maison de Londres renferme l’essentiel de sa mythologie, sa collection d’objets archéologiques, ses meubles viennois et en particulier le célèbre canapé qui semble conserver sa mémoire.

Sigmund Freud est arrivé de Vienne en 1938 à Londres pour fuir le régime Nazi. Il s’est installé quelques mois plus tard au 20, Maresfield Gardens avec sa fille, Anna, sa femme et sa belle-soeur.

C’est dans cette maison-refuge qu’il a poursuivi sa pratique analytique avec ses patients et a écrit ses deux derniers livres. « Moïse et la religion monothéiste » (auquel il a mis la dernière main), et « Abrégé de psychanalyse ».

Très proche de son père, Anna Freud a été son assistante à Vienne et entretenu avec lui une longue correspondance (qui a fait l’objet d’une traduction en français en 2012). Elle est ensuite devenue psychanalyste pour enfants, traçant ainsi des ponts entre sa vie, l’oeuvre de son père et la sienne.

Son oeuvre théorique la plus connue: « Le moi et les mécanismes de défense » (1936), explore de manière plus pragmatique les théories élaborées par son père, en s’intéressant en amont, à l’enfant et à la genèse de ses traumatismes infantiles. Un ouvrage majeur de référence sur le sujet encore aujourd’hui. Pour Elisabeth Roudinesco, « Anna Freud soutenait une conception de la psychanalyse centrée, non plus sur le ça (les pulsions), mais sur l’adaptation du moi à une certaine réalité ».

Anna Freud vécu jusqu’à sa mort en 1982 à Maresfield Gardens, c’est-à-dire pendant 40 ans, et il flotte toujours sur cette belle maison de l’ouest de Londres, sa présence lumineuse.

Le Musée Freud reproduit fidèlement la cartographie des deux espaces analytiques et restitue la maison, avec ses meubles peints viennois, sa salle à manger, son boudoir et son grand jardin, tels qu’ils étaient de 1938 à 1982.

Dans les deux bureaux conservés, on peut découvrir chaque univers d’écriture et de soin. Le bureau de Freud au rez-de-chaussée où l’on trouve ses lunettes sur le bureau, en face du canapé qui a inspiré des générations de psychanalystes, et à l’étage, de manière plus discrète ; celui de Anna Freud, modeste espace de travail qui ouvre sa vue sur la campagne anglaise.

Un contraste entre les deux lieux s’impose: entre gravité, opulence; légèreté et austérité.

Graphomane invétéré, on a évalué à vingt mille le nombre des lettres écrites par Freud, et à dix mille, toutes celles qui ont été déposées après sa mort à la Library of Congress (LoC) de Washington. Parmi elles, les 298 lettres échangées entre le père et la fille de 1904 à 1938, ont été éditées aux Éditions Fayard. Elles mettent en valeur la qualité de leurs échanges, et l’imbrication de leur vie. Dans une lettre à Lou Andrea-Salomé, Freud avouera d’ailleurs à fin de la thérapie de sa fille qu’il « ne parvient ni à la libérer de lui, ni à se séparer d’elle ».

Voici un extrait de cette correspondance pris au hasard, page 76:

« Merano, Le 26 Novembre 1912 (NB: Anna Freud a 17 ans).

Cher Papa !

Je dois tout de même t’écrire une fois de plus pour que tu ne m’oublies pas totalement pendant mon absence. Je peux te raconter tout de suite le premier événement, car hier je me suis de nouveau pesée et j’ai déjà pris 1/2 kilo. Je trouve que cela fait déjà beaucoup pour cette courte période. D’ailleurs je mange toujours, autant que je le peux, et je suis très raisonnable. Je pense énormément à toi et je me réjouis de recevoir un jour une lettre de toi si tu as un jour le temps d’écrire. J’ai entendu dire que ta bibliothèque est de nouveau tout à fait en ordre et aussi que ta dernière leçon dans la petite salle était particulièrement belle; mais pour le reste, je ne sais rien du tout de toi. Le voyage de Munich t’a-t-il beaucoup fatigué? Je n’ai cessé de calculer où tu pouvais bien te trouver. Tu devrais vraiment venir me rendre visite quelques jours pour Noël. C’est très beau ici, on peut marcher sur les chemins les plus splendides, y compris si l’on veut ceux où l’on ne rencontre personne. La seule chose qui manque en cette saison, hélas, ce sont les champignons. J’ai l’impression d’être depuis très longtemps déjà loin de la maison, mais je me suis très bien acclimatée ici. Je mène une vie très agréable et je n’ai pour l’instant aucune espèce envie de faire autre chose, car je ne m’ennuie strictement jamais. Certains jours je me porte très bien, mais certains autres j’ai encore de fortes douleurs au dos et je suis ensuite prise d’une grande fatigue générale. Ici, je deviens très mal élevée, encore bien plus qu’à la maison, et ma seule chance est que je sois déjà trop vieille pour que cela puisse me nuire. Je m’entends remarquablement avec Edith. Elle imite à peu près tout ce que je fais, et par comparaison avec elle je me donne l’impression d’être déjà très adulte. Et puis d’ailleurs c’est vrai, je suis déjà assez vieille. La maison est-elle vraiment aussi tranquille que l’écrit Maman dans chaque lettre ? Je n’arrive pas du tout à l’imaginer.

Je t’envoie beaucoup beaucoup de salutations et reste, avec un baiser,

Ton Anna »

Bijoux de pierre de Anna Freud

Freud n’a pas, de son vivant, reçu de prix de médecine, mais s’est vu décerner le prix Goethe, récompensant son oeuvre littéraire (à la grande surprise de l’auteur). Il aura écrit plus d’une quarantaine de livres et conférences, sans compter les nombreusx volumes de ses correspondances.

Sex Appeal & Brain Power

Dans la librairie, l’atmosphère psychanalytique se poursuit, avec la proposition de produits dérivés, comme la pâte dentifrice à la banane Sigmund Freud ou les pilules qui garantissent une guérison durable, directement en rapport avec « le mot d’esprit » libérateur de l’inconscient, pierre angulaire de toute thérapie.

C’est grâce à Anna Freud que la maison a pu être transformée en musée en 1984, tandis que l’oeuvre de sa propre vie, la Hampstead Child Therapy Clinic (en face), existe toujours. Sa présence habite toujours les lieux, à travers ses bijoux en pierre et son canapé simple, sa machine à écrire et le portrait d’un moment d’enfance.

L’occasion de comparer deux univers de travail, celui d’Anna, humble et dépouillé, et celui de son père, flamboyant et chargé de symboles.

Le paradis du névrosé !

Danièle Pétrès

Canapé d’Anna Freud

 

 

 

Vue du 1er étage de Maresfield Gardens

 

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