Vos textes à partir de « Miss Islande » d’Audur Ava Olafsdottir (1/3)

Durant la dernière quinzaine, Laurence Faure vous a proposé d’écrire à partir de « Miss Islande » d’Audur Ava Olafsdottir (Zulma, 2019). Nous avons sélectionné 16 textes parmi les 34 reçus. Merci à tous de votre belle participation !

Hann Siago

Marguerite Duras : le temps d’une rencontre

Étudiante, je travaillais dans une salle de cinéma d’Art et Essai à Paris.

« India Song » de Marguerite Duras passait en continu : plans fixes ou très lents sur des décors et des gestes, une musique magnifique et entêtante jouée au piano, celle des mots prononcés par une voix jeune et frêle, une histoire écrite en creux. J’entrais dans le film. J’étais transportée dans un monde inconnu et, à la fois, familier. Une rencontre inattendue, éblouissante.

Je restais au fond de la salle obscure, toute la journée, enfoncée dans un fauteuil en velours rouge. À l’entracte, la lumière diffuse des appliques dorées en forme de fleurs me ramenait brusquement à la réalité. Le générique défilait sur le grand écran encadré de lourds rideaux. La musique lancinante tournoyait en balayant l’espace, caressant , au passage, les photographies accrochées aux murs.

Un jour, on m’a demandée d’accompagner le film à Venise où il était sélectionné pour le festival.

Après la projection, je me suis retrouvée dans la salle du restaurant, assise à côté d’Elle, avec Yann Andrea et leur bande d’amis. Au cours des échanges animés, j’ai eu l’audace de lui dire

« J’admire votre œuvre. Ça me bouleverse ».

Elle m’a regardée, j’ai vu qu’elle comprenait.

Soudain, quelqu’un a levé son verre pour porter un toast. Marguerite a levé le sien en riant. On a bu, beaucoup. À la fin de la soirée, on était accroché les uns aux autres, bras dessus, bras dessous, chantant joyeusement « Le temps des cerises », moi collée à elle, épaule contre épaule, dans une vague ondulante.

Fabienne Rêve

J’ai rencontré Paul pour la première fois dans une galerie de Cabourg, comme moi, il prenait le temps de s’imprégner des toiles exposées sans écran pour fixer l’image, mais avec un vrai regard sur l’œuvre. Notre échange nous a appris que nous aimions Modigliani mais que l’agitation parisienne pour voir cet artiste nous rebutait. Et pourtant, nous décidons de partir à Paris ce mercredi.

Mercredi. Musée de l’Orangeraie à Paris. Nous nous dirigeons vers la salle dédiée à Modigliani. Ses œuvres nous tendent les bras. Les tableaux sont éclairés avec justesse pour offrir une intimité entre le visiteur et l’artiste. Je me retrouve face à mon tableau préféré : la dame au chapeau. Les yeux blancs donnent l’impression que le peintre ne voulait pas harmoniser la beauté de la femme avec ce grand chapeau qui inonde la toile. L’accessoire devait-il être plus important que cette dame pensive et élégante.

Nous regardons cette toile dans un silence religieux, essayant de capter les pensées de la dame.

Paul me dit : « Je ne rentre pas, je reste à Paris, c’est vivant ici. »

Etonnée, je réponds : « Tu l’as dit à ta femme ? »

Hervé Keraval

Rencontre

            J’hésite encore, puis je la suis. Braver tous les interdits, je risque beaucoup.

Dans quel but, je ne sais pas.

            Voir ne sera pas une surprise, les livres, les photos, les vidéos m’ont préparé.

            Mais toucher, sentir, oserai-je ?

            Elle me précède dans l’escalier. Sa blondeur m’affole, son postérieur et ses cuisses que découvre sa jupe à chaque marche me fascinent.

            Dans la chambre, elle me toise.

            « C’est la première fois ? »

            J’acquiesce de la tête, la gorge serrée.

            A genoux sur le lit, face à moi, elle fait voler son chemisier, dégrafe sa jupe et son soutien-gorge.

Sa poitrine est magnifique, ses seins laiteux qui se balancent doucement m’hypnotisent.

            Je dois lui paraître idiot, les bras ballants, statufié.

« Allez, ôte ton masque et tes gants, tu seras mieux.

Mais — et la police de la santé ?

— Elle est au courant, notre protocole est bon. »

J’obéis.

Enivré par son parfum, mon sexe tendu sous mon jean, je m’approche d’elle.

Rompant les dernières barrières, je soupèse ses seins, puis y enfouis mon visage.

« Elle est au courant. »

Mes doigts glissent sur son ventre, sa peau est douce, élastique.

Ma main droite part en exploration sous sa culotte.

« Elle est au 

— Quoi ?

— Elle est. Erreur processeur. Veuillez contacter immédiatement notre technicien de maintenance. »

En me repoussant fermement, elle me dit enfin, en haussant le ton :

« POUR VOTRE SECURITE, ELOIGNEZ-VOUS. »

Marie Noële Benoit

Une aurore annonce un jour nouveau, qui parfois lève le voile sur un inconnu dont on perçoit, pour la première fois, tout le mystère et la grandeur.

Dans l’anse de mes bras, tu reposes, confiante et apaisée.

Par petites touches, d’une main hésitante, je sillonne ton corps, comme on foule une terre étrangère, pressé d’en découvrir les multiples secrets. J’en explore chaque courbe, chaque ligne, comme autant de collines et de vallées. Je m’achemine le long de ton échine, jeune tronc gracile, souple et tendre, qui prendra forme et force avec l’aide du temps, rencontre de petites niches façonnées par tes membres potelés. Je m’arrête, saisie par la délicatesse de ces doigts minuscules qui, sous l’invite, se resserrent sur les miens. J’appelle ton regard d’une douce caresse, effleurant le pétal de tes paupières closes, qui s’ouvrent sur deux joyaux qui embrasent mon âme. Annah ! Un court instant, je lève les yeux pour m’assurer de la réalité de ce ravissement. Le bleu des murs qui tapisse la pièce où nous sommes réunies, n’est que le pâle reflet de l’iris de tes yeux. Par la fenêtre ouverte, un rai de lumière printanier inonde ton corps d’une douce clarté. Une brise légère laisse sur son passage le délicieux parfum d’un tilleul qui règne sur la cour intérieure.

Mais on frappe à la porte.

– Comment s’est passée cette première rencontre ?

–  Beaucoup d’émotions ! J’ai une question. J’aimerais savoir dans quelles conditions la mère d’Annah l’a abandonnée ?

Maryse Madrel

Appuyée contre le tilleul de la cour de l’école, Ida semble dormir. La fente de ses yeux que je croyais fermés dessine un sourire. Avec nos camarades de la classe, nous attendons les résultats du Certificat d’Etudes. Certaines dans l’angoisse, d’autres, dans l’excitation.  Mais toutes avons conscience de l’importance de l’enjeu.Que feras-tu après le certif ? demande Ida.

– Je ne sais pas. Et toi ?

Ida ne répond pas. « viens, je crois que l’inspecteur va annoncer les résultats ».

Explosion de joie : nous sommes reçues toutes les deux. Soulagées. Libérées. Une ombre obscurcit son regard.

Sans plus réfléchir, nous nous prenons la main et nous échappons vers les bords de la Loire. Nous nous asseyons et c’est là que nos lèvres se sont parlées. Mieux qu’un baiser. Une douceur infinie, une rencontre de nos deux bouches qui s’effleurent, se picorent, se cherchent, se questionnent. Nos mains sur nos visages accompagnent cette conversation. Du bout des doigts, tandis que nos lèvres chuchotent, nous dessinons nos yeux, nos joues, notre cou. Arrêter l’instant. Devenir statues. Quelque chose d’indéfinissable capable de nous faire oublier nos soucis de gosses en fin de scolarité.

Et puis soudain, la cloche du village pour nous rappeler l’autre monde.

– Nous devons quitter le pays. Nous partons demain.

Je la regarde, sans voix. Assommée.

– Non, c’est pas juste ! Et nous, Ida ? Je hurle de douleur.

Le lendemain, au petit matin, une voiture quitte le village avec à son bord Ida et ses parents.

Nous avions treize ans.

Christine Clamens

Elle est assise à côté de moi, potelée, adorable sous ses boucles blondes, un bonbon dans sa robe en vichy rose aux bretelles larges et à la jupe en corolle qui laissent voir ses bras et ses jambes hâlés. Je la connais depuis toujours ou plutôt elle est tombée dans ma vie comme tombe un ange, avec fracas, quand j’avais dix-huit mois. Depuis, elle a appris à marcher et elle me suit partout. Pour l’instant, elle est suspendue à mes lèvres.

Installées sur le pont du liner qui nous ramène en France après deux ans de séjour en Afrique, nous sommes indifférentes aux sons qui ponctuent le départ d’un bateau au long cours, les au-revoir, les cris des marins à la manoeuvre, le criaillement des oiseaux côtiers, la trompe du navire en partance, indifférentes à l’odeur saumâtre, au reflux de l’agitation sur le quai tandis que les porteurs, les amis des voyageurs, les marchands de thé ambulants désertent à leur tour le port et regagnent les rues de la ville blanche.

« Tu me lis ! Dis, tu me lis ! » Absorbée par l’histoire, j’ai oublié de lire ‘tout haut’. Sa petite voix me rappelle à l’ordre. « Il ne bouge pas. Et l’eau monte toujours !… Que faire ? » : Milou la ravit, les gros mots du capitaine Haddock nous font pouffer. Tintin et l’étoile mystérieuse, rapporté par nos parents de leur échappée à l’escale, est un trésor : notre première BD ! Je poursuis la lecture jusqu’à la dernière page où nous découvrons, coincé dans la reliure, ce mot de la main de mon père « Bientôt un petit frère ou une petite soeur ».

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