« Vous ne désirez que moi », le film de Claire Simon donne la parole à Yann Andréa

Pour tous les passionnés de Marguerite Duras, la relation qu’elle entretenait avec Yann Andréa à la fin de sa vie reste un mirage romanesque. Sorti cette semaine, le film de Claire Simon restitue l’entretien qu’a eu Yann Lemée avec Michèle Manceaux, journaliste à Marie-France, à propos de cette relation passionnelle, la replaçant dans le réel.

Le jeune homme avait souhaité se confier à Michèle Manceaux, après deux ans de vie commune avec Marguerite Duras, dans la maison de Neauphles-le-Château. Yann Lemée a 30 ans, alors qu’il perd pied dans sa vie, il parcourt dans cet entretien les circonstances de sa rencontre avec l’écrivaine, et leur vie commune en huis-clos. La transcription exacte du verbatim de Yann Lemée confère à leur relation un nouvel éclairage, dont on trouve des échos dans les livres de Marguerite Duras, de « L’été 80 » à « La Maladie de la mort », « Les yeux bleus cheveux noirs », et ceux de Yann Andréa « M.D. » et « Cet amour-là ». Au fil du temps,Yann Andréa Steiner semblera devenir progressivement la créature de Marguerite Duras, pari Faustien entre enfer et paradis pour les deux protagonistes.

Le film de Claire Simon est l’occasion d’entendre la vraie voix de Yann Lemée, avant qu’il ne devienne Yann Andréa. Un film d’une grande délicatesse, soutenu par un suspense orchestré par la mise en scène de l’écoute de Michèle Manceaux, qui devient la nôtre. Entre scène d’intérieur et vision d’un Neauphles-le-Château crépusculaire et hanté, c’est bien nous qui écoutons, comme elle, cette histoire d’un amour tragique, sans rien pouvoir en dire ni intervenir à aucun moment, comme elle. Cet amour-là, reste, comme dans les livres de Marguerite Duras, forclos dans l’incandescence d’une rencontre qui aura duré 17 ans.

Si on pense trouver des réponses sur la passion amoureuse (les protagonistes avaient 38 ans d’écart), on en ressort en ayant une vision de deux personnes ayant vécu une histoire, autant littéraire que sensuelle, si singulière qu’elle défie toutes les analyses. Reste un morceau de ce réel, jaillissant de la parole de Yann Lemée, incarnée par Swann Arlaud, d’une justesse à couper le souffle. Emmanuelle Devos est quant à elle, tour à tour dubitative et tourmentée par cette confession. C’est elle qui gardera les cassettes enregistrées jusqu’à sa mort. La soeur de Yann Lemée les fera éditer de manière posthume en 2016 sous le titre : « Je voudrais parler de Duras », Ed. Pauvert/Fayard. Le pari de ce film est tenu, on sait désormais tout de ce qui animait Yann Lemée, et de la vision qu’il avait de sa relation avec Marguerite Duras, et on se sait rien. Rien que les mots si justes, pour nommer la passion et la peur, d’un homme de 30 ans qui n’a pas encore décidé s’il pourrait un jour vivre sans celle qui lui disait « vous ne désirez que moi ».

DP