Vos textes à partir de « Miss Islande » d’Audur Ava Olafsdottir (3/3)

Cette quinzaine, Laurence Faure vous a proposé d’écrire à partir de « Miss Islande » d’Audur Ava Olafsdottir (Zulma, 2019). Nous avons sélectionné 16 textes parmi les 34 reçus. Merci à tous de votre belle participation !

Florence Rampon

Ce que j’ai d’abord rencontré d’elle me reste sans nom. Sans mots pour dire.

Nous ne connaissions pas encore – c’est un minimum pour une rencontre. Nous ne nous connaissions pas encore et pourtant nous savions que nous allions nous rencontrer ce jour-là.

Ce jour-là, quelques jours avant ou quelques jours après, peu importait.

Notre rencontre avait comme marque essentielle mais non moins périlleuse la nécessité.

Se rencontrer ou mourir.

Se rencontrer ou ne pas être.

Pour être tout à fait franche, cette rencontre était la seconde.

De la toute première, je parlerai peut-être un jour, quand les mots sauront la dire.

Bien avant notre éblouissement, nos cris et le début de l’incompréhension, nous nous savions déjà liées.

Bien avant l’inévitable peau à peau, je m’étais blottie en elle sans pouvoir lui parler. Elle m’avait accueillie sans pouvoir me dire.

Alors, il nous fallait bien y arriver, à cette heure-ci.

D’un commun accord, nous l’avions reculée autant que nous le pouvions.

Mais cette fois, le décor avait été planté par d’autres que nous et ces autres nous pressaient et ne nous laissaient plus le choix.

Ce devait être aujourd’hui.

Maintenant.

Dans cette lumière blanchâtre et cette salle trop peuplée. Comme une haie d’horreur pour que ça ait lieu.

Ni elle ni moi n’y pouvions rien.

Alors, allons-y.

Je m’avance en toi.

Tu me pousses hors de toi.

Nos corps se parlent.

Endoloris, penchés l’un sur l’autre, mêlés à jamais et séparés comme toujours.

– Je ne sais pas si je saurais t’aimer.

– Je sais maman.

Jean Bricout

                                               First Kiss

Dans la classe de cinquième du Lycée Pailleron , toutes les conversations avaient un même sujet : la Boum d’anniversaire d’Elsa. La veille, les filles s’étaient réunies pour une pyjama party. Elsa avec ses meilleures copines dans sa chambre encombrée de matelas gonflables telle une Générale préparait le plan de bataille. D’abord la playlist de chansons,  Michael Jackson, Prince, Saturday Night Fever, New Order, Joy division, Queen et bien sur le slow de la Boum. Elsa insista pour Diabolo Menthe, Yves Simon ressemblait tellement au prof de Géo dont elle était secrètement amoureuse.

Ensuite on commença les questions, dans quels sens tourner la langue, pouvait-on se blesser avec l’appareil dentaire (Lina leur raconta une horrible histoire de langues coincées dans l’appareillage). Sylvia et Manon s’embrassèrent devant elles, un vrai baiser sur la bouche. Sylvia proposa à Elsa d’essayer à son tour, elle répondit par un beurk dégouté qui fit rire toutes les filles.

Et voilà que les première notes de Diabolo Menthe commençaient, Elsa serrée contre Jean-Louis  dansait son premier slow. Les mains du garçons posées contre ses hanches, joues contre joues. Elle posa ses lèvres sur celles de Jean-Louis qui lui répondit en entrouvrant les siennes, leurs langues se frôlèrent, son premier baiser.

Voilà tout était fini, tout ça pour ça se demanda Elsa, Jean Louis faisait le fier avec les autres garçons de la classe. Ce n’était pas désagréable, se dit Elsa, pas une merveille en plus Elle resta avec son verre de coca à rêver au prof de Géo et à Diabolo Menthe.

Maly Lagarde

Coup de foudre

L’air était lourd mais il était large le ciel ce jour là ; nuageux aussi, comme c’était souvent le cas ici. Ouvert et couvert. La régate terminée et gagnée, les autres étaient repartis par la route. Nous, nous avions décidé de rentrer par la mer. Horizon vaste droit devant.

À l’instant même où nous avons franchi la digue qui protège la baie, la puissance du vent a giflé les voiles. Avec violence. Tu barrais, j’étais au au rappel. Nos deux corps tendus au dessus de la houle, ajustés épaule contre épaule, peau salée contre peau salée, nous n’étions plus que deux équilibristes concentrés sur leur cap… Un éclair a fendu le ciel en deux, d’autres ont suivi. La côte a disparu dans un épais brouillard. La pluie s’est abattue sur les vagues. Même pas peur. Juste un plaisir indescriptible de traverser cette violence déchainée soudée à toi. Il ne fallait pas lâcher. Nous ne céderions rien au tonnerre, rien à la pluie et rien au vent qui grimpait en puissance. À tes côtés je me sentais vivante.

Parce qu’il faisait nuit en plein jour, toutes les lumières du port se sont allumé au moment où nous avons aperçu le rivage. Et un assourdissant coup de foudre a tout fait disjoncter lorsque nous l’avons atteint.

Récemment, un jour où tu m’avais invité à dîner, j’évoquais cet épisode de notre jeunesse, un verre à la main. J’ajoutais : « Tu te souviens ? » « Non, cette histoire ne me dit rien… Mais peut-être que mon frère, lui, s’en rappelle ? Tu m’as bien dit qu’il nous attendait avec un thermos de chocolat chaud et des serviettes ? ».

André Joulaines

Robinson

Je rêvassais dans le salon familial devant la vitrine remplie d’ouvrages. Une collection en particulier avait fière allure. Livres reliés, couvertures beiges, mors en simili cuir marron et tranchefile élégante de couleur. Des lettres dorées gravaient de mystérieux titres : Le Capitaine Fracasse, Moby Dick, Les Misérables, La Tulipe noire, Gordon Pym... J’hésitai. Pour la première fois j’allais lire tout seul un livre d’adulte en entier! Sur les conseils de mon père, je choisis finalement Robinson Crusoé.

Le voyage solitaire dans lequel je m’embarquais alors chaque soir dans le petit lit de bois de mes huit ans dura plusieurs semaines. Je naviguais sur un océan de phrases et de mots compliqués qui m’arrivaient d’abord comme les embruns cinglants d’une tempête avant d’apercevoir comme une île déserte sur une mer étale, le sens limpide d’une aventure humaine extraordinaire. Et un vendredi, j’achevai enfin la dernière page du roman.

Le lendemain, au petit déjeuner, je cachai mal ma fierté d’être venu à bout du livre qui me faisait entrer de plain-pied dans le monde des adultes en me donnant l’occasion d’une discussion « littéraire » entre hommes.

– Tu sais papa, hier j’ai fini Robinson Crusoé. Deux cent quarante-sept pages ! annonçai-je, l’air de rien. J’ai beaucoup aimé. Et toi ? Il t’avait plu aussi ?

– C’est bien mon fils, heureusement que cette collection ne comporte pas d’œuvres intégrales, ça la rend accessible aux enfants. Et tant mieux si ça t’a plu, moi je ne l’ai jamais lu.

Brigitte François

Mardi dernier, on est allés voir Vol au-dessus d’un nid de coucous. Premier rendez-vous, plus de places côte à côte dans le cinéma. Chacun à un bout de la salle. On s’est retrouvés à la fin. Sans se le dire, on a décidé d’emprunter un chemin commun. Aujourd’hui, c’est la montagne qui nous rassemble. On le savait, c’est comme ça qu’on s’est rencontrés, avec un projet avorté pour moi et une envie de faire avec moi pour toi.
Je marche devant. Es-tu galant ou bien un peu plus fatigué que tu ne l’avais pensé ? As-tu présumé de tes forces ? Tu m’as dit : ‘Je t’emmène à la Dent de Martin’. Mais je marche devant. Il y a 1200 mètres de dénivelé, pas toujours facile, mais un sentier en bon état.  Des balises bien placées. Dent de Martin – 1 heure. C’est notre première sortie estivale, il fait beau. C’est notre première sortie ensemble. On est en juin, et ici, le printemps est plus tardif. Des fleurs partout et dès que le soleil donne, des odeurs d’herbes de Provence.

Je marche devant, tu me suis. Moi qui d’habitude traîne à l’arrière des groupes, je marche devant. On sort de la forêt de mélèzes et tout à coup, il n’y a plus d’arbres. On entend les sifflements d’alerte des marmottes, qui se jouent de notre curiosité et ne se laissent pas voir. Prairies d’herbe verte, puis champs de cailloux puis falaise que longe le chemin .

Je marche devant, tu me suis. C’est un jour de semaine, nous sommes seuls dans la montagne. Je marche devant, première au sommet. Et toi : « j’aime bien tes fesses ».

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