Vos textes à partir de « La robe de mariée » de Katherine Battaiellie (2/2)

Il y a 15 jours, Hélène Massip vous proposait d’écrire à partir de La robe de mariée de Katherine Battaiellie (éditions Marguerite Waknine, 2015). Parmi la trentaine de textes reçus, nous en avons choisi 10, que nous présentons en deux posts distincts. Merci à tous de votre belle participation, pour ce livre autour d’une artiste d’art brut !

 

Marie Couderc
Gravure

La gouge mord. La plaque pleure des lambeaux de lino.

La gouge attaque. Le lino résiste.

La gouge dérape. Le sang coule.

Pause. Pansement. Air chaud.

La plaque de lino s’attendrit dans le souffle chaud du sèche-cheveux, elle s’abandonne, s’oublie et fond. Ça sent la corde et le caoutchouc.

La gouge alors glisse sur les lignes du dessin tracé à la craie blanche.

Elle creuse des courbes et des aplats.

Ca ne dure jamais longtemps. Le lino se rétracte.

Souffle d’air chaud.

La gouge repart à l’assaut ; et des sillons et des champs naissent sous le ciseau acéré.

La gouge n’a pas fini, elle hachure, grave, griffe ce lino lisse jusqu’à l’apparition du motif.

Et puis l’encrage ;  la presse.

Les rouleaux écrasent la plaque gravée sur un noble papier qui ressort imprimé et gaufré.

Le premier tirage n’est jamais  vraiment réussi.

La gouge alors corrige un trait ou deux, retire les reliefs qui laissent des taches.

Deuxième tirage : les rouleaux enserrent la plaque et le papier.

Un autre. Un autre encore. La presse délivre des feuilles en noirs et  blancs nées

d’une étreinte forcée.

Les tirages numérotés sèchent, pendus à un fil.

La plaque, ensanglantée d’encre grasse, gît, les cicatrices à l’air.

Gravure.

M.C.

 

Laure N.

 

Aux arènes de Lutèce, je caresse une feuille granuleuse, encollée, le teint mat, silencieuse.

Saisir le mouvement de la vie sur ce papier amoureux, lui qui boira l’encre, comme il accrochera des pigments enlacés, mêlant bleu cobalt et jaune citron pour qu’ils s’accordent en un vert transparent. Ou bien encore, poser l’orangé, l’étirant vers des teintes brunes, propices à la capture des branches légères.

D’abord le ciel, détremper la feuille, pour qu’un pigment céruléen s’échappe, se répande librement. Puis ne pas attendre, se dépêcher d’accueillir la rosée magenta. Brouiller les contours pour qu’advienne la brume, humide, ouatée.

Là, préciser le camaïeu du ciel, ne plus y toucher, attendre. Prendre le temps. Croiser le regard patient de cette statue, nue, blanche, hiératique. A-t-elle froid en hiver?

Poursuivre l’aquarelle. Elle est sèche. Se concentrer. Respirer. Ne pas charger le pinceau, ni d’eau, ni de pigment, ni de crainte. Suspendre le geste, puis…

Le saule est bien là. Des ramilles se dévoilent, saturées d’ocre. Le tronc s’impose sous une ombre violette.

Le vent frémit. Jets de paillettes safran, pointes olive, virgules terre de sienne. Le feuillage lamé se balance alors, avivé de carmin rehaussé.

Les enfants sont partis, les bruits s’éloignent. Aux arènes de Lutèce, juste ces moineaux, ils pépient. D’autres s’ébrouent.

Les saisir d’un trait noir ivoire. Ne pas trembler. Tracer sans hésiter. Poignet, eau, pigment, pinceau.

C’est l’envol, puis le silence du jour…

L. N.

 

Marie Coucaud

L’archer

L’archer formidable prit son arc, fabriqué à partir d’une branche de chêne dont l’incurvation était à la fois souple et résistante pour en garantir l’efficacité. Il s’assit sur son bouclier rond, coinça l’arc entre ses cuisses et sortit de sa besace le boyau de mouton qui servait de corde. Courbé sur son arc dans un mouvement d’enroulement semblable à la spirale d’une coquille d’escargot, comme si tout son corps, penché sur l’arme, cherchait à la protéger, l’archer terrible fixa de sa main gauche la corde à l’extrémité inférieure tandis que sa main droite agrippait fermement l’arc en son milieu. Tout son corps était tendu,  dévoué à cette délicate opération qu’est l’encordage de l’arc. Puis, il glissa sa main droite en haut de l’arc et remonta précautionneusement la corde avec la main gauche. Il s’efforçait de rapprocher la corde de l’arc et l’arc de la corde. La corde s’allongea, s’étendit, l’arc se courba. Les deux frémissaient, vibraient, comme si une onde les parcourait. Les mains de l’archer effroyable tremblaient légèrement. Il tira la corde presque jusqu’à la rompre, l’amena à l’extrémité supérieure, força l’arc à plier. Il le sentit se cabrer tel un cheval rétif qui rue une dernière fois avant de s’abandonner à la soumission. Enfin, l’archer implacable accrocha la corde. L’arc était bandé. L’objet, qui quelques instants auparavant, n’était qu’un bâton vulgaire et inerte, s’était transformé en une arme redoutable et dévastatrice.

M.C.

 

Muriel Etcheber

La pâte

Elle fait la pâte. La farine dans le saladier. Elle creuse le puits avec le dos de la main, la caresse d’un nuage.

Elle enlève ses bagues : aucun métal ne doit toucher la pâte, si pur soit-il. Le beurre fond dans la casserole laissant des grains de sel sur les bords. Au fond du puits de farine, le beurre. De l’eau tiède, un peu d’huile et puis les gestes que son corps connait : malaxer, plonger ses mains dans le nuage qui devient un peu élastique, tourner la pâte, pétrir, plier, froisser la pâte entre ses doigts, la laisser reposer en boule sur le comptoir.

Elle ferme les yeux et le fil du temps remonte. La longue lignée de femmes qui, comme elle à ce moment précis, a pilé les céréales, malaxé le gruau d’orge, ajouté du lait, de l’eau, une matière grasse disponible, fait le pain puis le gâteau. Ces femmes, elle les connait toutes, depuis les milliers d’années qu’elles font ce geste de pétrir la pâte. Toutes, sans exception. Elle est avec elles dans la grotte où l’ombre des flammes danse sur les parois.

Personne ne lui a jamais montré, ne lui a dit comment faire. Elle sait de toutes ces générations qui l’ont précédée. Dans le ventre de sa mère, elle agitait ses doigts, elle jouait avec le liquide amniotique caressant la peau entre ses doigts. Déjà elle pétrissait, ce geste était là, en elle, vivant, connu, maitrisé, depuis toujours.

Rouler la pâte, l’allonger, l’étirer, la plier encore. La paume de ses mains reconnait l’instant où la pâte est prête à habiller le moule. Elle l’habille.

M.E.

 

Lysiane Panighini

 

Le bloc de terre argileuse est posé devant moi.

Entre nous deux, quelque chose d’inéluctable.

Accomplir un acte créateur. De l’informe trouver la forme.

Pour cela je vais devoir l’affronter, le morceler pour le modeler.

Comme à chaque fois, l’appréhension est là.

Discrète mais palpable.

Je tourne la sellette dans un sens puis dans l’autre espérant trouver un angle de conquête favorable.

Sans préméditation, je me saisis du couteau à dégrossir et lui inflige une première blessure.

Si cette béance incongrue fait naître en moi un désarroi susceptible de freiner le geste destructeur, main et couteau libérés de l’acte conscient ne font plus qu’un, et travaillent à présent en toute autonomie.

 

La matière ne se dérobe pas, ne résiste pas.

Elle m’apprivoise, m’adoucit alors que je m’instruis de sa texture, sa densité, son odeur.

Froide, humide, elle m’ouvre à des sentiments archaïques, ancestraux.

Dès lors, je ne la respire pas, je la renifle.

L’exaltation m’étourdit, et le couteau tombe au profit de mes doigts qui se laissent engluer, happés par l’argile.

Je la mouille et la mouille encore afin que mes mains glissent sur elle.

Épouser les contours, les rondeurs naissantes.

Accentuer une ligne, remplir un vide ou alléger un empâtement.

 

Une tête apparait, un sein, un ventre, une fesse.

Un corps de femme imparfait naît de la terre mouillée.

 

Une traînée rouge sur son bras.

Tiens…Je me suis coupée…

L.P.

 

Photographie: Robe en feuilles d’annuaires téléphoniques crée par Jolis Paons, cousues à la main.

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