Vos textes à partir du roman « Les étoiles s’éteignent à l’aube » 1/2

Hélène Massip vous a proposé d’écrire à partir de Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese (2015, Zoé 2016 et « 10/18 », 2017, pour la traduction française). Parmi les textes que nous avons reçu, nous en avons sélectionné 11, que nous publions cette semaine en 2 parties. Merci à tous de votre belle participation !

 

Isabelle Vigier

L’apparition

 

Ils étaient là, seuls au monde. Des survivants au milieu de nulle part dans ce désert aride, le plus sec de la terre. Cette saline où ils évoluaient lentement, en lévitation au-dessus de l’eau. Posés là, indifférents aux touristes. Ceux-ci armés de jumelles ; d’autres, dont j’étais, munis d’appareils photos.

Posés dans cette lumière rose du soir, les Andes à l’horizon, terriblement photogéniques, les flamands se fondaient dans l’air coloré mais la nappe d’eau, à travers l’objectif, offrait un miroir bleuté où ils venaient se réfléchir. Un mirage. Un morceau de rêve planté dans le désert. Leurs pattes fuselées, si fines, comment pouvaient-elles les porter ? Si lents les flamands, une multiplicité d’images arrêtées affolant le regard : l’un la moitié de la tête disparue sous l’eau, traquant sa nourriture. D’autres, une famille peut-être, avançant au ralenti au milieu de cette piscine géante. Et subitement, dans un claquement de fouet, ceux-là qui s’envolaient, tout à coups inélégants, pantins disloqués avec leurs grands corps dont on n’imaginait pas qu’ils pouvaient monter si haut.

Ce que j’ai pu les photographier ces flamands de l’Atacama. Sous toutes les coutures, tous les angles, avec tous les cadrages possibles. Serrés ou larges. Au seize neuvième ou au quatre tiers. Avec différentes vitesses d’obturation. En ouvrant de plus en plus au fur et à mesure que le soir tombait.

En France, un ami écoeuré par la  profusion de flamands, tu as les mêmes en Camargue.

I.V.

François Momal

La petite boule noire

 

Chaque matin, nous avions le réflexe de secouer nos chaussures avant d’y loger nos pieds. Dans ce petit village de Haute Provence, sur les hauteurs de Manosque, où nous avions pris l’habitude de passer quinze jours l’été, ils sortaient à la nuit tombée et en particulier les soirs d’orage. Les vieux du village (et même les moins vieux) nous disaient qu’ils affectionnaient les lieux chauds. Certains nous avaient même affirmé qu’il n’était pas rare de les retrouver lovés au creux des oreillers des enfants. Un soir nous avions pu admirer deux beaux exemplaires plaqués sur un des murs de la petite maison. Ils étaient chez eux et nous simplement de passage. Avant de nous mettre au lit, en citadins apeurés, nous regardions consciencieusement sous nos lits, nos oreillers…

Un matin donc je secouais ma chaussure. Une petite boule noire compacte tomba sur le sol de la pièce commune. Je me penchais pour l’observer de près. Intrigué, peu réveillé, je contemplais cette masse ramassée sur elle-même et immobile sur le parquet. Soudain elle se déplia sur toute sa longueur, exhibant en une fraction de seconde son petit corps en majesté, sa queue noire recourbée munie d’un dard à son extrémité. Elle fila ventre à terre sous le canapé.

Chaque été nous retrouvions pendant deux semaines les maîtres des lieux, ces petits scorpions de Haute Provence. Et le propriétaire de la maison de nous rassurer : « La piqure n’est pas mortelle, juste douloureuse. »

F .M.

Sylvie Floc’hlay

Et pourtant sans un geste

 

La nuit. La route forestière avant d’arriver au hameau. Au lotissement. Mes phares éclairent la route. De part et d’autre, le clair-obscur du bas côté, le trait sombre du fossé, l’obscurité dense du sous-bois. Et d’un coup, elle est là. Coup de frein. Je m’arrête. Elle est figée, la tête tournée vers moi. Grands yeux cernés de noir. Les oreilles tendues. Moi, comme elle. Je la regarde. Intensément. Elle est habitée d’une course impossible, tous muscles frémissants et pourtant sans un geste. Seul le bruit du moteur. Elle a peur. J’éteins. Un instant je ne vois plus rien. Et puis, petit à petit, mes yeux s’accoutument, la nuit n’est pas noire, la silhouette fine de la biche est toujours là. Je ne vois plus ses yeux mais je sens qu’elle regarde à nouveau. Me voit-elle ? Elle bouge un peu la tête, pointe le nez, oreilles dressées, et alors que je me disais qu’il fallait que j’allume à nouveau, qu’une voiture pouvait arriver, que c’était dangereux, pour elle et pour moi, d’être ainsi de nuit immobiles au milieu d’une route après un virage, d’un bond, elle saute le fossé et disparait sous le couvert des arbres.

S.F.

Nicole Porterie

L’Allée du Roi

 

Ce matin-là, le brouillard a pris possession de la forêt. Dans l’atmosphère cotonneuse, nos pas foulent le sol humide dans un soupir de velours froissé. L’allée ample, rectiligne, s’en va, file, disparaît dans l’inconnu opaque.

En silence, comme encore endormies, nous avançons. La brume se referme derrière nous, pareille à un rideau qui à peine soulevé, retombe. Pas un bruit !

Lui, il est apparu sur la gauche. Née de la forêt ennuagée, sa masse émerge lentement.

Il est immense.

Ce qui frappe l’imagination, c’est sa hauteur.

Sa tête est légèrement tirée vers l’arrière comme par un lourd chignon.

Mais là, ce sont ses bois qu’il porte, comme arrachés aux arbres qui le retiendraient encore. Ils s’épanouissent en multiples bifurcations, lui donnant un inimitable port altier, soutenu par un cou long, puissant, à peine vrillé vers nous, le temps d’un regard juste glissé en biais, comme pour jauger combien nous ne sommes pas dangereuses.

Il traverse l’allée, tranquille comme une évidence.

Son pas est dansant, souple, sûr, silencieux. Il va vers la droite maintenant, de l’autre côté de l’allée. La forêt le récupère, lui, dans sa robe brune, le prend, le camoufle dans son giron.

Incrédules, nos yeux sondent l’absence.

Ainsi, la grâce de sa visite à peine accordée, le Grand Cerf, s’est évanoui.

Ce qui reste, se fige à l’intérieur de vous, puissante, c’est une sensation de noble et solitaire mélancolie.

Pour longtemps, s’installe un vide qui ne passe pas, une intense nostalgie.

N.P.

Françoise Sarnel

 

Il entre en trombe avec le soleil quand j’ouvre la porte de la chambre donnant sur le jardin. Vol circulaire à l’aplomb du lit, quatre murs et un plafond plus tard il fonce vers la fenêtre, en vain.

Noir et jaune et blanc, ronflant tel un Iroquois Huey au dessus des rizières du Vietnam, le bourdon cherche une issue. Frénétiquement. Geôlier et prisonnier de son angoisse.

Son front se fait bélier contre la vitre, ses pattes griffent la surface plane, ailes déployées à plein régime mais qu’on distingue à peine dans la vitesse de leurs battements. L’ennemi est invisible. Il lutte avec ferveur, bourdonne plus fort puis se laisse choir.

Alors, ses ailes repliées sur le dos formant une cape translucide de super-héros dérisoire, les antennes pendouillant telles d’inutiles moustaches, la bestiole frotte son arrière train duveteux, aiguisant ses forces, rassemblant son courage.

Puis, généralissime, il arpente le rebord de la fenêtre, échafaudant un plan avant l’assaut. Anthropomorphisme ? C’est à devenir fou cette transparence qui retient captif ! Le ciel pourtant est là, si proche.

« Ouvre-lui la fenêtre ! » me crie une voix. Pas encore. Je l’observe ferrailler, entomologiste du dimanche, fascinée par ses capacités sonores. Le bourdon se montre pugnace mais son combat est sans espoir contre le carreau de verre, alors qu’il me suffit de tourner la crémone.

Ce que je finis par faire, rendant à l’approche des mille cinq cents signes, sa liberté à l’insecte pacifique et au corps de velours.

F.S.

Cécile Quiniou

Derrière la cage

 

Il était encagé depuis le matin après que la tempête ait battu violemment et menacé son habitat. Il présentait son dos. Épais, large, aux poils clairsemés, hostiles à la caresse. Une double paroi nous séparait. Des barreaux nous protégeaient de lui alors qu’une vitre assourdissait nos voix. Il se retourna avec lenteur. Ses mains repliées lui servaient d’appui pour se déplacer. Les pouces à l’extérieur libéraient la souplesse des poignets. Ses mains immenses, touchantes d’humanité, frôlaient le sol. Je ne sais quelle nécessité l’avait amené à changer de place. Peut-être mon regard intrigué dans son dos. Il se plaça contre le mur et me fixa un instant. Son regard pénétrant dégageait une forme de condescendance teintée de résignation. De toute sa profondeur il exprimait la vanité des choses, les blessures de la captivité, la bêtise incurable des hommes. Les siècles défilaient. Une douleur m’envahissait. Très vite, ses yeux noirs et profonds se firent inaccessibles. Il regardait loin, au-delà de sa cage, au-delà de sa réalité. Je sentais la honte s’infiltrer à me tordre les boyaux. Lui et moi en bout de chaîne n’avions rien décidé, ne pouvions rien y changer. A mon tour, je me sentais prisonnière. Je devinais l’abattement de ce corps puissant, esclave d’une lignée dominatrice à laquelle j’appartenais. Je m’éloignais tête baissée. Lorsque je repassais un peu plus tard, il veillait sur les membres de sa tribu d’un air détaché, assuré de leur allégeance, dans ces quelques mètres carrés.

C.Q.

 

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